TOUT EST DIT

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samedi 15 mars 2014

Vie privée, secret professionnel, droit à l’information, indépendance de la justice… Quel équilibre optimal pour des principes démocratiques fondamentaux mais partiellement contradictoires ?

Les principaux piliers de la société démocratique – liberté individuelle, intérêt général ou respect de la vie privée – semblent être devenus des termes incompatibles. Un conflit permanent qui se retrouve notamment dans les décisions judiciaires.

Liberté, égalité des citoyens, vie privée, intérêt général... Quels sont les grands principes démocratiques qui ont de plus en plus tendance à s'opposer dans le monde démocratique d'aujourd'hui ?

Johan Rochel : La tension fondamentale reste celle qui se développe autour de la compatibilité entre la liberté individuelle et l’intégration de l’individu dans une société. Notre façon d’appréhender la légitimité d’une communauté politique se fonde clairement dans l’individualisme. Une communauté politique est légitime si elle a pour but fondamental de rendre possible la liberté de chacun dans le plus grand respect de la liberté de tous. Dans cette condition de vie en communauté, la liberté individuelle est en renégociation permanente. En tant que membres d’une communauté donnée, nous nous considérons sur un pied d’égalité – cette égalité qui fonde notre vie démocratique selon la formule "one (wo)man, one vote". Ces "égaux" négocient ensuite entre eux les limites et modalités du vivre-ensemble.  
Eric Deschavanne : Les principes, en tant que principes,sont conciliables en théorie.  L'idéal démocratique n'est pas en lui-même contradictoire. Les tensions et le contradictions naissent des interprétations et du mode de concrétisation de ces principes. Les principes, autrement dit, ne s'opposent pas nécessairement entre eux; mais les conflits d'interprétation et les débats contradictoires naissent à propos de chacun des principes démocratiques - liberté, égalité, laïcité, etc. - dès lors qu'on se propose d'en donner une traduction concrète. Le consensus relatif aux principes ou aux valeurs démocratiques est sans doute plus grand que jamais. Le vieux conflit entre le libéralisme et le socialisme, étatiste et égalitariste, par exemple, est derrière nous. Des micro-débats surgissent cependant sans cesse, relatifs aux myriades d'applications concrètes de chacun de ces principes qui font consensus.
Tous les moyens sont bons.
Michel Guénaire : La démocratie nourrit indiscutablement de nos jours de vives tensions entre la vie politique des nations et la vie privée des individus. Ces tensions rappellent l'opposition qu'avait analysée en son temps Benjamin Constant entre la liberté des anciens et la liberté des modernes. La liberté des anciens désignait "la participation active et constante au pouvoir collectif", la liberté des modernes "la jouissance paisible de l'indépendance privée". La ligne de partage peut être analysée aujourd'hui entre, d'une part le domaine de la vie politique et son cortège de questions, de débats et de décisions, d'autre part la sphère privée de la vie des gens.La démocratie est une relation tendue entre l'homme public et l'homme privé.
Pourquoi l'équilibre fragile entre ces valeurs est-il de plus en plus remis en cause aujourd'hui ? Y a-t-il eu une rupture ? Comment se définit-elle ?
Johan Rochel : Fondamentalement, cet équilibre n’est pas plus remis en cause aujourd’hui qu’hier. Il est par essence une négociation permanente. Deux éléments le mettent par contre plus souvent au cœur des débats publics. Premièrement, un régime libéral a pour effet de s’amplifier naturellement. Il permet aux individus de vivre leur vie comme ils l’entendent, provoquant sans cesse la renégociation des conditions de vie en commun. Deuxièmement, les frontières de la communauté politique sont mises sous pression. Les citoyens sont de plus en plus appréhendés comme des égaux au niveau d’une plus grande communauté politique comme l’Union européenne, ou au niveau global. La négociation se transpose donc à ce nouveau niveau (développement de règles pour l’Union/globales), mais elle se transforme aussi à l’intérieur des communautés. C’est pour cela que l’immigration nous pose un défi fondamental : des individus qui n’appartiennent pas à la communauté politique formulent une demande de liberté et de participation en tant qu’égaux à notre égard.  
Eric Deschavanne : S'il fallait pointer une source principale de conflit d'interprétation des valeurs, ce serait à mes yeux l'individualisme démocratique, c'est-à-dire le formidable mouvement d'émancipation de l'individu auquel nous assistons depuis un demi-siècle. Il n'est plus question, dans le débat public, que de l'individu - son éducation, sa santé, sa liberté, son bien-être, ses chances de réussir et de s'épanouir, le soutien et la solidarité dont il doit pouvoir bénéficier, la possibilité d'affirmer son identité, son droit d'être informé, de se divertir, etc. Cette valorisation de l'individu, devenu la fin ultime de la politique,constitue le foyer des conflits idéologiques présents et futurs. Un conflit structurant se met en place, entre d'une part un libéralisme qui défend la liberté et la responsabilité individuelle, et, d'autre part, un socialisme au service de l'individu (qui peut fort bien, je m'empresse de l'ajouter, être mis en oeuvre par la droite), qui promeut un paternalisme bienveillant et doux. Au nom de la production d'un individu véritablement libre, heureux et épanoui, on peut fort bien justifier, par exemple, l'intervention de l'Etat au sein de la famille, afin de régler le problème des violences conjugales, la question des sanctions éducatives, voire celle de la répartition des tâches domestiques. Deux tendances s'opposent, autrement dit, de manière toujours plus accentuée : l'affirmation de la liberté individuelle, et l'aspiration à son encadrement (sa mise sous tutelle), potentiellement répressive, au nom de l'épanouissement individuel bien compris.
Michel Guénaire : Si je garde ma référence aux deux domaines de la liberté des anciens et de la liberté des modernes et à ce qu'ils recouvrent respectivement, je crois que l'équilibre est en réalité fragile depuis l'origine. Benjamin Constant pensait pouvoir annoncer le triomphe de l'indépendance privée des hommes sur le fonctionnement des institutions et les débats publics. A plusieurs moments de notre histoire depuis, les impératifs de la vie collective sont venus sortir les hommes de leur jouissance paisible de l'indépendance privée. Ce furent des guerres, des crises ou des combats. Notre démocratie connaît une telle lutte des contraires dans une situation que l'on sait de surcroît particulièrement tendue. La tranquillité de l'individu n'est plus possible.
L'intérêt général a souvent été porté comme la valeur première de la République, alors qu'elle semble aujourd'hui de plus en plus mineure. Comment expliquer son déclin face aux préoccupations plus individuelles ?
Johan Rochel : La France et son idée de République ont souvent été appréhendées à travers une vision forte de la communauté, et donc une position parfois plus difficile pour les libertés individuelles que dans d’autres régimes politiques. Comme l’expliquait le philosophe américain John Rawls dans son "Libéralisme politique", un régime libéral déploie une très forte énergie grâce à laquelle l’individu cherche à toujours profiter de plus d’espaces de liberté. En d’autres mots, même la République n’échappe pas à une mécanique très profonde, ancrée dans la vision de la liberté individuelle comme base de réflexions et d’actions politiques. D’autant plus que cette liberté est parfois revendiquée avec ardeur par des individus qui ne se reconnaissent pas ou plus dans la vision de la République traditionnelle.
Eric Deschavanne : La valorisation de l'intérêt général ne décline pas: elle se métamorphose sous l'effet de la montée en puissance de l'individualisme et des valeurs de la vie privée. L'intérêt général ne s'incarne plus dans la défense de la Patrie en danger ou de la cause du Peuple, mais il ne disparaît pas pour autant. On ne conçoit plus, et c'est plutôt une bonne chose, l'intérêt général comme devant nécessairement s'opposer frontalement à l'intérêt particulier. L'intérêt général, ce sont des intérêts particuliers partagés, mis en commun. Cet idéal est toujours le nôtre, même si sa traduction concrète est devenue d'une grande complexité dans une société où la liberté et la profusion des médias permettent aux intérêts particuliers les plus discordants de se faire entendre bruyamment.
Michel Guénaire : Ce n'est pas l'intérêt général qui est en question, mais le sens de l'appartenance à une vie collective. Le phénomène est connue : l'individualisme moderne a rompu le socle du vivre ensemble. Il faut seulement juger cette tendance comme étant en réalité très relative. Les individus vont et doivent regarder la vie générale de la cité, ne serait-ce que s'ils veulent que leur situation personnelle soit préservée. Je ne crois pas pour ma part à la démission des individus. La force de la démocratie est aspirante. Aucun homme ne peut s'abstraire d'une vie sociale. Dans les réseaux sociaux, on assiste à un retour de la plus forte expression personnelle des gens sur les sujets communs de la collectivité.
La justice a de plus en plus tendance à privilégier dans ses décisions les valeurs démocratiques individuelles, comme la vie privée, au détriment de valeurs collectives comme l'intérêt général, ou le droit d'informer. Quel serait l'équilibre idéal entre les deux ? Quel devrait être la frontière bien définie entre les deux ?
Johan Rochel : La justice est effectivement de plus en plus le lieu de cette négociation, même s’il faut souligner qu’elle agit en principe dans le particulier, sur un cas d’espèce. L’espace démocratique reste le lieu fondamental des "grandes questions". La question de l’équilibre idéal laisse supposer que cet idéal existe.Je ne pense pas que cela soit le cas. Le point d’équilibre est en mouvement perpétuel et ce mouvement reflète nos choix collectifs, exprimés par voie démocratique. Dans un système de démocratie directe comme la Suisse, ces choix collectifs sont exprimés plus directement que dans un système où les élus modulent ces différentes demandes, comme en France. Dans les deux systèmes, la même modulation est à l’œuvre. 
Eric Deschavanne : En pratique, on voit bien que l'intérêt du public (qui ne se confond pas nécessairement avec l'intérêt public) tend à l'emporter sur le souci de protection de la vie privée. Entre l'individu isolé qui devient une cible médiatique et le public, le combat est à l'évidence inégal. Il est juste, et particulièrement nécessaire dans une société médiatique, que le droit garantisse la protection de vie privée. Et contrairement à ce que vous suggerez, la jurisprudence évolue plutôt, au nom de l'intérêt public, dans le sens d'une promotion des droits de l'information, et ce au détriment de la protection de personnalités publiques qui se voient pour ainsi dire dépossédées de leur droit à l'intimité.
Michel Guénaire : La recherche d'une frontière entre les deux domaines de la vie publique et de la vie privée est une priorité dans l'évolution de la démocratie moderne. D'abord, parce que les deux domaines doivent bien toujours coexister. Ensuite, parce que leur coexistence doit conduire à un juste équilibre. Je ne conçois pas une démocratie qui soit la démocratie du tout public, vestige de la République athénienne où tous les citoyens participaient au forum et à la fois de la démocratie totalitaire où les vies privées sont écrasées. Mais il n'est pas possible non plus de croire à la prévalence absolue des seuls intérêts privés des individus. Cet équilibre sera atteint si les hommes publics assurent leurs responsabilités politiques avec rigueur et transparence, car c'est pour moi le dérèglement de l'action politique qui entraîne l'effacement de la frontière entre vie publique et vie privée. Tout le monde s'occupe de n'importe quoi. Quand la démocratie perd son réglage ou son propre équilibre représentatif, il y a cette crise des genres qui est la crise de la démocratie.  
Quels pourrait être les moteurs d'un rééquilibrage des différents principes démocratiques afin de les faire revenir à une cohabitation harmonieuse, respectant à la fois les libertés individuelles et l'intérêt général ?
Johan Rochel : Attention à ne pas mythifier un passé où les libertés individuelles et l’intérêt général auraient collaboré de manière idéale. Depuis Hobbes, Locke et les théoriciens du contrat, un mouvement très profond d’extension des libertés individuelles est à l’œuvre. C’est positif car cela met au centre des débats la capacité des individus à mener la vie qu’ils ont choisie. La renégociation doit maintenant se poursuivre à d’autres échelles. Pour l’Union européenne, au niveau de l’Union, comme le symbolisent de manière aiguë les discussions sur la libre circulation des personnes et la défense des Etats-sociaux "nationaux". Puis au niveau mondial, où l’approche marquée par les droits de l’homme et des libertés de chacun est en train de redessiner les principes de base des relations pacifiées entre Etats, comme le montre le discours sur la "responsabilité de protéger".
Eric Deschavanne : Le conflit d'interprétation des principes est inhérent à la vie démocratique. Il ne peut y avoir en la matière que des équilibres précaires. Il suffit d'observer et de comparer les sociétés démocratiques pour concevoir la diversité des "équilibres" possibles, lesquels peuvent également varier dans le temps.
Michel Guénaire : Les règles peuvent être inventées : pour favoriser une bonne action politique qui remplit ses devoirs, on peut imaginer accentuer le contrôle politique et les sanctions juridiques ; pour préserver la vie privée, on peut accroître les garanties constitutionnelles et civiles des libertés privées. Le droit ne suffira pas à combler l'exigence morale. C'est de l'éducation du rôle du représentant et de celui du représenté que dépend l'équilibre, dans la démocratie moderne, entre les deux catégories de valeurs identifiées.




NE LE LAISSONS PAS MOURIR

Présent aujourd’hui


Le président de Présent Militants vous annonçait dans son éditorial du 5 mars 2014 des informations plus précises sur la situation économique de Présent.
Il me revient de vous la détailler, chers amis lecteurs :
— Le nombre d’abonnements pour la version imprimée est tombé à 2 500 environ. Par internet, il est à 400. Dans les belles années de conquête, nous étions à 12 000.
— Les ventes en kiosque plafonnent, selon les jours, entre 300 et 600, alors que nous mettons en place 2 500 exemplaires.
— Notre chiffre d’affaires a baissé de 17 % entre 2009 et 2012.
— Vous avez, en 2013, parrainé 500 abonnements à taux réduit qui furent une bouffée d’oxygène remarquable. La société a compensé cette réduction à hauteur de 54 000 euros. Le chiffre d’affaires de 2013 a néanmoins baissé de 5 %.
— Les abonnements parrainés se terminent. Le taux de réabonnement est de 7 %, soit 35 lecteurs abonnés pour 500 parrainés.
— Il nous reste 3 mois en capacité de trésorerie pour redresser la barre.
Amis lecteurs, la mort de Jean Madiran a été un bouleversement supplémentaire dans le fonctionnement de la société et du journal. Jeanne Smits a voulu l’affronter courageusement, mais elle l’a fait sans préparation ni soutiens suffisants, au détriment de sa santé.
Une page de la gérance de Présent se tourne. Le combat pour défendre nos valeurs continue. Un journal, c’est aussi une entreprise. Nous avons besoin d’un outil professionnel et d’une gestion adaptée aux techniques de notre époque, mais aussi à l’évolution du mode de vie de nos lecteurs.
Notre famille de pensée est puissante, vivante et créative sur internet. Présent en est presque absent. C’est à nous de lui donner sa place et d’y apporter la permanence de l’imprimé.
La presse gratuite n’existe pas sauf à être un catalogue de publicités, vide de réflexions et d’engagements, loin de nos exigences spirituelles.
Nos lecteurs ont vieilli. Nos rédacteurs aussi. Tous doivent transmettre leur savoir-faire quand il en est encore temps. Nous devons ouvrir nos portes aux jeunes rédacteurs qui feront la presse de demain. Nous devons proposer de nouvelles conditions d’abonnement, plus diversifiées, pour que la jeunesse exigeante qui descend dans la rue nous rejoigne.
Amis lecteurs, fidèles et militants, nous avons, plus que jamais, besoin de vous, de votre soutien financier, de vos abonnements. Un effort considérable de réorganisation est en cours avec l’aide bénévole d’une équipe de professionnels expérimentés, attachés au journal depuis sa fondation.
Le monde bouge, le combat continue, et nous allons le gagner ensemble.
Le directeur général

Municipales : (re)faisons de Paris une fête !

Gaspard Koenig a lu les programmes de NKM et de Hidalgo. Au-delà de l'empilage de mesures plus ou moins imaginatives, un substrat idéologique commun : la tranquillité.

N'ayant pas les compétences techniques pour savoir s'il est possible de recouvrir 1,4 kilomètre de périph' ou de végétaliser 100 hectares de terrasses, propositions-phares des deux candidates à la mairie de Paris, j'ai entrepris de lire le reste de leurs programmes. Ce n'est pas une mince affaire : la "version longue " du projet de NKM n'est tout simplement pas disponible sur le site (suis-je le seul à avoir essayé de me la procurer ?), tandis que télécharger la "synthèse" m'a pris cinq bonnes minutes, le temps de m'inscrire sur Calaméo, d'entrer ma date de naissance et autres renseignements vitaux, de confirmer mon adresse mail et de parcourir deux ou trois fois un labyrinthe numérique pour enfin trouver le PDF. Le programme de la concurrente socialiste est plus accessible, mais c'est pour tomber sur une dissertation de 196 pages en petits caractères, avec des perles telles que "depuis l'Antiquité, la maîtrise de l'approvisionnement alimentaire est la clé du développement des villes". Visiblement, aucune des deux candidates n'a très envie que son programme soit lu, et personne ne semble d'ailleurs s'y essayer. 
Dommage, car ces textes sont instructifs. Au-delà de l'empilage de mesures plus ou moins imaginatives, quel est le fonds, la vision, le substrat idéologique ? Une seule réponse, commune aux deux projets : la tranquillité.
Anne Hidalgo est tout à fait explicite sur ce point : elle veut "transformer Paris en ville verte, ouverte et apaisée". L'adjectif "apaisé" revient d'ailleurs à de nombreuses reprises : la mobilité doit être "innovante et apaisée", la vitesse sera limitée "pour apaiser la ville", et les collégiens fragilisés se verront même offrir "des apprentissages apaisés" (sic). Fer de lance de cette politique, une "brigade verte et antibruit" (je n'invente rien), épaulée par des "correspondants de nuits chargés de veiller à la tranquillité des Parisiens". Chers Parisiennes et Parisiens énervés, agités, bruyants, nous avons les moyens de vous apaiser.

"Tranquillité des rues"

Jalouse de tant d'inventivité, NKM contre-attaque sans nuance en ouverture de son propre programme : "Je garantirai la tranquillité des rues de Paris." Pour cela, elle a recours à l'arsenal plus classique de la droite : caméras de vidéosurveillance et arrêtés anti-mendicité. Mais plus loin, surprise ! NKM propose à son tour des "brigades vertes" : les inspecteurs du Centre d'action pour la propreté de Paris (CAPP) patrouilleront avec les inspecteurs de sécurité de la Ville de Paris (ISVP), habilités à relever les identités pour traquer les citoyens salisseurs. Ils pourront se reposer sur une police de quartier pour verbaliser les incivilités (dont, encore une fois, le "bruit").
Parisiennes, Parisiens, ne parlez pas trop fort, lavez-vous et soyez polis. Est-ce là l'ambition des candidates pour une mégalopole ? Certes, leurs programmes couvrent bien d'autres aspects, mais entre les lignes se trouve en permanence cette volonté de diminuer le stress, d'améliorer la "fluidité", etc.
Je leur recommande la lecture de la préface de la Fable des Abeilles, où le philosophe iconoclaste Bernard Mandeville décrit ainsi le Londres du XVIIIe siècle naissant : "Il y a peu de gens qui n'aimeraient que les rues de cette ville soient bien plus propres qu'elles ne le sont d'ordinaire. Mais quand ils se mettent à considérer que ce qui les offense vient de l'abondance, du commerce considérable et de l'opulence de cette puissance cité, s'ils ont son intérêt à coeur, c'est à peine s'ils souhaiteront parfois en voir les rues moins sales... Chaque instant doit produire de nouvelles ordures, et il est impossible que Londres soit plus propre à moins d'être moins prospère." Autrement dit : une cité trop policée est une ville morte. Une capitale vibrionnante produit du déchet, sous forme de bruit, de détritus, d'un certain chaos urbain. Il faut nettoyer, bien sûr. Mais faire de la propreté, de la tranquillité un but en soi, c'est renoncer à devenir une ville-monde. 

"La nuit, c'est l'âme d'une grande ville"

Je prendrai donc la question dans l'autre sens. (Re)faisons de Paris une fête. Revenons sur l'arrêté de 2008 qui limite drastiquement les autorisations d'ouverture de nuit pour les bars. Dans la foulée, ouvrons des casinos dans Paris, où ils sont interdits depuis plus d'un siècle. Que propose NKM pour la vie nocturne ? "Réinvestir les espaces délaissés à l'écart de tout voisinage pour en faire de nouveaux lieux de fête". Confond-elle Paris et Berlin ? Ou veut-elle envoyer les fêtards sur le périph ? Quant à Anne Hidalgo, elle suggère d'expérimenter l'ouverture nocturne de certains parcs "pour y rêver la nuit ou y deviser entre amis". Je me rappelle avoir sauté la nuit, il y a bien longtemps, la grille du Jardin des Plantes. C'était bien sûr pour "y deviser entre amis".
Mesdames, la nuit ne se passe pas dans des "espaces délaissés", ou à "deviser". La nuit, c'est l'âme d'une grande ville. J'ai vécu au-dessus d'une boîte de nuit : si le bruit vous indispose, je conseille les boules Quiès. Anne Hidalgo et Nathalie Kosciusko-Morizet nous préparent une ville proprette, silencieuse et endormie. Voulons-nous devenir Zurich-sur-Seine ? La ville avec la meilleure qualité de vie au monde, et une brigade verte à chaque coin de rue ? Plutôt que de proposer aux jeunes des passes Imagin'R ou des abonnements Autolib', rendez-leur la nuit.

Sarkozy, l'homme à abattre


Nicolas Sarkozy est une nouvelle fois la cible des juges. Qui n'ont pas hésité à le mettre sur écoute téléphonique comme son avocat, Me Thierry ­Herzog. Les proches de l'ancien président sont persuadés que François ­Hollande n'est pas étranger à toute cette agitation. Enquête sur l'obsession du Président.
«Sarkozy, je le surveille, je sais tout ce qu'il fait.» Anodine en apparence, quand François Hollande la prononce le 17 février à l'Elysée, devant la petite ­dizaine de jeunes députés PS réunis autour de lui, cette petite phrase a pris ces derniers jours une importance considérable. Depuis la révélation par Le Mondeque Nicolas Sarkozy et son avocat, Me Thierry Herzog, étaient placés depuis près d'un an sur écoute téléphonique par deux juges d'instruction, ce qui pouvait apparaître comme une boutade ou une forfanterie risque désormais de passer pour la preuve d'une manipulation, voire d'une surveillance de l'ancien président.
Bien sûr, rien ne permet aujourd'hui d'assurer que le contenu des écoutes est parvenu sur le bureau du chef de l'Etat. Mais cette phrase sème le trouble. Malgré les démentis officiels, peu nombreux sont ceux qui croient que le ministre de l'Intérieur, Manuel Valls, son homologue de la Justice, Christiane Taubira, n'ont pas été informés de l'existence de ces écoutes. Même un ancien magistrat comme Bruno Thouzellier a reconnu lundi dernier, sur France 5: «Il paraît difficile d'imaginer qu'ils n'aient pas été au courant.» Dans ce contexte, il semble logique que le président de la République ait pu être informé lui aussi que son prédécesseur était écouté.

L'antisarkozysme, une obsession

L'obsession Sarkozy chez François Hollande n'est pas nouvelle. Il avait centré sa campagne présidentielle sur l'antisarkozysme. Une campagne qui s'est achevée le 2 mai 2012, lors du débat télévisé de l'entre-deux-tours, par la fameuse anaphore: «Moi, président de la République…» En décrivant quel président il voulait être, le candidat ­socialiste avait pris ce soir-là le contre-pied systématique de Sarkozy. À l'Elysée, les premiers mois de son mandat se sont inscrits dans cette lignée. «C'est l'antisarkozysme qui a conduit à certains choix du Président, ­décrypte un dirigeant socialiste. Cette obsession l'a empêché de comprendre que la pratique sarkozyste du pouvoir n'était pas uniquement liée à la personnalité de ce dernier, mais aussi aux bouleversements liés au quinquennat.»
Seuls les proches du chef de l'État nient qu'il soit obsédé par son prédécesseur:«Je n'ai jamais parlé une seule fois de Nicolas Sarkozy avec lui depuis qu'il est à l'Élysée», affirme Bruno Le Roux, patron des députés PS à l'Assemblée. «C'est un non-sujet, jure Stéphane Le Foll, ministre de l'Agriculture. Même au plus fort de la campagne présidentielle, je lui disais d'oublier Sarkozy. Aujourd'hui, il faut recommencer. Ce n'est pas à nous de désigner un adversaire.»
Peut-être. Mais visiblement, François Hollande a recommencé à se préoccuper de celui qui sera peut-être son futur adversaire en 2017. «Pendant un temps, décrypte un élu socialiste, il a pu considérer que le ­retour de Sarkozy serait la meilleure chose pour lui, parce que l'ancien président fait peur et ­remobiliserait immédiatement l'électorat de gauche. Mais depuis qu'il est au plus bas dans les sondages, Hollande a changé d'avis. Sa crainte est que Sarkozy revienne. Pour Hollande, ça va être très dur d'accéder au second tour.»

Guerre des images et des séquences

Alors le chef de l'Etat ne lâche pas d'une semelle son ancien adversaire. «Il a un œil en permanence sur Sarkozy», estime un député qui a vu récemment Hollande. Ses ­récents interlocuteurs en ont eu également la confirmation en l'entendant raconter le ­télescopage, sur les chaînes d'info en continu, des images de son arrivée pour sa visite d'Etat à Washington et celles de ­Nicolas Sarkozy au meeting parisien de Nathalie Kosciusko-Morizet.«Vous avez vu son opération pour parasiter ma séquence?» leur demande-t-il. Eux n'en sont toujours pas revenus de constater que rien ne lui avait échappé, alors même qu'il se trouvait avec Barack Obama! Les proches du ­Président peuvent bien minimiser l'impact de ces images: «Le Président était avec Obama, tandis que Sarkozy s'affichait avec NKM, celle qui va se prendre un râteau aux municipales. Si c'est ça le retour, c'est ridicule! Ce n'est même pas professionnel!»
N'empêche, les images de l'ancien président acclamé à chacune de ses sorties, lundi dernier à Nice, mardi soir à l'Olympia pour le concert de son épouse Carla Bruni, ne peuvent qu'agacer un homme contrarié par les sifflets du 11 Novembre sur les Champs-Élysées et à Oyonnax. De la même façon, l'année dernière, il n'avait pu s'empêcher de répondre à l'ancien président qui avait, selon un «confidentiel» paru dans la presse, critiqué l'intervention française au Mali: «On ne va jamais dans un pays qui n'a pas de gouvernement.» «Si certains s'interrogent pour savoir pourquoi la France est au Mali, c'est parce qu'il y avait des femmes qui étaient victimes de l'oppression et de la barbarie», avait publiquement répondu le Président, bien décidé à ne plus rien laisser passer.

Théorie du complot

L'obsession Sarkozy est également alimentée par l'entourage du chef de l'Etat. Certains conseillers n'étaient pas loin de penser que les amis de Sarkozy n'étaient pas étrangers à la publication dansCloser des photographies de François Hollande casqué sortant d'un immeuble de la rue du Cirque après avoir passé la nuit avec l'actrice Julie Gayet! Les mêmes journalistes qui ont révélé l'affaire des écoutes téléphoniques, Gérard Davet et Fabrice Lhomme, ont écrit dans Le Monde que le magazine people aurait pu être informé par «des relais sarkozystes de premier plan», et que François Hollande et Valérie ­Trierweiler avaient déjà vu «l'action de réseaux sarkozystes souterrains» dans la révélation par le même hebdomadaire de l'interpellation de l'un des fils de sa compagne de l'époque pour l'achat de cannabis. «Hollande pense que Sarkozy est capable de tout», assure un proche du Président.
Dans le camp d'en face, la même théorie du complot ressort à chaque nouvelle affaire dans laquelle le nom de Sarkozy est cité ou mêlé. Me Thierry Her­zog, soupçonné de trafic d'influence et de violation du secret de l'instruction, estime qu'«il s'agit d'une affaire politique» et qu'il «le ­démontrera le moment venu». La réaction des élus socialistes laisse penser à des éléments de langage distillés au plus haut niveau. Rue de Miromesnil, quartier général de l'ancien chef de l'État, personne ne veut être dupe! «Imaginez si la justice avait fait écouter l'avocat de Hollande quand j'étais à l'Élysée», a lancé Nicolas Sarkozy à ses visiteurs en début de semaine. Et comment comprendre que les gens de gauche défendent ce qu'ils dénonceraient si l'un des leurs en était la victime?
Brice Hortefeux, lundi sur RTL, n'a pas dit autre chose quand il s'est interrogé: «Est-ce un hasard quand la garde des Sceaux réunit l'ensemble des procureurs pour leur ordonner de faire directement remonter à elle tous les dossiers sensibles? Est-ce un hasard quand on convoque le procureur général de Paris pour le remplacer par un socialiste? Est-ce un hasard quand, à 15 jours d'un scrutin lourd et difficile pour la majorité, on ­envoie autant de boules puantes dans la même direction? Est-ce un hasard quand François Hollande, recevant des députés et évoquant Nicolas Sarkozy, dit: «“Je sais très exactement ce qu'il fait”»?

Donner le change

Il est loin le temps où François Hollande minimisait devant les journalistes la tension perceptible le jour de la passation de pouvoir entre les deux hommes à l'Elysée. Le nouveau président, qui n'avait pas daigné raccompagner son prédécesseur au bas des marches du perron, avait tourné les talons avant même son départ et omis de citer son nom dans la liste des présidents de la Ve République! En marge d'un déplacement en Guyane, le chef de l'État avait expliqué qu'il regrettait cette interprétation de la cérémonie de mai 2012: «Ce n'est pas du tout le sentiment qui existait quand on a fait cette passation de pouvoir. La discussion entre nous a été apaisée, responsable. Ce n'était pas froid.»
Loin aussi, le temps de la cérémonie d'hommage à Nelson Mandela en Afrique du Sud, où les deux hommes se sont retrouvés assis côte à côte dans les tribunes du stade de Soweto. Soucieux de donner le change devant les photographes et les caméras, ils simulent sourires et amabilités. «Nous avons évoqué la situation internationale, ce que Sarkozy a fait en son temps, ce que je fais aujourd'hui», éludera plus tard le Président.
Mais aujourd'hui, le climat a changé. Quand il raconte cet épisode à un de ses proches, François Hollande s'esclaffe: «C'est incroyable, Sarkozy ne m'a parlé que d'argent! Combien il gagnait, le fait que les présidents de la République étaient mal payés, et qu'il était plus simple pour lui d'en gagner aujourd'hui… Tu te rends compte?» Entre les deux hommes la guerre est de nouveau déclarée. Terminé les sourires et les amabilités, place aux missiles et autres armes de guerre. Retour au «sale mec» et au «nul», qualificatifs dont Hollande et Sarkozy usaient devant les médias pendant la campagne présidentielle pour évoquer leur adversaire.
Surtout, le Président a fini par comprendre que son obsession antisarkozyste l'avait conduit à faire des erreurs. Aujourd'hui, il tente de faire marche ­arrière. Il en va ainsi de ses liens avec les élus socialistes. Hollande, qui avait promis de ne pas recevoir de parlementaires de la majorité à l'Élysée, comme son prédécesseur le faisait en grande pompe avec les députés UMP, s'est ainsi longtemps fait prier quand ses conseillers lui parlaient de la nécessité de voir les députés socialistes. Le chef de l'État a finalement plié. Depuis le mois d'avril, il reçoit discrètement mais régulièrement une dizaine de parlementaires PS.

«Mais comment faisait Sarkozy?»

Avec Jean-Marc Ayrault, François Hollande, qui avait lancé «Moi, Président, je ne traiterai pas mon Premier ministre de collaborateur», a d'abord voulu retrouver un fonctionnement institutionnel plus classique, avec une meilleure ­répartition des rôles entre l'Élysée et Matignon et un espace dévolu au Premier ministre. Mais au fil des mois et des «couacs» gouvernementaux, le Président a finalement recentré le pouvoir à l'Élysée. Lors de ses derniers vœux aux Français, il a même annoncé qu'il suivrait «personnellement» un certain nombre de dossiers, notamment celui des réductions budgétaires (50 milliards d'euros). Les réunions du comité stratégique de la dépense publique se tiennent désormais à l'Élysée.
Même au sujet de sa communication, Hollande a dû se résoudre à changer. Il s'est longtemps refusé à organiser son action en séquences, selon le principe du «story-telling» cher à Nicolas Sarkozy. Mais les critiques sur la communication de l'Élysée n'ont cessé de s'aggraver. Au point que de nombreux socialistes en ­devenaient presque nostalgiques du fonctionnement de Sarkozy. Un comble! «Sarkozy envoyait une carte postale par jour aux Français, rappelle un conseiller élyséen. Notre problème, c'est qu'on veut faire trop sérieux.» Du coup, rien n'imprime. «Sarkozy parlait aux Français, c'était sa force, ajoute un hollandais historique. Hollande doit raconter une histoire aux Français.»

Hollande «a accepté de faire du story-telling»

Dans son livre Jusqu'ici, tout va mal, la journaliste Cécile Amar raconte une scène surprenante: devant des journalistes réunis discrètement par le Président pour évoquer les problèmes de communication de l'Élysée, il a soudain lancé: «Mais comment faisait Sarkozy?» Depuis sa conférence de presse du 14 janvier, Hollande - qui a ­demandé à son conseiller politique Aquilino Morelle de reprendre en main la communication de l'Élysée -, a décidé de changer les choses. «Il a accepté de faire du story-telling», confirme un proche.
Le 14 janvier, date clé dans l'affrontement qu'il prépare. Le jour où il abat ses cartes afin de compliquer le retour de son adversaire. «Hollande a vu que Sarkozy avait bougé en novembre dans son discours sur Chaban-Delmas, assure un élu socialiste. Le 14 janvier, il se met au centre en vantant la politique de l'offre pour lui fermer la porte.» En novembre, Nicolas Sarkozy surprend effectivement avec un hommage à l'ancien Premier ministre qui voulait construire une «nouvelle société»: «Le dialogue, la participation, l'allégement de l'État, l'ouverture, l'absence de sectarisme ­doivent permettre à une vieille nation de se réformer dès lors qu'elle prend collectivement conscience du poids de ses archaïsmes et du danger de ses conservatismes», ­rappelait Nicolas Sarkozy avant d'ajouter: «J'aime chez Chaban cette ambition généreuse de s'ouvrir à toutes les compétences et à toutes les volontés, de quelque bord qu'elles viennent.»
Ce jour-là, François Hollande comprend que son ancien adversaire ne recommencera pas sa campagne à droite toute de 2012 et qu'il se prépare à occuper le centre. Impossible de lui laisser cet espace décisif pour gagner en 2017. Il anticipe donc le mouvement dès le 14 janvier. «2017 se jouera à trois, veut croire un socialiste spécialiste des élections présidentielles. Le ticket d'entrée pour le second tour se jouera à 20 %.» Il est donc vital pour le président sortant d'avoir face à lui un adversaire affaibli.

Rendez-vous avec l’urne

Rendez-vous avec l’urne


La gauche a rendez-vous avec les urnes. Un premier rendez-vous depuis son retour au pouvoir que les augures et autres savants diseurs de mauvaise fortune annoncent très compliqué, arguant, entre autres, de la cote de popularité du président. Affirmer que ces municipales seront un référendum contre les socialistes au pouvoir, c'est peut-être aller un peu vite en besogne. Et ce n'est pas répéter un vieux poncif d'affirmer qu'aux élections locales les Français votent d'abord, et le plus souvent, sur les enjeux et projets de pays qui conditionnent leur vie de tous les jours. Ils ont raison et ils envoient ainsi un message aux futurs élus pour leur signifier que les dossiers locaux sont la priorité. Et d'ailleurs, ne sont-ce pas les ruisseaux du dynamisme communal qui font la grande rivière de l'économie nationale ?
Noyées dans le flot d'affaires, écrabouillées sous le pilon des mensonges et des compromissions entre amis, floutées derrière les écrans de fumée, les municipales ont disparu des écrans radars. Dommage pour ce temps fort de la démocratie locale, dommage pour la cohésion de nos territoires où les difficultés sont souvent le calque de la crise qui affecte la France et ses investissements.
La chance de ces municipales sera peut-être que le grand bazar national ne parvienne pas à prendre en otages les réalités de la vie quotidienne. Et si, lassés par la perte de sens du débat, les citoyens décidaient, sans s'occuper des sondages de popularité, de choisir des femmes et des hommes dont l'honneur n'est pas remis en cause. À Bordeaux, à Lyon et à Paris, les sortants, qui ne se sont pas servis de leur ville comme d'un marchepied, ne risquent rien. Leurs électeurs donneront quitus à leur façon de faire de la politique. La vie locale n'est pas un sous-produit, ni une étape supplémentaire de la bataille contre un président, elle est le vrai cours de la politique.
La grande déchirure actuelle redonnera peut-être du sens aux municipales. Ce serait un progrès pour notre démocratie. La grande claque FN nous cinglera aux européennes. Elle punira sans ménagement les partis pour avoir choisi des têtes de listes qu'il fallait recaser, décrédibilisant ainsi un peu plus la politique. Il est parfois des gifles salutaires ?

Une semaine de tumultes autour des écoutes de Nicolas Sarkozy


La semaine écoulée de tumultes autour des écoutes de Nicolas Sarkozy, dont le pouvoir socialiste sort tout autant fragilisé que l'UMP, risque fort de favoriser l'abstention aux municipales d'un électorat déboussolé et las des politiques.
Cette séquence aux rebondissements journaliers ne va pas manquer non plus d'accentuer les rumeurs de remaniement gouvernemental après le scrutin municipal, rendu d'autant plus nécessaire que l'exécutif se prépare, pour le printemps, à des réformes cardinales du quinquennat: le Pacte de responsabilité aux entreprises et un programme d'économies de 50 milliards d'euros d'ici à 2017.
Les événements des derniers jours "contribuent à une atmosphère assez délétère et à un rejet des élites politiques en général et en particulier du PS et de l'UMP. Cela va plutôt contribuer à une abstention élevée et peut-être à un vote un peu protestataire, à gauche mais surtout à droite", estime Eddy Fougier, de l'Institut des relations internationales et stratégiques (Iris).
Pour cet expert, le Front national pourrait profiter de ce désaveu mais pas seulement: l'affaire des écoutes de l'ancien président peut constituer, selon lui, un "élément de motivation pour les électeurs UMP qui peuvent avoir l'impression qu'on cherche à avoir la peau de Nicolas Sarkozy d'une manière ou d'une autre".
"Il y a une forme de réprobation générale face au monde politique", constate, désabusé, un député socialiste, qualifiant le scrutin qui s'approche d'"insaisissable". "On ne se fait pas engueuler, on n'est pas mal accueillis. Visiblement, c'est l'enjeu local qui domine très largement l'élection. L'abstention est à redouter, mais pas que pour nous", poursuit le même.
"L'idée d'un vote sanction (profitant à la droite) n'accroche pas", analyse un autre parlementaire qui prévoit toutefois, lui aussi, "une grosse abstention".
Le pays vit depuis une quinzaine de jours au rythme des affaires. La première semaine a été très lourde pour l'UMP, entre les accusations de surfacturation de services au détriment des finances de l'UMP, les enregistrements clandestins de Patrick Buisson, et enfin la révélation d'écoutes judiciaires visant Nicolas Sarkozy.
Mais la deuxième semaine, ce fut au tour de l'exécutif de subir la bourrasque, pour s'être enferré dans des déclarations contradictoires après les attaques de Jean-François Copé accusant Christiane Taubira d'avoir "menti" sur ces écoutes. Jeudi la garde des Sceaux a admis s'être "trompée de dates" en affirmant, dans un premier temps, n'avoir appris que par la presse le placement sur écoutes de l'ancien président.
- 'Enorme gâchis pour la gauche' -
"Aucune instruction individuelle n'a été donnée par l'exécutif, donc par la garde des Sceaux. Il n'y a pas de raison de jeter le soupçon sur l'institution judiciaire, ni d'inventer quelque procès politique que ce soit", a martelé vendredi dans Les Echos Jean-Marc Ayrault, en cherchant à clore la polémique.
L'exécutif répète à l'envi qu'il respecte scrupuleusement l'indépendance de la justice et que son bilan depuis mai 2012 dans ce domaine parle pour lui.
Il n'empêche que l'amertume est grande aujourd'hui dans la majorité après cette tempête politico-médiatique, plusieurs considérant qu'ils n'ont pas su mettre à leur profit les affaires impliquant l'opposition.
"La droite était embourbée de chez embourbée (avec les trois affaires de la semaine dernière) et il se passe ce qui se passe là (les accusations de l'opposition). Mais on croit rêver!" enrageait récemment un ministre. C'est un "énorme gâchis pour la gauche, qui aurait dû sortir grande victorieuse" de toute cette histoire, se désole un parlementaire socialiste.
"Le gouvernement a été trop sur la défensive cette semaine", constate pour sa part un parlementaire écologiste.
Jean-Marc Ayrault s'est déclaré "favorable" dès le début du mois à un gouvernement resserré, relançant par la même les rumeurs d'un remaniement.
Il existe dans le pays "un besoin d'être rassuré et un besoin de compétences. D'autant plus que l'exécutif n'est plus audible", commente un député socialiste. Selon lui, "plus la gauche sera en difficulté (aux municipales), plus il faudra un remaniement fort".
Un autre parlementaire envisage le maintien de Jean-Marc Ayrault avec un remaniement destiné à "donner de l'oxygène et de l'autorité à l'ensemble du couple exécutif", en cette période de réformes d'envergure à venir.

Lynchage

Lynchage


Les insultes tombent de nouveau comme des coups de bâton sur l’ancien président Nicolas Sarkozy: "pervers, voyou, dealer…" Quand j’étais conseiller à l’Elysée et qu’il était  quotidiennement traîné dans la boue, je pensais que ce lynchage faisait partie du jeu démocratique: il était chef de l’Etat et subissait une stratégie destinée à l’affaiblir et à le faire tomber. Je croyais alors que ce phénomène cesserait logiquement, une fois qu’il aurait quitté le pouvoir. Aujourd’hui, je réalise à quel point je me suis trompé. Cette nouvelle avalanche de haine correspond-elle à une réaction de peur face à la perspective de le voir "revenir", comme on dit en langage médiatique? Rien de moins sûr car ils s’y prendraient alors autrement que par l’insulte: ils ne sont quand même pas assez stupides pour penser que leurs crachats sont de nature à bloquer une éventuelle, hypothétique élection dans 3 ans. Cette chasse à l’homme est d’autant plus sidérante que NS garde un quasi-silence politique, donnant lieu chaque jours à des montagnes de commentaires comme si son personnage manquait au paysage politico-médiatique. Non, l’antisarkozysme n’est pas un phénomène conjoncturel, lié à un contexte politique, mais quelque chose de plus profond. Dès lors, il me semble qu’ il faut en chercher l’explication dans les profondeurs de l’imaginaire collectif des milieux d’influence et cercles dirigeants. "Dans le mécanisme fondateur, c’est contre la victime et autour d’elle que s’effectue la réconciliation… La thèse du lynchage fondateur affleure partout" écrit René Girard dans Les choses cachées depuis la fondation du monde. Un groupe humain, en l’occurence celui de la classe politico-médiatique française, dans les périodes de grande souffrance et d’échec, a besoin d’un bouc émissaire à lyncher auquel attribuer ses malheurs et sur lequel cogner. Jadis, cela se traduisait par le discours criminel d’un Drumont repris d’écho en écho par les "élites" de l’époque, de droite comme de gauche. Le même lynchage se produit aujourd’hui sous une autre forme, personnalisée, individualisée. Et la victime en est toute trouvée.

Escabeau et escalade

Escabeau et escalade


Admettons qu'il ne soit pas forcément très opportun de railler l'Europe en ce moment. Surtout à un peu plus de deux mois d'élections où l'euroscepticisme risque de se traduire par une abstention massive. Il faudrait donc défendre l'Europe, si nécessaire à la préservation d'un idéal de paix et à la construction d'un grand ensemble économique et social. Seulement voilà, l'Union européenne n'est pas toujours là où on l'attend. En pleine crise ukrainienne, on aurait aimé des mesures « anti-escalade » militaire. Et voilà qu'on ne parle que de la directive « anti-escabeau » interdisant aux jeunes de 16 à 18 ans de travailler en hauteur chez les arboriculteurs.
On croit rêver. Et pendant ce temps-là, l'Union européenne, incapable d'agir préventivement et collectivement, a laissé Vladimir Poutine annexer la Crimée en toute illégalité. On ira jusqu'à dire que l'Europe, par son impréparation dans la gestion du dossier de rapprochement avec l'Ukraine, lui a même tendu la perche. Dramatiquement, le conflit a démontré que Poutine était prêt à tout, quand l'UE n'était décidée à rien.
Les Européens et les Américains ont toujours eu un temps de retard sur Poutine qui n'a cessé d'avancer ses pions (et surtout ses soldats) pendant que nos diplomates palabraient. Le maître du Kremlin a donc remporté, sans combattre, une guerre que personne ne voulait faire. Le référendum d'autodétermination de dimanche en Crimée va entériner la piteuse faillite diplomatique occidentale.
Il ne sert à rien d'ironiser en soulignant, comme l'a fait Fabius, que les électeurs n'auront que le choix entre le oui… et le oui. La partition de l'Ukraine ne fait plus de doute sans que l'on en connaisse vraiment les conséquences. Poutine assouvit un rêve de grandeur retrouvée non dépourvue de risques. Quant à l'UE, délaissant ses problèmes d'escabeaux, il ne lui reste, dans sa si laborieuse riposte graduée, qu'à dissuader Poutine d'aller plus loin dans la déstabilisation de la partie orientale de l'Ukraine. Et d'éviter une conflagration à… grande échelle.

Le syndrome Lucky Luke

Le syndrome Lucky Luke


Le gouvernement continue à attendre la reprise comme on attend le secours du régiment de cavalerie dans "Lucky Luke".

Des trois engagements économiques clés de François Hollande, pas un n'a été tenu. Sur les finances publiques, l'année 2013 avait été promise comme celle du retour à 3 % de déficit par le président fraîchement intronisé. Quelques mois plus tard, il a fallu en rabattre. Et annoncer 4,1 % après tractations avec Bruxelles pour retarder une énième fois l'échéance. Le vrai résultat de l'année sera établi par l'Insee à la fin du mois de mars. Il sera encore supérieur à cet objectif révisé. Et pas très différent du déficit de 2012, qui était de 4,8 % du PIB... Le tout alors que le gouvernement a levé 30 milliards d'euros d'impôts supplémentaires ! Présenté aux Français comme un sacrifice pour rétablir les comptes du pays, le coup de massue fiscal n'a fait que plomber la croissance, amoindrir les recettes et retarder encore le retour un déficit acceptable. Retour désormais attendu pour 2015. À moins que la France, championne de la procrastination budgétaire, n'obtienne un nouveau report.


Le deuxième engagement touche évidemment au chômage : la fameuse "inversion de la courbe". Là encore, échec. La baisse de 0,1 % du taux de chômage à la fin de 2013 ne saurait être considérée comme un reflux. Elle n'est qu'infinitésimale. Et le nombre d'inscrits à Pôle emploi, s'il ne grimpe plus comme avant, reste depuis six mois sur un haut plateau. Malgré les dizaines de milliers d'"emplois d'avenir" et autres contrats aidés financés par la puissance publique.
Le troisième est la promesse de stabilité fiscale. Promesse contredite par le gouvernement lui-même, qui a engagé un inquiétant chantier de réforme des prélèvements. Comment croire que cette réforme ne va pas faire de nouvelles victimes ? Contredite encore, la majorité parlementaire, qui furète et bat les buissons du matin au soir, à la recherche de nouvelles taxes. Par les collectivités locales, qui, dès les élections municipales passées, vont poursuivre la hausse des impôts qui assurent leurs revenus. Et cela d'autant plus que l'État va réduire encore leurs dotations budgétaires. La hausse des droits de mutation intervenue le 1er mars dernier n'est que le signe avant-coureur du choc fiscal à venir.
Impôts, déficits, chômage : trois fois malmené par les faits, l'exécutif n'a fait que décrédibiliser une parole publique qui n'en avait guère besoin. Ce triple démenti explique en large part l'impopularité du président et de son Premier ministre. Si François Hollande a pris ces risques, c'est parce qu'il a construit le premier acte de son mandat sur un postulat : la croissance va revenir grâce à l'alternance des phases du cycle économique. En gros, ça va aller mieux parce que ç'a été mal. Théorème rudimentaire, et pourtant souvent sollicité. Attendre est la politique économique favorite des hommes politiques français. Ils en ont fait un art. Les socialistes étaient d'ailleurs persuadés que le seul départ de Sarkozy allait chasser les mauvais esprits. Un peu comme en 1997, quand la gauche était arrivée au pouvoir par accident, grâce à la dissolution de l'Assemblée, avait réussi sur le plan économique par hasard - la croissance mondiale et européenne renaissait - et s'en était attribué le mérite.
Une fois la croissance revenue, le chômage aurait baissé, les déficits se seraient réduits, et plus besoin d'augmenter les impôts : les trois promesses du président étaient tenues. Il a fallu en rabattre là aussi, à la fin 2013, lorsqu'il est devenu évident que la reprise était une sorte de tôle ondulée inconfortable. Mais le président n'a pas renoncé à son pari. Seul son calendrier a changé. Puisque la reprise n'est pas là, c'est qu'elle arrivera plus tard. Le deuxième acte du quinquennat Hollande est construit, lui aussi, sur le même fragile acte de foi. Le gouvernement continue à attendre la reprise comme on attend le secours du régiment de cavalerie lors d'une attaque indienne, dans les aventures de Lucky Luke.
Il est pourtant vraisemblable que la reprise soit décevante en 2014 aussi. Ce cycle n'est pas comme les autres. Il est plombé par l'effet de traîne du désendettement mondial et, en Europe, par les effets délétères de l'union monétaire mal gérée. Avec l'euro, tout déficit de compétitivité se paie par une croissance plus faible et un chômage plus élevé. La reprise est donc plus tardive, et surtout beaucoup plus inégale qu'auparavant : elle aura ses élus et ses réprouvés. Autrement dit, la cavalerie n'arrivera peut-être pas à temps chez nous. C'est déjà ce que Nicolas Sarkozy avait expérimenté en 2012.
Avant la crise, les contrariétés de ce genre étaient masquées par des artifices. Faute de pouvoir dorénavant dévaluer sa monnaie, la France s'était réfugiée dans l'endettement pour maintenir un niveau de vie en croissance régulière. Après avoir usé de l'expédient monétaire, nous avons abusé du crédit. C'est fini. François Hollande a la malchance d'être au pouvoir alors que le temps des subterfuges est révolu.