TOUT EST DIT

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samedi 26 juillet 2014

« Mort aux Juifs », ou la banalité de la haine à Paris

C'est désormais une habitude: dans les rues de Paris, on peut crier «mort aux Juifs». Des manifestants veulent exprimer leur colère et leur frustration: «Mort aux Juifs!». Des gens entendent protester contre les bombardements meurtriers en Palestine décidés par un gouvernement d'Israël aux mains d'une droite de plus en plus dure: «Mort aux Juifs!». Une passante prend la défense de deux jeunes filles qu'un homme menace verbalement. Il se retourne contre elle, la traitant de tous les noms, puis la regarde attentivement et s'exclame: «Mais tu es une sale Juive! Casse-toi, sale Juive ou je vais te crever.» Et c'est le déferlement. «Mort aux Juifs!»
Qui aurait imaginé que dans les rues de Paris, en 2014, on pourrait rencontrer cette expression décomplexée de l'antisémitisme le plus violent? Il y a déjà quelques années que l'on entend des politiques déplorer mollement les «importations du conflit israélo-palestinien» sans que cela n'enraye en rien une mécanique qui dépasse de beaucoup les problématiques de politique étrangère.
Bien sûr, la politique d'Israël faite de poursuite de la colonisation et de militarisation des différends est insoutenable et suicidaire. Bien sûr, on aimerait une position ferme sur la scène internationale pour interdire ce mur inique qui coupe les villages palestiniens et ne respecte pas les frontières fixées par l'ONU. Bien sûr, on voudrait entendre davantage les voix juives dénonçant la politique de l'actuel gouvernement israélien. Bien sûr, on espérerait que certains n'assimilent pas toute critique de cette politique de l'État d'Israël, ou même toute critique à l'encontre d'une personne publique se trouvant être juive, à de l'antisémitisme. Bien sûr. Mais quel rapport avec les Juifs de France et la possibilité pour eux de vivre en paix dans une nation qui est la leur?
Il y a déjà plusieurs années que des professeurs alertent sur la montée d'un antisémitisme décomplexé dans certains établissements scolaires. Cela a commencé avec des usages du mot «juif» assimilé à une insulte: «Fais pas ton Juif»… Cela a continué avec des contestations de l'enseignement de l'holocauste. Et l'on peut considérer que cet enseignement a été mal conçu, faisant le choix de l'émotion pour frapper les esprits de jeunes au détriment parfois d'un enseignement appuyé sur la raison et l'analyse, peu importe. Il ne s'agissait pas de cela mais bien de propos négationnistes tenus par des jeunes gens expliquant benoîtement qu'Hitler n'avait pas «fini le travail». Quand un rapport d'un inspecteur de l'Éducation nationale, Jean-Pierre Obin, a relaté ces faits pour s'en inquiéter, il n'a pas été rendu public par le ministère de l'Éducation nationale. Ce n'est qu'un an après sa rédaction que des professeurs et des essayistes ont choisi de le publier. Réaction de toute une partie de la presse et des associations et syndicats? «Ce rapport n'a pas de valeur scientifique car il ne parle que de quelques établissements scolaires.» Allons, ce n'est pas si grave. Fermez le ban!
Ce qui se passait dans les établissements scolaires n'était que le reflet d'un climat plus général dont il aurait fallu s'alarmer. Au lieu de cela, on a pratiqué la dénégation. Il ne fallait surtout pas analyser ce phénomène car il eût fallu admettre que cet antisémitisme n'était pas le fait de la vieille extrême droite européenne, de ce «fascisme» devenu un épouvantail à force d'être invoqué pour décrédibiliser n'importe quel adversaire.
Cet antisémitisme-là marquait la jonction entre un antisionisme d'extrême gauche assimilant avec une facilité dangereuse la haine du capitalisme et la haine d'Israël et un antisémitisme historique de populations musulmanes déracinées et en quête d'identité. L'antisémitisme des banlieues a crû parallèlement à une radicalisation religieuse savamment entretenue par certains imams salafistes gracieusement fournis par des puissances du Golfe. Le drame des populations palestiniennes n'était alors qu'un opportun catalyseur. On aurait attendu une réaction politique. Impossible puisqu'il aurait fallu admettre que les victimes du racisme et de la discrimination pouvaient, elles aussi, incarner la haine. Lancer l'alerte, c'était déjà se voir soupçonné de stigmatiser des populations à qui l'on devait, par culpabilité, une déférence extrême. Pourtant, c'est dans les manifestations contre la loi sur les signes religieux à l'école, en 2003 et 2004, qu'on entendit les premiers «mort aux Juifs» de la part de gens qui faisaient passer l'affichage d'un islam instrumentalisé et militant pour une revendication de liberté.
Peu à peu, les positions se sont radicalisées. Quand Israël lançait il y a quelques années des campagnes pour inciter les Juifs de France à faire leur alya pour fuir l'antisémitisme, c'était intolérable. Peut-on encore le dire après Mohamed Merah et Medhi Nemmouche? L'antisémitisme d'extrême droite, lors de la manifestation «Jour de colère», a rejoint l'antisémitisme d'extrême gauche. De cette jonction terrible, nul ne sait ce qui sortira.

DANS "LE FIG" HIER



L’insertion sociale d’un individu ne regarde que lui-même

La société se réjouit que des sans-abri puissent se réinsérer par le travail. Elle se soucie aussi un peu de leur transit intestinal.

Quelques journalistes se sont penchés récemment sur une jeune entreprise parisienne proposant des visites guidées assurées par des sans domicile fixe. Ce n’est pas tout à fait une nouveauté : il y a deux ans, un jeune « entrepreneur social » faisait déjà parler de lui avec Meet My Paris, une start up s’inspirant d’initiatives néerlandaises, britanniques et brésiliennes vouées à la réinsertion par le travail.

Si l’intention est louable, le discours qui l’accompagne pose question. Dans les déclarations des fondateurs comme dans les articles qui leur sont consacrés, l’accent est mis sur la lutte contre l’exclusion sociale et le réapprentissage de la confiance en soi, auxquels travaillent déjà des associations comme La Cravate solidaire ouJoséphine pour la beauté des femmes. Mais la vision du travail rémunéré – même dérisoire – comme tremplin vers la réinsertion n’est jamais exempte de paternalisme.
Bien sûr, on ne peut ignorer l’effet marginalisant du chômage, et les premiers concernés sont aussi les premiers à le rappeler : travailler ne fut-ce que 10 heures par semaine à 10 euros de l’heure, c’est pas le Pérou mais c’est suffisant pour reprendre confiance et se remettre en selle. Ce discours qui nous est à présent familier n’a pourtant rien d’innocent. Si l’idée qu’il s’agit pour les chômeurs de reprendre le « chemin du travail » évoque le réalisme du « pas à pas », elle nous renvoie surtout à la croyance que les petits efforts fournis par l’individu au démarrage finissent par aboutir à une amélioration conséquente de sa situation – et suggère qu’en cas d’échec, l’intéressé ne doit qu’à ses mauvais choix, sa maladresse ou sa mauvaise volonté de n’avoir pas su se maintenir sur l’autoroute de la réussite.
RLH Insertion socialeOn fait donc travailler les exclus, mais surtout, on leur fait une faveur. Ne s’y trompant pas, les journalistes louent ces entreprises qui « offrent la possibilité à des SDF de réaliser des visites guidées », leur permettant ainsi de « se réintégrer dans la société ». C’est le triomphe du marketing RH, qui donne au travail précaire ses lettres de noblesse : petite paie, grandes espérances. De quoi rassurer les près de 4 millions de demandeurs d’emploi en catégorie A qui ont poussé la porte de Pôle Emploi ces derniers mois.
On en oublierait presque que le degré d’insertion sociale d’un individu ne regarde ni son employeur, ni la société, ni aucun autre observateur des « sociétés modernes ». La manière dont il entend utiliser sa paie et mettre à profit son expérience ne regarde que lui-même. Certes, le langage de l’entrepreneur social ne fait que reprendre celui des centres d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) où se recrutent les guides. Mais la nuance est absente du discours commun sur le travail et l’insertion sociale, seule ambition possible des gens raisonnables.
À bien y regarder, les slogans de l’insertion par le travail valent bien ceux de la culture de l’effort tant appréciés par la Droite sociale de Laurent Wauquiez. Deux variétés de paternalisme, une seule réponse au chômage de masse : en attendant le retour de la croissance, les précaires sont priés de « se mettre en chemin ». Pour sûr, ça ne mange pas de pain.

La bonne marge des affaires

Il faudrait selon nos ministres restaurer les marges pour promouvoir l’investissement. Et pour cela, réduire la concurrence. Car il est plus simple de plumer un consommateur captif que de répondre à ses attentes. 

La concurrence accrue dans les télécommunications, qui permet au consommateur de bénéficier de plus pour moins cher, aurait selon Arnaud Montebourg des conséquences désastreuses : la diminution des prix détruit l’emploi, réduit les marges et donc nuit à l’investissement. Mince alors.
Mais pourquoi certains réduisent-ils les prix et tirent-ils les marges à la baisse ?
Il faut d’abord comprendre que les prix bas ne font pas les faibles marges. Free, par exemple, mise sur le volume et la maîtrise des coûts ; en réduisant les prix, l’entreprise a parié sur une arrivée rapide et importante de clients, et a réussi son pari.
Mais si l’opération était aussi assurément rentable, au point que les trois opérateurs en place aient autant fait pour empêcher ou retarder l’arrivée de Free, pourquoi n’ont-ils pas avant Free adopté cette stratégie ?
Cette stratégie ne les arrangeait tout simplement pas. Une concurrence faible facilite le maintien de marges élevées sur le dos de clients au choix restreint. Surtout quand on s’entend sur les prix.
L’argumentaire des opérateurs, aujourd’hui repris en chœur par les ministres, fait de la marge la condition de l’investissement, et de l’investissement la clé pour apporter aux utilisateurs le meilleur service. Mais pourquoi n’ont-ils alors pas utilisé les confortables marges permises par les prix élevés du passé pour prendre de l’avance ? Comment Free peut-il être aussi compétitif face à des acteurs bien établis, jouissant en théorie d’importantes économies d’échelle et des effets positifs de l’expérience ?
Ils se sont certainement reposé sur leurs lauriers, protégés qu’ils étaient par le régulateur et le législateur. Alors qu’ils auraient pu innover et réduire leurs coûts. Mais pas seulement. Ils ont été encouragés par le pouvoir à ne pas prendre certaines décisions favorables à la compétitivité mais défavorables à l’emploi, handicapés par une législation rigide et, parfois, par des statuts et mentalités hérités du passé n’encourageant pas la productivité et la flexibilité.
L’avantageuse proximité avec le pouvoir leur permettait donc de conserver des prix élevés, mais leur imposait de prendre des décisions plus politiques qu’économiques. Et les politiciens gagnaient aussi beaucoup à la proximité avec des chefs de grandes entreprises. Seul le consommateur, pour les uns, et le contribuable, pour les autres, était perdant.
Aujourd’hui, on accuse donc Free de détruire l’emploi que finançaient les surcoûts permis par la concurrence restreinte. De même qu’on rend le manque de moyens responsable des catastrophes ferroviaires et de la dégradation de la qualité du « service public », alors que les effectifs sont pléthoriques et les moyens abondants. Le manque de productivité et la mauvaise gestion, associés à l’emprise de syndicats mafieux, sont en revanche rarement évoqués.
Tout comme le poids des lois et réglementations nuisant aux entreprises et aux consommateurs. Tout comme le poids de la fiscalité. On accuse Free, finalement, d’empêcher la bonne marche du système de copinage et connivences entre grandes entreprises et politiciens ; en rendant service au consommateur, l’entreprise ne rend pas service aux politiciens et aux entreprises qui doivent leur succès avant tout à leur soutien. L’État n’est pas au service du consommateur ou du citoyen, mais au service d’intérêts privés.
Il faut, à long terme, des marges pour investir – même si Free n’a au départ pas réalisé de marges car l’entreprise avait investi massivement. Mais les marges ne garantissent en rien l’investissement, encore moins l’investissement pertinent. De même que les moyens ne garantissent pas la qualité.
Il faudra sans doute longtemps avant que les citoyens comprennent que « moins de concurrence » et « plus de moyens » n’amélioreront pas leur sort, au contraire, et ne serviront qu’à se gaver sur leur dos. Tout comme il leur faudra du temps pour comprendre que l’État n’agit pas toujours pour leur plus grand bien, mais bien souvent pour se l’approprier.