TOUT EST DIT

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mardi 26 août 2014

Démission du gouvernement : la gauche est-elle en train de mourir ?

 «Oui, la gauche peut mourir» avait lancé Manuel Valls le samedi 14 juin devant le conseil national du Parti Socialiste. Alors que le Premier ministre a présenté la démission de son gouvernement, Fabien Escalona se demande si ce scénario catastrophe n'est pas en train de se réaliser...
Après les violentes critiques de Cécile Duflot et Jean-Luc Mélenchonet celles des frondeurs, Arnaud Montebourg et Benoît Hamon ont ouvert un nouveau front de contestation à gauche, contraignant Manuel Valls à présenter la démission de son gouvernement. Est-on en train d'assister à l'implosion de la majorité qui avait porté François Hollande au pouvoir en 2012 et plus largement à l'implosion de la gauche?
Fabien ESCALONA: Je réserverais le terme «implosion» plutôt pour le jour éventuel où il n'aurait plus de majorité à l'Assemblée pour soutenir sa politique. Les frondeurs ont beau se battre sur des amendements, ils ne sont manifestement pas prêts à aller jusque-là. Leurs raisons sont tout à fait compréhensibles, mais c'est ce qui fait leur faiblesse devant un exécutif inflexible.
En revanche, il y a bien eu une rétractation de la majorité gouvernementale depuis le départ des ministres écologistes. Et cette majorité était déjà réduite par rapport aux soutiens dont a bénéficié le candidat Hollande, ou par rapport à la «gauche solidaire» queMartine Aubry avait tenté de faire vivre lorsqu'elle était à la tête du PS. Cette rétractation va peut-être se poursuivre avec le remaniement ministériel, suite à la contestation des choix économiques par des membres du gouvernement. Cette contestation portait atteinte à l'autorité de l'exécutif dans la mesure où elle était publicisée. En même temps, cela était dû au fait que le débat n'était pas vraiment organisé ou accepté en privé ni dans le parti lui-même, censé être un espace démocratique.
Comment expliquer cette rétractation et le climat de confusion qui règne à gauche?
Ces tensions dans la majorité et la grande confusion à gauche découlent du moment particulier de notre histoire politique que nous sommes en train de vivre. Le PS est au pouvoir dans le contexte d'une crise profonde, qui n'est pas juste une affaire de conjoncture, mais qui concerne toute une cohérence institutionnelle en train de se déliter dans l'UE et au-delà. A cette occasion, l'exécutif pousse particulièrement loin la reconversion néolibérale du projet socialiste, certes entamée il y a trente ans, mais de façon heurtée ou partielle et surtout dans des conditions plus favorables. Il s'agit d'une tentative violente de modifier le centre de gravité du parti, qui provoque inévitablement des réactions, y compris de députés classiquement sociaux-démocrates comme Pierre-Alain Muet.
Or, cela coïncide avec ce que les électoralistes appellent une «phase de réalignement». Ce genre de phase intervient lorsqu'un ordre électoral assez stable s'est brisé (ce fut le cas en 2007) et lorsqu'un nouvel ordre se cherche, chacun des acteurs du système partisan cherchant à sauver sa peau, au milieu d'évolutions brutales et incertaines. C'est pourquoi, au chaos idéologique, s'ajoute un chaos stratégique.
Durant la présidentielle, une note du think tank Terra Nova recommandait au PS de se tourner vers les jeunes, les diplômés, les femmes et les immigrés, plutôt que vers les classes populaires. François Hollande paie-t-il aujourd'hui cette stratégie?
François Hollande n'a pas défini sa campagne en fonction de ce rapport, et puis au fond nous n'en sommes même plus là. Il est vrai que les pertes électorales en milieux populaires ont été massives depuis son élection. Mais ce qu'il paie, c'est tout simplement (si l'on peut dire…) l'absence de résultats socio-économiques et le jugement négatif des Français sur sa capacité à gouverner et à donner du sens à son action. Hollande paie, en particulier, le fait que deux années au pouvoir ont suffi à démobiliser une large part de son électorat. Songez qu'en 2012, il recueillait les suffrages de 22,3% des inscrits sur les listes électorales, contre 5,7% pour les listes PS aux européennes de 2014: c'est une division par 4! Il faut chercher du côté du NPA pour trouver vraiment pire.
Au-delà des querelles de personnes et des difficultés actuelles de François Hollande, la gauche semble souffrir d'un problème idéologique beaucoup plus profond. Face aux nouveaux défis de la mondialisation, elle semble avoir totalement échoué à établir une doctrine commune. Qu'est-ce qu'être de gauche aujourd'hui? Les «sociaux libéraux», majoritaires au gouvernement ont-ils encore quelque chose en commun avec l'aile gauche du PS et la gauche dite radicale? 
Ce qu'on appelle par commodité «la mondialisation» concentre toute une série de phénomènes, qui heurtent en effet un certain cadre (national, productiviste…) auquel une grande partie de la gauche contemporaine a été acculturée (mais la droite aussi!). A partir de là, définir la «nouvelle» façon d' «être de gauche» dépend beaucoup de la façon dont vous définissez cette dernière. Il est sans doute vain de décréter ce qui serait son essence immuable, mais certains ont cherché à identifier des invariants. Ils opposent d'un côté la droite avec son attachement à l'ordre, à la hiérarchie et à l'autorité ; et de l'autre la gauche, avec l'égalité comme «étoile polaire», la «rectification» de l'ordre existant comme tâche permanente, et l'autonomie ou l'autogouvernement comme principe politique.
En ce sens, la gauche serait ce mouvement de revendication démocratique qui vient toujours contester l'ordre établi, y compris d'anciennes gauches, au nom des promesses d'émancipation de la modernité. Je crois qu'il y a un fort attachement culturel à cette définition de la part de l'aile gauche du PS et de la gauche radicale (la façon dont ils l'incarnent étant une autre question). Or, la ligne de ceux que vous appelez les sociaux-libéraux, et dont beaucoup relèvent en fait de ce que j'appelle le «social-conservatisme», heurte de plein fouet ce fonds culturel commun. Manuel Valls, en particulier, est convaincu que la «mondialisation» exige de redéfinir le contenu de la gauche ainsi que son périmètre d'alliances.
Les différents mouvements de contestation qui naissent pourraient-il en revanche se rassembler? Quels sont les points communs et les différences entre Arnaud Montebourg, Cécile Duflot et Jean-Luc Mélenchon?
A côté du «choc culturel» que constituent les deux premières années du quinquennat Hollande pour toute une partie de la gauche, les logiques institutionnelles et partisanes continuent d'exister et brouillent considérablement les choses. Les frondeurs sont terrorisés à l'idée de provoquer une crise de régime (quitte à ce qu'elle advienne sans eux), Montebourg avait jusqu'à présent choisi de rester dans un gouvernement dont il réprouvait les choix budgétaires, Duflot a choisi d'en partir en partie pour cette raison, mais se considère toujours dans la majorité, au contraire de Mélenchon qui se vit dans l'opposition! Cela traduit aussi des divergences idéologiques. Montebourg a largement épousé un paradigme productiviste rejeté par les deux autres, tandis que seule une minorité d'EE-LV est prête à considérer comme le PG que l'écologie politique est nécessairement un anticapitalisme.
La grande alliance «rouge-verte» voulue par Jean-Luc Mélenchon vous paraît-elle crédible?
Pour les raisons que je viens d'indiquer, elle n'est pour l'instant guère probable à l'échelle nationale. Mais de la part de Jean-Luc Mélenchon, cela répond à une double logique, au-delà du fait de sortir de son tête-à-tête avec le PC. Premièrement, il a bien compris que c'est autour d'une telle synthèse que peut continuer de se développer une gauche radicale européenne différente de la famille communiste effondrée. Deuxièmement, il a aussi pris conscience que les assises sociologiques traditionnelles de la gauche de classe ne permettront jamais de contester l'hégémonie du PS. Le PG est très intéressé par des mouvements novateurs comme Podemos en Espagne, et affirme désormais clairement que c'est «le peuple» et non pas «la gauche» qui sera craint par les puissants. Ce nouveau cap stratégique est risqué, mais a-t-il vraiment le choix?
Une recomposition politique qui irait même jusqu'à la droite antilibérale est-elle imaginable en cas de fortes turbulences sociale et politiques?
Non, à part des trajectoires d'éléments marginaux, j'ai du mal à l'imaginer. Sur le plan stratégique, ça ne serait pas viable: les valeurs, les enjeux jugés importants, les comportements de vote diffèrent largement entre les électorats concernés. Sur le plan idéologique, ce n'est pas convaincant non plus. La résistance à l'UE «telle qu'elle est», par exemple, ne fait pas une matrice commune, comme le montrent les modes d'opposition radicalement distincts et même antagonistes du FN et du Front de gauche.

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