TOUT EST DIT

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lundi 23 février 2015

Le monde entier n'est pas Charlie

La démonstration d'unité du monde occidental contre le terrorisme ne doit pas faire illusion. Le mal est profond et entretenu par de grands pays.
L'image est historique : la France unie pour condamner la barbarie et communier sur ses valeurs fondamentales. Avec à ses côtés ses principaux alliés solidaires dans l'épreuve. Mais dans les camps de Daesh à Rakkah (Syrie), dans les sanctuaires d'al-Qaida au Yémen, dans les madrasa (écoles coraniques) du Pakistan, la démonstration n'a pas impressionné grand monde. À Peshawar, il y a même eu une manifestation de soutien aux tueurs conduite par un imam local. Et l'autorité musulmane chargée de conseiller le gouvernement égyptien vient de dire tout le mal qu'elle pensait de la une, pourtant bien anodine, de Charlie Hebdo à paraître ce mercredi, tout comme l'Iran, qui a condamné une couverture "insultante".
Il ne faut pas se bercer d'illusions : entre le Nil et l'Euphrate ou au fin fond du Pakistan, les opinions publiques - quand elles ont entendu parler de Charlie Hebdo - continuent de considérer que le journal a commis un grave blasphème. Au coeur du cortège parisien figuraient des représentants de la Turquie et de l'Arabie saoudite, deux pays qui se caractérisent par leur ambiguïté. Le premier a permis à Daesh de se renforcer en fermant les yeux sur le transit des combattants islamistes sur son sol. Le second, l'Arabie, est bel et bien la matrice idéologique des courants fondamentalistes modernes.
L'Arabie saoudite. Vers 1740, le prédicateur Muhamed Abdel Wahhab (1703-1792) commence sa campagne pour une purification de l'islam, un retour aux sources du VIIe siècle. Il veut chasser les idolâtres, combattre les superstitions, le culte des saints et le chamanisme qui subsistent dans la péninsule arabique. Mais l'accueil est plutôt frais et il se fait chasser de partout, notamment de Bassora, aujourd'hui en Irak. Il comprend que le goupillon ne lui suffit pas et qu'il lui faut un sabre. Il se réfugie dans le Nedj (la région de Riyad) et, en 1744, scelle un pacte avec le chef de guerre Muhamed Ibn Saoud. Les deux hommes lancent les Ikhwan (les frères) dans un djihad pour convertir les récalcitrants à la nouvelle doctrine.
Remarque : à la même époque s'épanouissait en France un certain Voltaire, dont on a beaucoup parlé ces temps-ci...
La conquête complète de l'Arabie actuelle sera parachevée par leurs héritiers en 1924-1925 avec la prise de La Mecque et du Hedjaz. La légitimité de l'Arabie est donc avant tout religieuse, et Riyad a irrigué idéologiquement et financièrement la plupart des courants fondamentalistes qui ont servi de couveuses aux futurs djihadistes. Les Saoudiens ne savent plus aujourd'hui comment faire rentrer le djinn maléfique dans la bouteille. Mais toucher aux fondements du wahhabisme, c'est ébranler les bases mêmes du royaume.
Le Pakistan est aussi un exemple emblématique. Il a été fondé, comme l'Arabie, sur une légitimité exclusivement religieuse au moment de la partition de l'Inde en 1947. Il s'agissait de regrouper les musulmans dans un état homogène. Cette rivalité avec l'Inde perdure et explique l'obsession du Pakistan à contrôler ce qu'il considère comme son arrière-cour, sa profondeur stratégique : l'Afghanistan. L'ISI, les services spéciaux de l'armée pakistanaise, a longtemps été à la manoeuvre sur les deux dossiers-clés du Cachemire, disputé entre l'Inde et le Pakistan, et de l'Afghanistan. Peshawar a servi de base arrière pour le djihad contre l'occupant soviétique avec l'argent des Saoudiens, l'aide des Occidentaux et l'afflux de combattants arabes galvanisés par les prêches des imams. Parmi ces volontaires : un certain Oussama ben Laden, rejeton dévoyé d'une riche famille saoudienne. C'est là que le djihad a connu une nouvelle jeunesse. Puis l'ISI a soutenu les talibans afghans. Mais si ces derniers restent encore liés au Pakistan, les talibans pakistanais ont, eux, engagé une épreuve de force avec Islamabad, et le récent massacre de 132 enfants d'officiers est sans doute un acte de rupture irréversible.


Si des États constitués, gouvernés et organisés - Turquie, Arabie, Qatar, Pakistan - posent problème, la situation est pire dans les zones sahéliennes de non-droit, en Irak ou en Syrie. Daesh, al-Qaida historique : peu importe le label, car l'affiliation des terroristes est désormais à une idéologie plus qu'à une organisation. Il faut se faire une raison : les mentalités n'évoluent pas aussi vite que la téléphonie mobile.
 

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