Le ton était martial mais la réalité l’est moins. Quatre semaines après la conférence de presse du 18 septembre, au cours de laquelle François Hollande annonçait le « soutien aérien » de la France à l’Irak contre les djihadistes de Daesh, où en sommes-nous militairement ? Pas très loin… L’armée de l’Air n’a procédé qu’à deux frappes, les 19 et 26 septembre, contre des dépôts logistiques. Et depuis lors, rien. Les combattants islamistes voient passer chaque jour les Rafale au-dessus de leur tête, mais aucune bombe GBU-12 ne tombe du ciel. Entre-temps, le Français Hervé Gourdel a été décapité par des djihadistes algériens en réponse à l’opération française, baptisée Chammal. Sur le terrain, l’essentiel de l’action se déroule en Syrie, où Paris a décidé, pour l’instant, de ne pas intervenir militairement.
Par sa communication, le ministère de la Défense remplit le silence des armes, avec une vingtaine de communiqués publiés à ce jour. On y annonce d’abord la décision d’envoyer trois Rafale en renfort, puis leur départ de Saint-Dizier, puis leur arrivée à Al-Dhafra, la base française aux Emirats arabes unis, puis leur première mission, puis leur premier vol de nuit… Les djihadistes tremblent. Ce n’est pas la « drôle de guerre » de 1939-1940, mais ça y ressemble, en beaucoup plus modeste. En privé, les interrogations fusent désormais de toutes parts : « Que sommes-nous allés faire là-bas ? » « On y est, mais on ne fait rien. C’est grotesque, » tranche un observateur proche du dossier. A l’état-major, on se défend en expliquant que l’action de la coalition s’inscrit dans le « long terme » et qu’il faut compter en mois. Au moins.
Sur l’ensemble du théâtre Syrie-Irak, la participation aérienne française représente environ 1 % des missions d’une coalition à 90 % américaine. Le poids de la France correspond à celui des fidèles alliés de Washington également présents : le Royaume-Uni (qui a quand même procédé à cinq frappes en une semaine), les Pays-Bas, la Belgique, le Danemark et l’Australie. La réalité militaire de la participation arabe aux côtés des Etats-Unis – uniquement en Syrie – est difficile à évaluer ; seuls les Emirats semblent fournir un vrai effort aérien.
Une source militaire reconnaît que les frappes françaises sont « extrêmement modestes » parce que « les occasions de frapper sont rares ». « Il n’y a pas en Irak de “zones de chasse libre” comme il y en avait par exemple en Libye », où tout combattant repéré dans un secteur défini était considéré comme hostile. En Irak, « l’alliance entre les tribus sunnites et Daesh » pose un problème politico-militaire. Tirer sur des combattants ennemis signifierait, dans de nombreux cas, tuer des sunnites ralliés à Daesh, mais pas forcément des djihadistes de l’Etat islamique. Or, la stratégie globale de la coalition vise à séparer les sunnites de Daesh, pas à les précipiter dans leurs bras. Toute la difficulté est donc de « discriminer » les uns des autres. Pas simple, d’autant qu’il existe une « fusion » entre les combattants et la population. Toute frappe peut donc se solder par des pertes civiles, qui dresserait l’opinion sunnite contre la coalition. On l’a vu en Afghanistan et l’on craint de le revoir en Irak.
Cette modeste participation militaire présente un avantage : elle permet à la France d’être présente politiquement sur ce dossier. « Ne pas être dans la coalition contre Daesh aurait été incompréhensible » assure un diplomate français de haut rang. Grâce à ses diplomates et ses militaires, « la France occupe une position centrale dans la gestion des crises, elle est au cœur du laboratoire », ajoute-t-il. Interrogé sur les succès de la politique étrangère dans la région, il concède toutefois que « la médecine peut être en difficulté face à la maladie » Bref, que notre belle machine ne produit guère de résultats concrets en Afrique du nord et au Moyen-Orient.
Pour la Défense, l’Irak n’est pas le dossier prioritaire. Alors que le renseignement est essentiel, les militaires connaissent mal le terrain, à l’exception du Kurdistan où ils ont gardé de vieux contacts, et savent que c’est d’abord une affaire américaine. Ils seraient plus à l’aise pour intervenir en Syrie – mais l’Elysée met toujours son veto. Le grand sujet qui préoccupe l’armée française, c’est le Sahel et la Libye. Sur une carte interne au ministère de la Défense, on pouvait récemment voir un grand ovale courant du nord-Mali au sud-ouest libyen. Moins de deux ans après le début de l’opération Serval, les groupes armés terroristes opèrent à nouveau dans tout le secteur, en particulier dans le nord du Mali. En septembre, ils ont tué dix casques bleus tchadiens et, début octobre, neuf casques bleus nigériens. L’Algérie observe la remontée en puissance des groupes terroristes sur son territoire avec beaucoup de préoccupation, comme le Tchad ou le Niger. Le sud-ouest de la Libye, où aucune force armée nationale ou internationale n’est présente, est livrée aux groupes terroristes et/ou mafieux.
Les 3 000 militaires français de l’opération Barkhane dans la bande sahélo-saharienne sont aux premières loges. Or, cette opération repose sur une étroite coopération avec les Etats-Unis qui fournissent du renseignement, des drones, des ravitailleurs en vol. Au Sahel, la France ne peut pas se passer de l’aide militaire américaine. Difficile, dans ces conditions, de dire non à la Maison Blanche – même si personne n’y a songé – lorsqu’elle demande à la France de se joindre à la coalition en Irak. Fût-ce pour un apport militaire modeste, mais important pour l’affichage politique.