TOUT EST DIT

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lundi 10 novembre 2014

Peyron : «Ça a secoué comme jamais»

S'il considère sa victoire dans la Route du Rhum comme l'une des «plus jolies» de sa carrière, Loïck Peyron confirme qu'elle n'a pas été la plus facile.
Le tour de la Guadeloupe et ses dangers
«La dernière journée a été assez éprouvante. Ça a été compliqué à partir de la Désirade (ile située à l’Ouest de la Guadeloupe, ndlr) avec une série d’empannages, des manœuvres qui sont toujours très difficiles sur des bateaux comme Banque Populaire ou Spindrift. Le tour de l’Ile est vraiment très casse-gueule. La bouée de Basse-Terre a failli être dramatique pour moi. Il y a eu un grain, je ne pouvais pas la passer, il y avait trop de monde…J’ai épuisé mes dernières ressources physiques en faisant le tour. J’espère que ça se passera bien pour Yann (Guichard) parce que c’est toujours limite, un peu chaud. Heureusement pour lui, il fera jour. Car il subit son bateau et il est crevé. Il réalise un exploit considérable sur ce bateau.» 
Un départ difficile mais bien négocié

«Les 48 premières heures ont été déterminantes.Ça a secoué comme jamais avec ce bateau-là. Je n’ai pas lâché, pas molli. Chaque minute comptait pour ne pas que ça parte «en sucette». Il fallait attaquer dans une mer extrêmement formée avec des manœuvres, des grains, des prises de ris, de la dépense physique et du stress permanent. On s’est d’abord bagarré les uns avec les autres parce qu’il y avait contact dès le départ. Et puis assez naturellement, quand le vent est arrivé, j’ai commencé à dérouler le jeu. Avec Thomas (Coville), on s’est bagarré en jouant bien tactiquement. Puis je n'ai plus vu ses feux et j’ai appris ce qu’il s’était passé.»
Frayeur à la barre…
«J’ai continué à attaquer dans le golfe de Gascogne dans une mer très formée. Ce n’était vraiment pas drôle. Il était impossible de dormir. Donc quitte à ne pas dormir, j’ai barré. Ce n’était pas plus mal car ça soulage le bateau. Et puis ça me tenait éveillé et ça m'occupait. Jusqu’au moment où je me suis endormi sous un grain. Je suis tombé en m’accrochant à la barre. Evidemment, ça a fait abattre le bateau. Il y avait 35 nœuds au près, j’ai failli chavirer. Le temps de remonter la barre dans l’autre sens… C’était limite. J’ai eu une petite frayeur.» 
C’est un canot exceptionnel, qui avale. Il a la puissance qu’il faut.
...Et un bras de liaison qui se lézarde
«J’ai fait une découverte au bout du 3e jour. Il y avait des petits stigmates au milieu du bras de liaison avant, un petit décollement. C’est impressionnant mais si ça avait été cassé, j’aurais déjà pris le bateau en deux sur la tête. Je me suis déguisé en spéléo pour aller visiter l’intérieur, j’ai pris des photos.  Il y a eu quelques jours d’angoisse pour le team à terre. J’étais sur la route de Madère, prêt à abattre en grand et me poser. Mais après quelques investigations avec les architectes, tout le monde a été rassuré. La structure n’était pas touchée. Ce bateau-là n’a jamais cassé. Cette petite avarie montre bien qu’on est passé par des moments compliqués sur cette transat.» 

Son bateau
«C’est un canot exceptionnel, qui avale. Il a la puissance qu’il faut. Cette puissance qui change tout. Avant, on faisait de la Formule 1 avec des pneus de Solex. Là ça tient la route. Quand je vois les angoisses qu’on se faisait en 60 pieds… Là c’est a piece of cake. Ça peut être casse-gueule mais quand c’est bien géré, c’est relativement agréable. Après, ça reste totalement déraisonnable de naviguer sur des engins pareils. Mais heureusement qu'on le fait, sinon on se ferait chier comme des rats morts (sic).» 
 Une victoire au goût particulier
«C’est l’une des plus jolies. Mais c’est assez bizarre car j’ai plein d’excellents souvenirs de courses qui ne sont pas synonymes de victoires. On n’est pas obligé de gagner tout le temps. Ça nous arrange même car on en perd plus qu’on en gagne. Je suis assez fier et il y a de bonnes raisons. Je ne rêvais plus de participer au Rhum sur un bateau capable de gagner. Je venais la faire juste pour le plaisir. Ça faisait douze que je n’avais pas fait de multicoque en solitaire. De ce point de vue, c’est un retour aux affaires intéressant. Cette Route du Rhum, je la dédie à Armel (Le Cléac'h, le skipper blessé qu'il a remplacé, ndlr). J’avais dit avant de partir que je voulais juste être à la hauteur de ce qu’il aurait pu faire sur ce bateau. Je pense que c’est le cas.» 
L’avenir
«Je vais partir sur la Coupe de l’America avec Artemis. Je vais rejoindre l’équipe à San Francisco puis on ira en Australie en janvier. Le Rhum ? Je reviendrai le faire dans quatre ans. Sur le petit jaune de Mike Birch comme je devais le faire cette année.»

Vingt-cinq ans après l'ouverture du mur de Berlin, les murs pullulent encore en Europe

Alors que le monde commémore la chute du rideau de fer, de nouvelles barrières font leur apparition sur le continent. Après les cris de liberté et l’ouverture des frontières, le repli identitaire gagne du terrain.
Dans un café de Svilengrad, dernière ville bulgare avant la frontière turque, Jordan Stoev visionne, ému, les images du «mur». Sur une tablette, le colonel, ancien garde-frontière entre 1974 et 2002, découvre les 33 kilomètres de clôture qui séparent, depuis la fin juillet 2014, la Bulgarie de la Turquie. Il entrevoit les miradors, les barbelés de trois mètres de haut et les vingt-deux portes, destinées aux opérations d’«urgence». Et rappelle qu’à quelques centaines de mètres de là, dans la campagne bulgare, se dressent encore les fils rouillés de l’ancien rideau de fer. «Avant, on avait une frontière entre le communisme et le
capitalisme, et maintenant on a une frontière entre les Européens et les autres. Je vois beaucoup de points communs, rien n’est nouveau dans ce monde», commente le colonel en reposant la tablette. Il soupire: «C’est triste. L’histoire se répète. J’espère que ce mur tombera comme le mur de Berlin.»
Alors que le monde célébrait, le 9 novembre, les 25 ans de l'ouverture du mur de Berlin, de plus en plus de barrières se construisent aux frontières de l’Europe. Après le mur, construit en 2001, entre le Maroc et l’enclave espagnole de Ceuta et Melilla, la Grèce, fin 2012, puis la Bulgarie, en juillet dernier, ont érigé des clôtures à leurs frontières avec la Turquie. Pour la spécialiste des murs Elisabeth Vallet, professeure associée et directrice scientifique de la chaire Raoul-Dandurand à l’université du Québec à Montréal, «les causes affichées sont la pression migratoire –le droit d’asile européen y est pour beaucoup– et, si on va chercher plus loin, l’existence d’États déliquescents qui ne sont plus en mesure d’assurer la pleine souveraineté sur leur territoire et donc de protéger leurs populations ».
Ces murs, bâtis pour endiguer l’immigration vers l’Europe, présentent déjà des failles et des signes d’inefficacité. En octobre 2013, le gouvernement espagnol a décidé d’installer de nouveaux barbelés à lames tranchantes, dangereux et polémiques, sur le mur de Ceuta et Melilla. Pourtant, selon l’ONG Human Rights Watch, le nombre de tentatives pour rentrer dans l’enclave espagnole a augmenté en 2014: fin octobre, 1.250 migrants ou demandeurs d’asile étaient hébergés au centre d’accueil de Ceuta et Melilla, pour une capacité de 480 personnes.
En Grèce, dans une précédente enquête de Slate il y a deux ans, alors que les autorités entamaient la construction d’un mur de 12,5 kilomètres, un policier grec aux frontières prédisait: «Ce mur ne fera que repousser le problème.» Achevée fin 2012, la barrière gréco-turque a de fait dévié les migrants vers la Bulgarie, au nord, et au sud vers les îles grecques, Lampedusa, la Sicile et l’Espagne. Alors que la Grèce accueillait plus de 80% de l’immigration clandestine européenne en 2012, essentiellement par voie terrestre, la route de la Méditerranée centrale, par la Sicile et le sud-ouest de l’Italie, arrive largement en tête en 2014, avec 134.272 entrées irrégulières selon Frontex, l’agence européenne aux frontières.
En Bulgarie, alors que le mur a été achevé fin juillet, une nouvelle vague de migrants et de demandeurs d’asile, essentiellement syrienne, est apparue depuis la fin de l’été, avec la menace de l’organisation Etat islamique en Irak et en Syrie.«Le mur ne fonctionne absolument pas. En septembre 2014,  le nombre de demandeurs d’asile était même plus élevé qu’en septembre 2013», explique Krassimir Kanev, directeur de l’ONG Bulgarian Helsinki Committe.
La barrière, longue de 33 kilomètres, ne couvre en effet qu’une petite portion des 274 kilomètres de frontière avec la Turquie. À l’est et à l’ouest du mur, au cœur des forêts et de la moyenne montagne bulgare, les migrants continuent à passer, loin des checkpoints, souvent à l’aide de GPS. Déjà, les routes dévient vers le nord, par bateaux via la mer Noire, jusqu’à la Roumanie. Ce qui encourage les drames, comme le rapporte Le Courrier des Balkans: le 3 novembre, 24 migrants sont morts noyés lors d’un naufrage au confluent du Bosphore et de la mer Noire, au large d’Istanbul. Tous tentaient de rejoindre l’Union européenne par la Roumanie.
Face au cloisonnement des frontières terrestres, un autre mur, maritime et mortel, a vu progressivement le jour. Ainsi, l’année 2014 enregistre déjà un triste record: la mort de plus de 3.000 migrants en mer Méditerranée. Soit plus du double que le pic de 2011. «The Migrant files», une vaste enquête primée de datajournalisme, révèle même que plus de 25.000 migrants ont péri sur leur chemin vers l’Europe depuis 2000. «Eriger des clôtures et créer des barrières n’est pas la solution, ça crée de la pression ailleurs, ça donne plus de pouvoir aux trafiquants pour augmenter le prix de la sécurité et ça donne lieu à une augmentation du danger des traversées», alerte Boris Cheshirkov, porte-parole du Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR).

Radicalisation du discours politique

Face à cette immigration importante mais relative (la Turquie accueille actuellement plus de 1,6 million de réfugiés syriens et le Liban 1,2 million, contre144.632 pour l’Union européenne), les partis politiques jouent la surenchère. Avec la crise économique, les discours se durcissent et la sécurité des frontières prend le pas sur les programmes d’intégration. «Environ 80% de l’argent de l’Union européenne pour l’immigration en Bulgarie est fléché vers la sécurité et 20% sur l’intégration», confie un conseiller du gouvernement bulgare.
Pour la spécialiste Elisabeth Vallet, les murs sont tout autant économiques –«là où il y a un mur frontalier, il y a une distorsion importante»– qu’idéologiques:
«Les murs sont éminemment politiques: ils servent à montrer que les gouvernements agissent. Si la frontière devient vulnérable aux flux non contrôlés-désirés, s'il y a une perception d’insécurité, parfois instrumentalisée par les extrêmes, alors la tentation est grande pour le gouvernement en place de répondre de manière visible et tangible par l’érection d’un mur. Michel Foucher [géographe, auteur de L’Obsession des frontières, ndlr] disait: "Le mur est avant tout une entreprise de relations publiques".»
Aux dernières élections européennes de mai dernier, cette perception d’insécurité s’est traduite directement dans les urnes, avec une montée historique des partis populistes. Le Front national en France, le Parti du peuple au Danemark ou encore UKIP au Royaume-Uni sont mêmes arrivés en tête dans leurs pays respectifs. En Grèce, le parti néonazi Aube dorée a obtenu un score de 9,4% et envoyé trois députés à Strasbourg. Des discours radicaux qui influencent les politiques européennes, de droite comme de gauche.
Ainsi, pour contrer la montée de l’extrême droite, les partis traditionnels n’hésitent plus à jouer sur les terrains populistes, à l'image de Nicolas Sarkozy en France, lors de son meeting de Nice, le 21 octobre dernier«L’immigration ne doit pas être un sujet tabou mais un sujet majeur car cela menace notre façon de vivre.» Comme d’autres hommes politiques en Europe, l’ex-président de la République veut remettre en question le traité de Schengen et la libre circulation des personnes au sein de l’Union. Un cheval de bataille de longue date du FN. En mai dernier, Marine Le Pen déclarait: «Je mets le traité de Schengen au seul endroit qu'il mérite: la corbeille!» Elle ajoutait: «C'est l'une des fautes les plus criminelles de l'Union européenne: la disparition totale des frontières.»
Pour Elisabeth Vallet, Schengen et l’abolition des frontières relèvent de toute façon de l’ethnocentrisme, plus que de l’ouverture:
«De quoi s’agit-il justement? D’une zone libre et ouverte mais sur elle-même. La définition d’une frontière commune, externe, dure, a été pratiquement le pendant de Schengen. Et de fait, l’UE, si elle se regarde, n’a pas régressé vraiment: la libre circulation des personnes, des marchandises, des capitaux est réelle. Par contre, pour les personnes venant de l’extérieur, et surtout pour celles qui viennent du Sud, la frontière est dure, dangereuse, violente, mortelle.»

Une cinquantaine de murs dans le monde

À côté des «murs de l’immigration», des barrières ethniques ou religieuses continuent à se dresser en Europe. En Slovaquie, des clôtures sont érigées contre les Roms depuis 2009. À Chypre, «la ligne verte» divise depuis 1974 la partie grecque de la partie turque. À Belfast, depuis le conflit nord-irlandais, des«murs de la paix» séparent encore les quartiers catholiques des quartiers protestants
Et le phénomène, cette course à la construction de murs et de barbelés, est une tendance mondiale. Dans son très bon numéro spécial qui vient de paraître, le magazine Courrier international recense aujourd’hui une cinquantaine de murs –d’après la carte de référence d’Elisabeth Vallet–, contre une dizaine en 1989.8.000 kilomètres de barrières ont ainsi été construites depuis la chute du mur de Berlin.
Les causes, comme le contrôle de l’immigration, les guerres, le terrorisme, les conflits ethniques, religieux ou sociaux, sont multiples. Le mur le plus long, qui sépare l’Inde du Bangladesh, atteint 3 000 kilomètres. Le plus célèbre, entre les Etats-Unis et le Mexique, s’étend sur trois Etats: l’Arizona, le Texas et la Californie. D’autres, comme à Sao Paulo au Brésil, n’hésitent plus à marquer matériellement, sur 60 kilomètres, la frontière entre les pauvres et les riches. Des Etats comme Israël, l’Inde ou l’Arabie Saoudite sont littéralement en train de s’emmurer, de tous côtés. Et de nouveaux projets sont dans les cartons: Ukraine-Russie, Oman-Yémen, Brésil-Paraguay… Une chose est sûre, le monde s’emmure, et cela représente une manne pour certains: selon Elisabeth Vallet, le marché du frontalier militaire représentait, en 2011, près de 17 milliards de dollars dans le monde.