TOUT EST DIT

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samedi 25 octobre 2014

"Ces cariatides sont rarissimes"

Et un trésor de plus ! Après des cariatideset une impressionnante mosaïque, c'est une tête de sphinx en marbre qui a été découverte dans le colossal tombeau d’Amphipolis, en Macédoine, au nord de la Grèce.
Elle a été retrouvée dans la troisième chambre funéraire (4,5mx6m) mises au jour par l’archéologue Katerina Peristeri et son équipe. Depuis le mois de juillet, (lire sciences et avenir n°811), les découvertes se succèdent sur le site qui pourrait être la tombe d’un proche d’Alexandre le Grand, roi de Macédoine, qui vécut au IVe siècle avant JC.
La rumeur voudrait qu’il s’agisse de la sépulture de Roxane, l’épouse du célèbre conquérant, la mère de celui-ci, Olympias, ou l’un de ses généraux.La tête de sphinx de 0,60cm de hauteur, coiffait le corps d’une des sphinges situées à l’entrée du tombeau. Des fragments d’ailes ont également été recueillis.
Bernard Holtzmann, professeur émérite d’archéologie grecque, à l’université de Paris-X Nanterre, nous livre ses réactions sur ce monument d’exception.

En tant qu’éminent spécialiste de l’art grec, que vous inspirent ces récentes et exceptionnelles découvertes ?
Par bien des aspects, cette tombe ne ressemble pas aux sépultures traditionnelles macédoniennes. Jamais aucune d’elles n’a été découverte avec un lion à son sommet comme c’est le cas de celle-ci puisqu’il a été établi que la statue léonine retrouvée au début du XXe siècle en contrebas du site ornait ce tumulus. Je parle ici des tombes royales à chambre voutées, telles que les fouilles archéologiques de Vergina, l’ancienne Aigai [première capitale du royaume de Macédoine, NDLR], située à une centaine de kilomètres d’Amphipolis,  nous les ont fait connaitre. On y trouve par exemple la tombe de Philippe II (assassiné en 336 av.J.C) le père d’Alexandre le Grand (356-323 av. J.C). Jusqu’à présent, les lions trouvés en Grèce étaient uniquement associés à des tombes communes de guerriers morts au cours de batailles importantes.

Quelle autre caractéristique distingue ce tombeau ?
D’un pur point de vue architectural, on ne trouve pas de couloir d’accès, ni de porte entre l’extérieur et la première salle, comme c’est le cas habituellement dans les tombeaux macédoniens. Ce que l’on voit ressemble plus à un vestibule ouvert. Cette tombe est vraiment différente.

Quelle signification donner à la présence des deux sphinges de 2m de haut mises au jour à l’entrée, et dont on vient de retrouver une des têtes ?
Dans la mythologie grecque, les sphinges étaient des monstres féminins. Toujours assis bien qu’ailés, leur rôle était de protéger les tombes. Telles qu’on peut les voir à Amphipolis elles sont parfaitement à leur place. S’il est donc assez naturel de retrouver ces sculptures à l’entrée de la sépulture, leur présence est néanmoins archaïsante. D’une certaine façon, alors que nous sommes au IVe siècle av. J.C, nous percevons un retour à une forme d’expression des couronnements de stèles funéraires avec une sphinge gardant la tombe, telles qu’elles étaient reproduites au VIIe-Ve siècle av. J.C. Cette façon d’orner les sépultures avaient disparu à la période hellénistique (338-30 av. J.C), - époque de la construction du tombeau d’Amphipolis.

Quand fixez-vous la fin de cette période « archaïque » ?
Elle s’est achevée avec les guerres médiques entre la Perse et les cités grecques, c’est-à-dire au début du Ve siècle av J.C. La période archaïque à laquelle je fais référence couvre grosso modole VIIe et VIe siècle.

Qu’avez-vous pensé des deux impressionnantes cariatides découvertes à l’entrée de la seconde chambre?
Il faut déjà savoir que ces représentations sont rarissimes. Les cariatides se comptent sur les doigts d’une main.  Seules en existe deux ou trois à l’époque archaïque, puis à l’époque classique, au Ve siècle av. J.C, on trouve celles de l’Erechthéion, sur l’Acropole. Mais à Amphipolis, autant la présence des sphinges s’explique, autant celle des cariatides intrigue. Ces sculptures étaient utilisées en architecture en guise de colonnes. Par la suite, ce rôle sera purement décoratif. À Amphipolis, les cariatides n’ont pas de fonction architecturale (de ce que j’ai pu en voir sur les photos publiées). Elles semblent être en appliques de part et d’autre de l’entrée de la deuxième chambre. Avaient-elles à ce moment-là une fonction funéraire ? Là aussi, cela se discute. Les cariatides de Delphes se trouvaient dans  un bâtiment votif qui n’avait rien de funéraire. À Amphipolis je vois cette présence comme un artifice plutôt formel.
Pourriez-vous préciser ?

Sculpter des cariatides coutait beaucoup plus cher que de placer de simples colonnes. Il y a donc là une volonté de raffinement évident. Et dans le cas d’Amphipolis, les deux cariatides sont bien en ornement. On voit aussi que leur traitement plastique est archaïsant. Le drapé qui les enveloppe imite des drapés anciens. De même que les coiffures avec leurs ondulations
Pourriez-vous décrire ces parures ?
Les deux cariatides portent un coré, vêtement modelé dont étaient vêtues la plupart des figures féminines archaïques, en plus d’une tunique fine au-dessus, le chitôn, avec ses faisceaux de plis en zig-zag typiques de l’époque archaïque.
Le thème de « L’Enlèvement de Perséphone », pousse forcément au rapprochement avec une des peintures murales inachevées découvertes dans la « Tombe Un » de Vergina.
C’est-à-dire ?
Il s’agit d’une petite tombe à chambre, sans voute, avec un toit plat, plus étroite que celle de Philippe II, située non loin. On y a trouvé des peintures inachevées. Des œuvres de très grande qualité avec des vues en perspective qui présente ce même thème : Hermès aux pieds ailés court à côté d’un char sur lequel se trouve en cocher barbu, Hadès dieu des Enfers, en train d’enlever Perséphone, la fille de Zeus et Déméter. Ce motif est une grande scène funéraire.
De quand date cette tombe de Vergina ?
Cela est très difficile à dire car elle a été pillée, mais on la situe dans le 3e quart du IVe siècle av. JC. Entre 350 et 325 av.J.C….  
Un âge quasi contemporain de celui du tombeau d’Amphipolis (325-300 av.J.C) ?
Oui.. Et ce n’est pas tout.  Cette scène d’ « Enlèvement de Perséphone » a été retrouvée aussi en 1987, traitée de façon un peu différente, sur un objet extraordinaire situé dans la tombe dite d’Eurydice. Une des onze tombes macédoniennes découvertes à Vergina. Dans cette sépulture sans doute liée à un membre de la famille royale, -peut-être la mère de Philippe II -, se trouve un trône de marbre peint, sur le dossier duquel figure également cette même scène de l’ « Enlèvement de Perséphone »  par Hadès.
Des décors en rosaces peints retrouvés dans le tumulus Kasta ressemblent à s’y méprendre à ceux figurant sur le larnax d’or (coffret funéraire) de Philippe II de Macédoine, le père d’Alexandre…
C’est effectivement frappant. Ces décors sont absolument identiques. Mais il faudra attendre la fin des travaux menés dans cette tombe pour se prononcer. Même si le tombeau d’Amphipolis semble avoir été violé, il est un monument extraordinaire. J’ajouterai par ailleurs, -mais c’est un point de vue personnel-, que si depuis le début l’on ne découvre que des décors, c’est parce que les objets qui s’y trouvaient ont été emportés il y a déjà longtemps... Un des  arguments qui pour moi prouve la profanation des lieux, -outre les traces de passage laissées par les pilleurs -, est le déplacement du lion de marbre qui était situé à son sommet… Si celui-ci a été retrouvé en morceaux en contre bas dans la vallée en 1915, après un enfouissement de plusieurs siècles, c’est parce qu’à l’époque où il avait été emporté, il n’exerçait déjà plus sa fonction de marqueur de la tombe… Tout simplement parce qu’il n’y avait déjà plus personne à l’intérieur ! Mais je peux me tromper. Nous verrons. 

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