TOUT EST DIT

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mercredi 3 septembre 2014

Emmanuel Macron à Bercy : faut-il déplorer le retour de la technocratie au gouvernement ?

En charge des dossiers sensibles de l'immigration et de la sécurité à l'Élysée entre 2007 et 2012, Maxime Tandonnet analyse le retour des grands commis de l'État au gouvernement.
La nomination de M. Emmanuel Macron comme ministre de l'Économie dans le gouvernement Valls II a provoqué la première belle polémique de la rentrée 2014. Le successeur à Bercy du tonitruant Arnaud Montebourg présente en effet un profil qui en fait l'archétype du «technocrate» en politique, une figure omniprésente de l'imaginaire politique français. Toutes les conditions sont en effet réunies: issue d'une famille aisée de médecins, très jeune pour le poste - moins de 40 ans -, ancien élève du lycée Henri-IV, de Sciences Po et de l'ENA, inspecteur des finances, salarié de Rothschild, ex-secrétaire général de l'Élysée sous François Hollande, il semble incarner ce qu'on appelle couramment, et parfois complaisamment, «la pensée unique».

Cette nomination a suscité des critiques de deux ordres. Une partie de la gauche et la droite radicale ont fustigé la désignation d'une personnalité reflétant le «tournant libéral» du pouvoir en place. Mais surtout, la classe politique dans son ensemble s'est élevée contre la promotion directe d'un haut fonctionnaire, non élu national, à l'un des portefeuilles ministériels les plus cruciaux. Ainsi, pour Hervé Morin, président du Nouveau Centre, il ne fait aucun doute: «Les fonctionnaires qui passent dans une fonction gouvernementale sont un échec absolu.»
Ce genre de promotion d'un technocrate comme ministre, sans être passé par un mandat de député ou de sénateur, est en vérité extrêmement rare aujourd'hui. Le dernier de cette importance était la nomination de Claude Guéant, secrétaire général de l'Élysée, comme ministre de l'Intérieur de Nicolas Sarkozy en 2011. Il correspond le plus souvent à un passage, voulu par le président de la République, des hautes sphères de l'Élysée à une responsabilité gouvernementale.
Pourtant, dans l'histoire de la toute fin de la IVe et des débuts de la Ve République, il fut une période où les nominations de hauts fonctionnaires comme ministres étaient une pratique courante. Le premier gouvernement du général de Gaulle, nommé en juin 1958, se composait pour l'essentiel de «grands commis de l'État» non élus, en particulier aux postes les plus sensibles: Pierre Guillaumat, polytechnicien, à la Défense, Émile Pelletier, préfet, à l'Intérieur, Couve de Murville, inspecteur des finances, aux Affaires étrangères. Ce «cabinet de Gaulle» fut pourtant l'un de ceux qui ont exercé le rôle de réforme, sinon de révolution, le plus crucial de toute l'histoire de France contemporaine. Ensuite, le deuxième premier ministre de la Ve République en 1962 était un homme qui n'avait strictement aucune expérience électorale: Georges Pompidou, dont la réussite pendant six ans à Matignon a débouché sur une élection triomphale comme chef de l'État en 1969. Cette politique correspondait à une philosophie du Général: désigner les meilleurs, les plus compétents, les plus loyaux, nonobstant leur parcours et leur étiquette.
La nomination d'un ministre a en principe deux sens. Tout d'abord, elle est un message politique, exprimant une orientation, un état d'esprit, reflétant un équilibre majoritaire. Ensuite, elle correspond à la désignation d'un responsable qui aura des choix à faire, des arbitrages à rendre, des décisions à prendre.
Si on privilégie le message politique et les équilibres majoritaires, comme sous la IVe République avant de Gaulle, il est en effet logique de limiter la composition du gouvernement à des députés et à des sénateurs. En revanche, si l'on se donne pour objectif de choisir la compétence, le bon sens, l'expérience, rien n'empêche de choisir aussi des hommes ou femmes en dehors du Parlement, qu'ils soient hauts fonctionnaires ou cadres dirigeants du secteur privé. Le fait d'être élu national n'est pas en soi une garantie de compétence et d'aptitude à exercer une fonction gouvernementale. Se hisser par le jeu des relations dans un cercle qui vous permettra d'obtenir l'investiture d'un parti puis séduire l'électorat nécessite des qualités qui ont toute leur noblesse mais ne prédisposent pas forcément à diriger un ministère et participer au gouvernement du pays. À l'inverse, l'expérience de la direction d'une administration, d'un établissement public, d'une entreprise du secteur privé, même sans mandat électoral, peut être les atouts d'un bon ministre.
Pour revenir à la nomination d'Emmanuel Macron, elle semble être d'une nature particulière, à mi-chemin entre la communication politique - incarnation du «pacte de responsabilité» - et la reconnaissance d'une compétence. Il serait malhonnête d'en tirer des conclusions hâtives et de nier par avance, en raison de sa jeunesse et de son parcours, sa chance de réussite, malgré un contexte économique et politique extraordinairement difficile. Elle a un caractère totalement exceptionnel, isolé. Elle ne marque probablement pas un retour aux années de Gaulle, où l'on choisissait les ministres en fonction, non de leur image, de leur statut (élu, non élu) et étiquette politique, mais sur la base de leur seul caractère, de leur mérite, de leur expérience, de leur intelligence et de leur compétence. Pour cela, il faudrait que la politique reprenne tout son sens: le gouvernement de la cité, où l'action et la quête du bien commun l'emportent sur le culte des apparences, de la communication, des images et des ambitions de carrière. D'un gouvernement à l'autre, nous en sommes loin...

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