TOUT EST DIT

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jeudi 24 juillet 2014

La France ennemie du libre-échange

On a parfois l’impression, en 2014, de vivre en 1784. Les gabelles et autres tailles n’ont jamais été aussi élevées : des portiques avec des caméras remplacent simplement les barrières d’octroi. Les cahiers de doléances du tiers état n’ont jamais été aussi bien remplis : voyez les votes contestataires aux élections européennes.
Si on ne barre plus la route à la circulation des hommes en Europe, la France s’isole malgré tout volontairement du reste du monde. Turgot, contrôleur général des finances de Louis XVI, de 1774 à 1776, voulait libérer la circulation des biens ; notre ministère de la Culture, au contraire, veut interdire au géant américain de la distribution de vidéos à la demande, Netflix, de diffuser ses films en France. Par mesure de rétorsion, l’entreprise a bloqué les adresses IP de tous les ordinateurs installés sur notre territoire qui, depuis, sont privés d’accès au site américain.
Amazon, Google et Apple font peur : ils réussissent, ils gagnent de l’argent et ils donnent toute satisfaction à leurs clients. Eh bien, qu’ils expient ce péché contre la morale socialiste et qu’ils payent au nom de l’exception culturelle française ! Le consommateur ordinaire (celui qui n’habite pas à deux pas d’une grande librairie) s’acquittera donc de nouveaux frais de port, il devra se perdre dans les bouchons ou les transports en commun afin d’aller à la recherche de son livre dans une librairie qui, une fois sur deux, ne l’aura pas en stock.
Mais, dira-t-on, il faut bien sauver le réseau des librairies… Une seule question : la disparition des disquaires a-t-elle en rien diminué l’accès à la musique ? C’est le contraire qui s’est passé.
Un ancien directeur de la Bibliothèque nationale de France et un grand éditeur français se battent pour empêcher Google de numériser les bibliothèques américaines et de mettre ainsi la main sur un trésor inestimable et monnayable de manière monopolistique à l’avenir. Les mêmes luttent contre les liseuses électroniques au motif que ce qui est acheté en ligne et stocké dans le cloud peut être effacé des nuages du jour au lendemain.
Mais un vrai lecteur pleure-t-il parce qu’il risque de perdre demain ce qu’il rêve de posséder aujourd’hui ? Bref, c’est comme si, en amour, il valait mieux rester célibataire pour ne pas tomber amoureux et risquer d’être trahi.
Tous les étudiants et tous les chercheurs consultent en ligne les ouvrages numérisés par les Américains, et ce, même lorsque, droit d’auteur oblige, ils ne sont que partiellement accessibles. Et ils le font prioritairement parce que les sites français sont moins riches, plus complexes d’utilisation et limités aux collections très anciennes au détriment de la production récente et protégée.
En somme, en France, on aime mieux empêcher que permettre, émettre des codes et des lois, fermer plutôt que d’ouvrir. Turgot regrettait que « l’exercice des arts et métiers soit concentré dans les mains d’un petit nombre de maîtres réunis en communauté ». Il souhaitait ouvrir les droits et non réglementer. Comme à cette époque, il reste aujourd’hui en France bien des « jurandes, maîtrises et corporations » à dissoudre afin de vivifier les échanges.
Dans l’Antiquité, les stoïciens, de Sénèque à l’empereur Marc Aurèle, sous le Haut Empire, réglaient leur conduite selon trois principes, comme l’a magnifiquement expliqué Pierre Hadot dans la Citadelle intérieure(Fayard) : l’assentiment, le désir et l’action. Le premier commandait d’accepter l’inéluctable, ce qui ne dépend pas de nous, et d’en faire son miel après avoir lavé notre regard de nos préjugés. Le deuxième enseignait à ne vouloir que le seul bien, défini à l’aune d’un réalisme naturel. Le troisième prescrivait de servir, à sa place, les intérêts de la communauté humaine.
Pourquoi ne pas accepter ce que les géants du Net nous offrent ? Ce n’est pas parce que c’est commercial que c’est mauvais. Je préfère pour ma part un bon commerçant à un mauvais ministre.

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