Éric Denécé : La proposition de la Russie est un grand pas en avant. Les Américains ne pourront pas la refuser, car elle permettra à Barack Obama de sortir de l’impasse politique dans laquelle il s’est retrouvé. Bien sûr, les pays occidentaux, comme avant tout les États-Unis et, ensuite, la France, déclarent que la proposition de Moscou a été faite sous leur pression, sous les menaces d’une intervention militaire. Personnellement, je ne partage pas cet avis. J’estime que c’est la Russie qui donne le la dans le dossier de la Syrie. C’est elle qui détermine les règles du jeu, ce qui est devenu pour tout le monde une surprise agréable. La proposition est intéressante en elle-même. Il est important qu’elle puisse être coordonnée, pour que tous les hommes politiques soient du même avis sur la façon dont les armes seraient soumises au contrôle international et détruites. Il est difficile à dire si cette initiative sera soutenue, mais c’est une chance réelle de résoudre le conflit syrien. 
La Voix de la Russie : Les États-Unis ont-ils toujours l’intention de mener une opération militaire en Syrie ?
E.D. : Il y a de moins en moins de raisons d’entamer une opération militaire en Syrie, parce que l’ONU n’a pas rendu son rapport et il est très difficile d’imputer quoi que ce soit au régime de Bachar al-Assad. Quoi qu’il en soit, ce n’est pas un secret, les experts ont expliqué plus d’une fois que, depuis 2003 ou même avant, depuis l’intervention miliaire au Kosovo, il existe une tactique vérifiée de manipulation de l’information. Il faut être extrêmement prudent dans les accusations, parce qu’aujourd’hui on accuse d’attaques le régime d’Assad et demain il peut s’avérer qu’il s’agissait des rebelles.
En même temps, l’investigation des experts de l’ONU n’avait pas pour but d’identifier les coupables, mais uniquement confirmer l’utilisation d’armes chimiques. On attendait d’eux des preuves de l’attaque chimique, des données sur le nombre exact de victimes et les circonstances dans lesquelles tout s’est passé, qui permettraient de comprendre à partir de quel territoire les armes ont été déployées : de celui des rebelles ou des autorités ? Mais cela ne fait que compliquer la situation. Bachar al-Assad estime que l’attaque a été perpétrée par ceux qui veulent sa démission. Les États-Unis et la France accusent Damas d’avoir utilisé des substances illégales. Leur volonté à eux seuls ne suffit pas pour reconnaître les autorités syriennes coupables de ce crime. Et ils ne possèdent aucune preuve objective.
LVdlR : Dans votre rapport vous énumérez les raisons pour lesquelles les États-Unis seraient intéressés par une intervention dans le conflit syrien. Toutefois, quel en est l’intérêt français ? Pourquoi a-t-elle pris le rôle de leader européen dans le dossier syrien et défend si fermement l’idée d’opération militaire ?
E.D. : C’est un des mystères principaux de la politique internationale actuelle de la France. De la même manière, nous n’avions aucun intérêt à nous ingérer dans le conflit libyen et violer la résolution de l’ONU de 1975. Nous tentons de comprendre pourquoi la France l’exige si instamment, alors que cette intervention ne lui apportera rien de bien.
LVdlR : Est-ce que la situation actuelle pourrait mettre à mal les relations entre les États-Unis et la Russie ?
E.D. : Il y a un risque, effectivement. Les États-Unis ont lancé quelques déclarations contre les autorités russes. Depuis plusieurs années, ce pays s’estime la seule superpuissance et il est persuadé que personne ne pourra lui opposer de la résistance.