TOUT EST DIT

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lundi 2 septembre 2013

"Grèce : vers la guerre civile ?"


De la crise économique qui bouleverse la Grèce depuis 2008, on a presque tout dit. L'explosion du chômage (27 % de la population), le désespoir d'une jeune génération perdue (60 % de chômeurs chez les 15-25 ans), les sans-abri sans cesse plus nombreux et un pays qui ne vit plus qu'au rythme de l'austérité dictée par l'Union européenne et le Fonds monétaire international.

Pour ce numéro de "Spécial investigation", Thierry Vincent a ausculté les conséquences politiques de cet étiolement. Et les souvenirs douloureux que cette crise réveille, dans son analogie avec une histoire plutôt récente. La guerre civile de 1945-1949, d'abord, où droite et extrême droite étaient opposées à la gauche révolutionnaire et communiste. Après 150 000 morts, les forces de droite l'emportèrent. Puis le coup d'Etat de la junte militaire - marquée à l'extrême droite -, en 1967, et les sept années de la "dictature des colonels" qui suivirent.
FORCE SUPPLÉTIVE DE LA POLICE GRECQUE

Près de soixante-dix ans plus tard, les similitudes sont effarantes. Leclimat politique est nauséabond et les extrêmes se sustentent de la dépression, de la rage et de la révolte. Syriza, la coalition de la gauche radicale, d'un côté, avec plus de 26 % des suffrages lors des législatives de juin 2012. Et Aube dorée, de l'autre. Le parti d'extrême droite, ouvertement xénophobe, a obtenu vingt et un sièges de députés aux mêmes élections.
C'est dans ce conflit larvé, cette guerre civile qui ne dit pas son nom, que nous conduit Thierry Vincent. Dans une Athènes parfois affamée - à travers les files de sans-abri attendant de la nourriture -, parfois insurrectionnelle. Le journaliste a réussi à amener sa caméra dans le quartier tenu par les anarchistes de la capitale grecque. A l'extrême gauche, ce sont les plus puissants et les plus farouches opposants au fascisme. Pas une semaine ne passe sans qu'ils manifestent contre Aube dorée. La stratégie du harcèlement.
Mais le succès électoral du parti d'extrême droite fondé et dirigé parNikolaos Michaloliakos a ouvert la brèche. Depuis, attaques racistes et ratonnades d'immigrés sont monnaie courante. Pis, Aube dorée serait devenue une force supplétive de la police grecque. Grâce à des images de manifestations et à des témoignages de policiers en activité, le réalisateur met en lumière les inquiétantes relations entre l'extrême droite et le pouvoir en place. Il n'est pas rare que des militants du parti épaulent la police pour réprimer les manifestations de la gauche antifasciste.
Thierry Vincent dresse un funeste tableau d'un pays désormais habitué aux images de guérilla urbaine. Aux gaz lacrymogènes répondent les cocktails Molotov. Aux exactions xénophobes répondent les démonstrations de force anarchistes. Comme en 1945. Les armes en moins. Pour combien de temps ?

Déficit public et prix du tabac : Suivons l’exemple canadien !

Déficit public et prix du tabac : Suivons l’exemple canadien !


Il y a plus d’une leçon à tirer de l’expérience canadienne. Car si le Canada a su mettre de l’ordre dans ses finances publiques, c’est en réformant profondément son Etat et en redonnant de l’espace au marché privé et légal. La France qui va enregistrer cette année son 39ème déficit consécutif ferait bien de s’en inspirer. 
Car face à un déficit public difficile à comprimer, les pouvoirs publics français ont fait le choix d’obtenir de nouvelles recettes fiscales, notamment par des hausses de prix du tabac et de la bière. Or, si ces hausses font sans doute plaisir aux détracteurs du tabac et de l’alcool, l’expérience canadienne – tout comme le raisonnement économique – indique que le gouvernement français fait fausse route.
Le Canada est l’un des rares pays développés à avoir su maîtriser son déficit et sa dette au milieu des années 90.
La situation y était très préoccupante puisque la dette publique dépassait 100% du PIB. La charge de cette dette accaparait ainsi plus d’un tiers des recettes. Ce n’est qu’en choisissant la voie de la baisse des dépenses publiques que le pays a pu se débarrasser de déficits chroniques et renouer avec des surplus budgétaires.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Les dépenses publiques fédérales ont baissé de 13% entre 1993-94 et 1996-97 (hors inflation). Le budget de certains ministères a parfois été divisé par deux et le nombre total de fonctionnaires a été considérablement réduit (-17%).
Mais ce n’est pas tout. Car cette baisse des dépenses publiques illustre aussi un autre phénomène économique à l’œuvre, à savoir que pour relancer la croissance, il est nécessaire de donner de l’air au marché légal. Il faut le « libérer » pour ne pas laisser le marché noir s’étendre, même si cela signifie baisser les taxes sur des produits tels que le tabac, l’alcool ou les aliments.
En effet, dans la droite ligne de la lutte anti-tabac actuelle en France, les pouvoirs publics canadiens, dans les années 90, avaient aussi le tabac en ligne de mire. Les prix des cigarettes – soumis à de fortes taxes – y ont alors fortement augmenté. Les ventes officielles ont alors fini par s’effondrer au point d’éroder fortement les recettes fiscales.
Or, cet effondrement n’a pas pour autant mis fin à la consommation de tabac. Du coup, le trafic illicite a pris le « relais ». Début 1994, celui-ci  représentait ainsi deux cigarettes achetées sur trois au Québec. Face à cette situation, les pouvoirs publics ont finalement décidé de réduire les taxes de 80%, permettant au marché légal de reprendre « la main ».
Cet exemple illustre une leçon simple en économie : quand il existe une demande forte pour un produit,  il existe aussi une offre. La question est de savoir si elle sera légale ou non. Elle ne le sera pas si les pouvoirs publics décident d’augmenter trop fortement le niveau des taxes et des réglementations.
Au nom de la lutte anti-tabac et dans le but d’engranger des recettes fiscales supplémentaires, le gouvernement français actuel vient ainsi d’annoncer une nouvelle hausse du prix du tabac de 30 à 40 centimes pour juillet prochain. Depuis le début de la crise, le prix d’un paquet de cigarettes aura ainsi augmenté d’environ un tiers. Faut-il dès lors s’étonner si de plus en plus de fumeurs « désertent » le marché légal et se tournent vers le trafic illicite ?
Car plusieurs éléments suggèrent que le phénomène prend de l’ampleur.
Contrairement à ce qu’on croit, il n’y a pas de lien automatique entre hausses artificielles des prix et baisse de la consommation de tabac. Le tabagisme est ainsi en hausse depuis 2005, en dépit d’une augmentation des prix de 20% entre 2005 et 2010.
Plus important, ces hausses répétées ont aussi fini par impacter les ventes de cigarettes sur le marché légal. Au 1er trimestre 2013, elles ont baissé, en valeur, pour la première fois en 10 ans de 2,50% par rapport à la même période en 2012 (avec une baisse des volumes de -9%). La nouvelle hausse est donc particulièrement risquée dans un tel contexte et pourrait servir de catalyseur à une contrebande de plus en plus profitable.
Les pouvoirs publics auraient donc sans doute intérêt à s’inspirer de l’exemple canadien. Il indique clairement que le seul moyen, pour renouer avec une croissance durable et mettre fin aux déficits, est de réduire les dépenses publiques. Dans le même temps, en cessant de matraquer des biens de consommation courante, on empêche un marché noir de se développer avec tous ses effets pervers pour les consommateurs et les finances publiques.
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L’Institut économique Molinari (IEM) est un organisme de recherche et d’éducation basé à Paris et Bruxelles. Il s’est fixé comme mission de proposer des solutions alternatives et innovantes favorables à la prospérité de l’ensemble des individus composant la société. Valentin Petkantchin est chercheur associé à l’IEM. Il détient un doctorat ès sciences économiques et il est diplômé du Magistère média et formation économique de l’Université d’Aix-Marseille III.

Le temps de la réussite pour tous

Le temps de la réussite pour tous


« Une école au service de la réussite de tous les enfants. » Aucun gouvernement n’a manqué, à un moment ou à un autre de son passage aux affaires, d’édicter cette priorité. La question, alors que la gauche s’apprête à conduire sa première vraie rentrée avec cette exigence flottant haut à sa bannière, est de savoir : si la création de 7500 postes supplémentaires – alors que 80 000 ont été supprimés ces dernières années -, si le retour d’une vraie formation professionnelle pour les futurs maîtres, si un meilleur aménagement du temps scolaire sur la semaine et la mise en place d’activités péri-éducatives, si une relance de la scolarisation des moins de trois ans, si une meilleure reconnaissance du statut et une pérennisation des auxiliaires chargés d’accompagner les enfants handicapés, si le principe du « plus de maîtres que de classes », là où c’est nécessaire, si toutes ces mesures – pour n’évoquer que l’école primaire, socle de la Refondation – suffiront à faire progresser « l’égalité des chances », leitmotiv de Vincent Peillon. Si elles suffiront à effacer progressivement le signe indien des 20 % d’enfants arrivant en 6e sans maîtriser les fondamentaux de la lecture, de l’écriture et du calcul, qui marque au front notre système et préfigure le cortège des décrochages futurs et des dérives personnelles pesant, à terme, sur le bilan économique et social du pays.
Garanti de pouvoir compter sur la neutralité, plus ou moins bienveillante, de ses troupes, bénéficiaire, à son corps défendant, d’un sursis d’un an à l’examen critique de sa réforme des rythmes scolaires, à laquelle 20 % des communes offrent un banc d’essai, le gouvernement sera tenté de camper sur le rappel du temps long, nécessaire à l’efficacité, et de rappeler qu’aucune impatience ne saurait justifier la remise en cause de cette règle qu’aucun système ne vaut, s’il ne profite à tous. C’est – autant que sur le chapitre des moyens, où il convoque l’image d’une « inversion historique » – sur la validité de ce « réarmement moral et intellectuel du pays », que Vincent Peillon teste les Français. On ramasse les copies dans un an…

La démocratie et la guerre

La démocratie et la guerre


On peut classer les guerres en deux catégories : les guerres réalistes et les guerres idéalistes. Mais les guerres idéalistes menées au nom de la démocratie sont-elles aussi idéales qu'on le dit ?
La thèse marxiste des marchands de canons comme responsable de la guerre ne tient définitivement pas. Totalement abandonnée quand il s’agit d’expliquer les causes de la Première Guerre mondiale, comme celles des autres guerres, elle ne vaut pas plus pour les guerres actuelles. On peut classer les guerres en deux catégories : les guerres réalistes et les guerres idéalistes.
Les guerres réalistes sont celles qui sont menées pour des buts précis et matériels : éliminer un groupe humain, s’approprier un territoire ou des ressources. Ce sont généralement des guerres limitées dans le temps et dans l’espace, aussi bien que par le nombre de partenaires en jeu. Il y a des guerres réalistes concernant les îles du Pacifique entre la Chine, le Japon, la Russie et le Vietnam. Il y a des guerres réalistes en Amérique latine pour la possession de terres et la redéfinition des frontières. Ce sont souvent des guerres larvées, longues, mais sans affrontement direct. La négociation et la diplomatie essayent de l’emporter. Le réalisme conduit donc à l’équilibre et à la paix. La position réaliste de la guerre aboutit ainsi à une attitude de colombe (la paix), ou de serpent (la prudence), nullement de faucon ou de loup. La guerre réaliste dévie lorsque des intervenants extérieurs se mêlent au conflit, brisant ainsi des équilibres qui ont pu être longs à tisser.
Les guerres idéalistes visent, quant à elles, des objectifs immatériels. Il s’agit généralement de propager des idées ou une vision de l’homme. Les Soviétiques ont longtemps donné l’impression de mener ce type de guerre, mais l’idéalisme (la défense du communisme), n’était que le prétexte à des objectifs beaucoup plus réalistes : contrôler des territoires, des pays, des ressources. Paradoxalement, l’URSS n’a pas provoqué de grands conflits, hormis la Deuxième Guerre mondiale, de par son alliance avec Hitler. Elle a beaucoup déstabilisé les pays, par la stratégie du foyer et de l’infiltration, mais s’est toujours débrouillée pour que ce soit les États unis qui attaquent, et non pas elle.
L'impérialisme démocratique contre l'ordre international.
Force est de reconnaître que, dans ce temps long des années 1930-2013, c’est la démocratie qui s’est révélée l’élément le plus déstabilisateur de l’ordre mondial et le plus grand facteur de guerre. Non pas la démocratie au sens où nous l’entendons généralement, comme système politique, mais au sens où Tocqueville la définit, c’est-à-dire comme système social. La démocratie étant essentiellement un concept et une idée, elle a besoin de se répandre vers les autres pour exister. La démocratie est essentiellement impérialiste. Thucydide faisait déjà ce constat quand, écrivant la guerre du Péloponnèse, il constatait que la démocratie athénienne contrôlait un grand nombre de cités autrefois indépendant, afin de les protéger des Perses, mais que cette protection héritée des guerres médiques était devenue un asservissement, le trésor de la ligue de Délos, par ailleurs rapatrié à Athènes, servant désormais à mener des opérations militaires contre les cités qui cherchaient à recouvrer leur indépendance.
C’est aussi au nom de l’idéal que le président Wilson a bâti un ordre mondial qui n’a pas duré plus de vingt ans, et qui s’est effondré dans une guerre effroyable. L’ordre westphalien avait lui duré de 1648 à 1792, soit 150 ans, et l’ordre de Vienne, de 1815 à 1914. Ces visions géopolitiques fondées sur la réalité ont permis d’assurer la paix et la stabilité de l’Europe, et ont toutes les deux été détruites par des visions idéalistes plus fortes qu’eux. Quant à l’ordre idéaliste né de la guerre de 1939-1945, il est mort-né puisque la Guerre froide a commencé aussitôt. Ce n’est que la conscience réaliste des Européens, notamment De Gaulle et Adenauer, qui a permis à la partie ouest du continent d’éviter de nouvelles déchirures.
Que cherche-t-on vraiment à imposer et à exporter dans ces guerres où l’on défend la démocratie et les droits de l’homme, où l’on est prêt à déclencher des bombardements qui font des centaines de victimes, pour punir un régime d’avoir tué des centaines de personnes ? On semble revenu ici dans la vision humanitaire et généreuse qui a conduit à la politique coloniale. La guerre est menée pour développer les pays, c’est-à-dire pour leur assurer un régime, la démocratie, qui est aperçu comme étant le seul à même d’assurer le développement économique. Les faits ne semblent même pas ébranler l’enfermement idéaliste, puisque les exemples désastreux des précédentes interventions ne semblent pas freiner les ardeurs actuelles. Il est à cet égard élogieux de constater que l’on estime que l’opération militaire au Mali est finie parce que des élections ont eu lieu et qu’un président a été élu.
Puisque la politique est un combat, tout pays a besoin d’ennemi. Or les démocraties ne peuvent pas dire qu’elles font la guerre pour prendre des puits de pétrole, protéger des routes commerciales ou mettre la main sur des mines d’or. Il est nécessaire d’avoir une vision plus haute et plus noble de la guerre, moins égoïste et plus universelle, c’est-à-dire défendre des grands principes de l’humanité. La liberté, l’égalité, la protection des individus, voilà des principes nobles qui sont à la hauteur de ce que la démocratie veut construire. L’idéaliste n’est pas nécessairement de mauvaise foi, la cause défendue peut être pensée juste et sérieuse, il n’empêche qu’il se mue en loup ou en faucon, c’est-à-dire en animal guerrier et belliqueux.

Angela m'a tuer ? Le bilan Merkel pour l'économie européenne


Angela Merkel et Peer Steinbrück (le candidat du parti social-démocrate - le SPD) s'affrontent ce dimanche 1er septembre à l'occasion de leur premier et unique débat télévisé à trois semaines seulement des élections législatives fédérales allemandes - le Bundestag désignant le Chancelier fédéral. Trois ans après le début de la crise grecque qui a secoué la zone euro et l'économie mondiale, la politique de fermeté allemande a-t-elle vraiment défendu les intérêts économiques de l'Allemagne au détriment de la zone euro comme le lui reproche beaucoup d'Européens ?

Jacques Sapir : On reproche beaucoup à Madame Merkel d’avoir, si ce n’est provoqué, du moins aggravé la crise de la zone euro en refusant ou en retardant différentes mesures. Ces reproches sont en partie justifiés mais ne prennent pas en compte la dimension structurelle de la situation. La crise de la zone euro n’est pas liée à la politique de la Grèce, ou du Portugal ou de l’Espagne. Fondamentalement, dans une zone monétaire, il faut que les politiques économiques des différents pays soient unifiées ou qu’existent de puissants mécanismes de transferts financiers entre ces pays. Comme l’Allemagne à toujours refusé cette seconde solution (ce que l’on peut comprendre quand on sait qu’elle impliquerait le transfert permanent de 8% à 10 du PIB de l’Allemagne vers les pays de l’Europe du Sud) la seule solution aurait été d’avoir des politiques économiques coordonnées. Or, à partir de 2003, l’Allemagne a décidé de jouer un jeu solitaire, ce que l’on appelle en théorie des jeux "faire défection", avec la mise en œuvre des mesures dites "Harz IV". Mais il faut souligner que la responsabilité en incombe non à Madame Merkel mais à G. Shroeder, son prédécesseur. 
Pour que l’Allemagne puisse jouer à la "vertueuse" fourmi sans provoquer de crise économique encore fallait-il qu’il y ait des "cigales". Si TOUS les pays avaient imité l’Allemagne, l’Europe aurait été plongée dans une récession très violente. En fait, à partir de 2002-2003 et jusqu’en 2008, ce sont les dépenses de la France, de l’Espagne (et secondairement de petits pays comme le Portugal et la Grèce) qui ont tiré la croissance. Depuis le commencement de la crise, ce sont ces mêmes pays qui souffrent terriblement car l’Allemagne se refuse à les aider pleinement et se refuse à porter à elle seule la croissance européenne. L’excédent commercial démesuré (environ 8% du PIB dont 6% sur la zone euro) qu’a accumulé l’Allemagne depuis 2006 a rendu la situation intenable. 
 
Alors, oui, l’égoïsme de l’Allemagne est bien une réalité, mais cela ne correspond nullement aux intérêts des Allemands et l’importance du phénomène des "travailleurs pauvres" en est une des preuves. L’existence de la zone euro implique que l’Allemagne doive payer, soit directement (et les montants seraient énormes) soit indirectement (en tirant la croissance de la zone). L’Allemagne ne peut pas le faire (pour la première solution) et ne veut pas le faire (pour la seconde). En réalité, Madame Merkel ne peut choisir une politique et c’est cela qu’il faut lui reprocher. Ses conseillers, et ceux du ministre allemand des Finances considèrent aujourd’hui que l’Allemagne ne peut sauver à elle seule la zone euro, ce qui est exact. Mais ils n’ont pas le courage de faire face à la situation en proclamant qu’il faut alors dissoudre la zone euro. Cette indécision est le réel péché de l’Allemagne. 

H16 : Pour répondre à la question, il faut savoir quels sont les intérêts économiques des Allemands, et voir en quoi ils divergeraient des intérêts économiques du reste de l'Europe. Réclamer une monnaie saine, c'est-à-dire basée sur un endettement modéré des Etats, une inflation contrôlée et une fiscalité relativement souple, est-ce un intérêt uniquement allemand ? Ne serait-ce pas le souhait de tout pays gouverné par des gens responsables ? 
 
Lorsqu'on se rappelle la position des Allemands sur la question monétaire depuis le traité de Maastricht jusqu'à l'Union actuelle et l'instauration de la monnaie unique, les principes de base (inflation étroitement contrôlée, dettes et déficits des Etats dans des intervalles étroits, taux d'intérêts réduits) n'ont jamais été unilatéralement décidés par l'Allemagne : tous les États membres y ont souscrit, tous étaient d'accord il y a vingt ans sur ces critères. Cette "fermeté" qu'on reproche à l'Allemagne, c'est, ni plus ni moins, la cohérence dans la durée et le rappel qu'un traité engage vraiment ceux qui l'ont signé. Effectivement, du point de vue des gouvernements des pays du Sud (et français notamment), pour lesquels les traités sont aussi oubliables que les promesses électorales, pour lesquels la stabilité (fiscale, monétaire) est une vaste rigolade, pour lesquels les déficits et les dettes n'ont aucune importance, cette fermeté allemande semble insupportable : on ne peut plus dévaluer à qui mieux-mieux, c'est-à-dire spolier les épargnants, on ne peut plus voler les salariés par l'inflation, et on ne peut plus appauvrir les générations futures par la dette. Zut alors, c'est insupportable !
 
En d'autres termes, reprocher à l'Allemagne ce qui a fait le fondement de l'Union depuis vingt ans, c'est lui reprocher d'être un trouble-fête qui casse l'ambiance Pognon Gratuit À Tous Les Étages... Bravo.
 
En outre, l'Allemagne de Merkel a bel et bien défendu les intérêts de tous les États de la zone euro, parce qu'ils coïncidaient avec les siens : quel serait l'intérêt de l'Allemagne d'imposer des mesures qui lui seraient même légèrement favorables alors que ces autres pays représentent une bonne partie de ses débouchés commerciaux ? Pire : rien n'indique qu'une absence de fermeté n'augmenterait pas de façon significative les avantages concurrentiels de l'Allemagne, au risque d'enfoncer encore plus ses partenaires commerciaux dans la crise. Au contraire même : une monnaie qui file, ce sont par exemple des machines-outils allemandes qui s'exporte encore mieux en dehors d'Europe (10% des exportations de l'Allemagne vont vers l'Asie, par exemple). Dans cette situation, l'industrie française (ou ce qu'il en reste) qui exporte beaucoup moins dans le reste du monde serait laminée (seulement 2% vers l'Asie) ; quant à la balance commerciale française, ce serait un désastre puisque la France importe bien plus qu'elle n'exporte. 

Nicolas Goetzmann : Je ne crois pas à un cynisme allemand. Il me semble que les réformes entreprises sous le mandat de Gerhard Schröder sont réellement perçues comme étant l’unique raison de la réussite allemande. Que les efforts consentis alors sont à l'origine du plein emploi que connaît aujourd’hui le pays, et que les autres pays de la zone se refusent à ces mêmes efforts.
 
Malheureusement cette perception, pourtant très répandue, oublie un fait majeur.L’Allemagne a opéré ces réformes au sein d’une zone euro qui connaissait alors une croissance de l’ordre de 4% en nominal. Cette croissance s’est effondrée depuis 2008, ce qui rend la tâche impossible aux autres pays, comme nous pouvons le constater. 
 
La politique de fermeté allemande s’appuie sur la certitude que seule une politique de harakiri budgétaire apportera le salut, ceci au mépris de l’évidente réalité des 12% de chômage en Europe. Au mépris également des politiques de relance monétaire qui sont menées avec succès dans le monde.
 
Cette confusion provoque un gigantesque gâchis depuis 5 ans, qui aura, comme au Japon, des résonances à long terme.
 
Jean-Marc Daniel : Je ne pense pas que l’on puisse vraiment accuser les Allemands d’égoïsme à l’égard de leurs partenaires. D’abord, parce que depuis très longtemps, ils ont affiché que leur principe économique de référence est de considérer, à la différence par exemple des Américains, que l’inflation n’est pas un outil de politique économique mais un problème. Ils ont affronté sur ce thème les Américains dès le G7 de Bonn de 1978. Cela signifie que tout pays qui s’associe à eux pour une construction économique partagée-en l’occurrence ici une construction monétaire- doit intégrer qu’il devra renoncer à l’inflation. Et renoncer à l’inflation, c’est renoncer à accumuler de la dette publique car l’inflation reste à ce jour le moyen le plus indolore de se débarrasser de la dette.
 
Ceux qui ont joué contre les intérêts de la zone, ce sont les pays comme la Grèce mais aussi comme la France qui ont cru que la croissance pouvait se fonder sur le déficit budgétaire et que les conséquences de ce déficit seraient effacées par une inflation entretenue par des dévaluations à répétition. Ceux qui espèrent une dévaluation et qui clament que l’euro est trop fort sont plus coupables que les Allemands des problèmes de l’euro. A ceci, j’ajouterai que non seulement l’Allemagne est par principe opposée à l’inflation et au déficit budgétaire, mais aussi par nécessité. C’est un pays qui vieillit et comme tous les pays qui vont avoir des problèmes de contraction de la population active, elle a besoin de protéger son épargne, c'est-à-dire à la fois de dégager des excédents extérieurs et de tabler sur une monnaie forte pour pouvoir les placer de la façon la plus favorable.
 

Refus d'achats directs de dettes d'Etats, refus de faire fonctionner la planche à billet, refus de taux directeurs faibles... Sur le plan monétaire, les pressions de l'Allemagne vis-à-vis de la BCE ont-elles été absurdes alors que toutes les autres grandes économies mondiales - Etats-Unis, Japon, Royaume-Uni... - ont menées des politiques opposées ?

Nicolas Goetzmann : Au-delà d’être une politique absurde, c’est une politique d’une lâcheté insupportable. Une politique monétaire n’est pas uniquement un outil de contrôle de l’inflation mais bien le moyen de contrôler le niveau d’activité. C’est-à-dire de contrôler l’inflation ET la croissance, mais ceci semble être oublié.

C’est-à-dire que la politique de la BCE, si inquiète de voir le taux d’inflation s’élever à un taux supérieur de 2.00%, fait ce qu’il faut pour que la croissance soit faible. 
 
Nous assistons à un arbitrage politique qui consiste à préférer un taux de chômage de 12% plutôt qu’un taux d’inflation supérieur à 2.00%. Voici le choix de Maastricht.
 
Je n’accuse pas l’Allemagne, le traité de Maastricht a été signé par tous, et je ne vois personne proposer de réformer la politique monétaire pour qu’elle prenne enfin en compte le niveau de chômage comme un objectif.
 
Ce qui est en effet absurde, et pour schématiser, est qu’un chômeur européen a une utilité économique. Son rôle est de peser sur le niveau d’activité afin d’éviter tout risque d’inflation.Le chômeur grec, espagnol ou français est le pare-feu anti inflation du retraité allemand, hollandais ou autrichien.
 
La cerise sur le gâteau était ce moment ou Pierre Moscovici évoquait le plein emploi au cœur de l’été, cette phrase révèle un pathétique manque de compréhension du rôle de la politique monétaire au sein de l’économie. Et c’est dans cette configuration que nous allons aborder les élections européennes de 2014.
 
Jacques Sapir : Il y a bien sûr une dimension folle dans la politique de l’Allemagne, que ce soit sur la question du rachat des dettes ou sur celle des taux d’intérêts. Il est d’ailleurs frappant que l’Allemagne refuse, en réalité, le principe de l’Union bancaire qu’elle n’a de cesse de retarder et de vider de son contenu. Mais, ici encore, il faut éviter de céder à la facilité. 
 
Tout d’abord, si l’Allemagne (mais aussi la Finlande et d’autres pays) acceptaient une politique monétaire différente, cela constituerait certes une bouffée d’oxygène pour la zone euro mais cela ne réglerait nullement le problème de la divergence des structures économiques entre pays. Ce fut folie de croire que la monnaie provoquerait à elle seule la convergence des structures économiques. Et cette folie, les économistes français en sont aussi responsables que les économistes allemands. Ce fut folie de croire que les pays de la zone euro constituaient l’embryon d’une "zone monétaire optimale". Mais, ici aussi, de cette folie les économistes français sont tout aussi responsables que les allemands ou les néerlandais. Une politique monétaire différente de celle menée actuellement ne résoudrait pas le problème structurel de la divergence économique entre pays, divergence qui se traduit par la divergence du mouvement des gains de productivité et de l’inflation. Or, ce sont ces divergences qui provoquent les déséquilibres massifs de compétitivité au sein de la zone euro, déséquilibres qui sont à l’origine de la crise actuelle.
 
Ensuite, l’Allemagne a une position cohérente en matière de souveraineté. Il faut que les différentes réglementations européennes soient compatibles avec la Constitution allemande. D’ailleurs, la cour constitutionnelle de Karlsruhe va trancher sur la compatibilité des OMT (Outright Monetary Trancactions) de la Banque centrale européenne cet automne. Nous devrions plutôt nous interroger sur l’incohérence de la position française. Les différents gouvernements, depuis Jospin jusqu’à Ayrault en passant par Raffarin, Villepin et Fillon, se sont précipités pour changer la constitution française à chaque nouveau traité. Les présidents, qu’il s’agisse de Jacques Chirac, de Nicolas Sarkozy ou de François Hollande n’ont pas joué leur rôle de défenseur de la constitution. Tout cela révèle une fuite en avant dans le fédéralisme de la part de l’élite politique française, qui dure depuis maintenant plus de vingt ans. Mais c’est un fédéralisme sans issue car nous sommes les seuls à le porter. Alors, il s’exacerbe dans une haine de la nation que l’on ressent dans des déclarations, tant à gauche qu’à droite. C’est absurde ; ne reprochons pas à l’Allemagne d’être, sur ce point, bien plus cohérente que nous.
 
H16 : "Des politiques opposées", c'est un peu vite dit. Si les deux institutions (Fed et BCE) n'ont pas tout à fait les mêmes politiques monétaires et les mêmes possibilités, les sous-jacents intellectuels restent les mêmes : une politique keynésienne. Ainsi, pour les taux directeurs, il suffit de regarder la courbe des taux de la Fed et celle de la BCE pour se rendre compte que les deux suivent des mouvements très proches : lorsqu'un taux directeur monte ou baisse, l'autre le suit à quelques mois. On n'est pas, ici, dans des politiques opposées, loin s'en faut.
 
Mais pour en revenir à l'Allemagne, en réalité, la pression qu'elle a imposée à la BCE, c'est la pression d'un pays qui a compris qu'il avait beaucoup plus à perdre qu'à gagner en laissant s'installer des politiques monétaires permissives, comme l'inflation. La perte de valeur d'une monnaie est, in fine, une perte de confiance. On voit assez bien comment elle débute, on ne sait jamais comment elle peut s'arrêter. L’Inde, actuellement, donne un magnifique exemple de perte de confiance dans sa monnaie, la roupie : cela peut arriver très vite, et toute prétention de contrôle sur ce genre de mécanismes est futile. L'Allemagne a été vaccinée par Weimar. Il semble que les assignats français n'aient pas suffisamment marqués les esprits pour qu'en entende encore certains exprimer le désir humide de faire tourner la planche à billets (ce qu'un rachat direct de dettes par la BCE veut dire).
 
Il est assez facile pour un dirigeant d'un pays européen en difficulté de désigner l'Allemagne ou Merkel comme "intransigeante", "inflexible", "psychorigide" ou que sais-je, comme bouc-émissaire des problèmes monétaires ou économiques de la zone euro. Il est plus difficile d'admettre une mauvaise gestion chez soi. 
 
La réalité, c'est qu'il y a une excellente corrélation entre les pays qui, régulièrement, affichent des budgets équilibrés ou bénéficiaires et conservent des économies en bon état, avec un nombre réduit de chômeurs, et une industrie en bonne santé. Inversement, on trouve la même corrélation entre les pays qui empilent déficits sur déficits, jouent avec leur monnaie ou leur fiscalité, et qui génèrent du chômage ou affichent des difficultés industrielles notoires. C'est vrai en Europe, c'est vrai aux États-Unis. C'est vrai au niveau des pays, c'est vrai au niveau d'un département ou d'une municipalité (Détroit est là pour nous le rappeler). Devant ce constat franchement médiocre, peut-être est-il justement grand temps de revenir à des fondamentaux sains ; les politiques que prônent les Allemands actuellement à la faveur de la campagne électorale sont en tout cas un peu plus réalistes que la démarche qui consiste, essentiellement, à faire ce qui a été déjà tenté, avec le résultat qu'on peut mesurer.
 
Les mêmes causes provoquant les mêmes effets, l'obstination à, par exemple, sauver des banques insolvables, relancer la consommation, tabasser le contribuables provoque les mêmes soucis aigus de trésorerie dans les pays qui choisissent ces méthodes. Et si c'est vrai au niveau d'un pays, on comprend que ça l'est au niveau de toute la zone euro. 
 
Jean-Marc Daniel : D’abord, la planche à billets, qui correspond à l’achat de la dette publique directement par la banque centrale, n’existe plus nulle part. Le refus de la planche à billets n’est pas historiquement allemand mais américain puisque la Réserve fédérale a été créée il y a exactement un siècle sur le principe du rachat de la dette aux banques mais pas de l’achat direct à l’Etat ; et ce sont les Américains qui l’ont inscrit dans les statuts de la toute première Bundesbank. Par ailleurs, le bilan de la BCE rapporté au PIB de la zone euro est plus important que celui de la Fed ou de la Banque d’Angleterre… La BCE a fait la même chose que les autres banques centrales, avec une logique de fuite en avant dont Ben Bernanke sur le départ est en train de dire que ce n’était peut-être pas optimal...

Le vrai problème n’est pas l’attitude technique de la BCE ou les déclarations en son sein du représentant de la Bundesbank. Le problème est politique. Aux Etats-Unis, la ville de Détroit est en faillite comme en Europe la Grèce. Mais personne ne dit  « nous avons eu tort de laisser Détroit faire partie des Etats-Unis », alors que nombreux sont ceux qui déclarent que les Grecs n’ont pas leur place dans la zone euro. On accuse la Grèce de manquer de compétitivité, mais il y a bien des régions du Sud de l’Europe comme la Corse ou la Sardaigne qui sont moins compétitives qu’elle et que personne ne menace d’exclure de l’euro.
Le problème à résoudre sur le plan politique avec la nouvelle équipe allemande ne sera pas celui du statut de la BCE - les traités sont là et si on n’en voulait pas, il ne fallait pas les signer… - mais celui de l’avenir politique de l’Europe

Angela Merkel est donnée ultra-favorite dans tous les sondages. Ses positions - notamment sur le plan monétaire - peuvent-elles s'assouplir, voire changer dans le cadre de son troisième mandat ? A défaut, quelles en seraient les conséquences pour la zone euro ?

Nicolas Goetzmann : La campagne d’Angela Merkel a été menée en détachement de son parti. Le journal Der Spiegel la déclare "Reine d’Allemagne", et celle-ci se garde bien de redescendre de son piédestal. Elle n’invite pas à voter CDU, mais à faire le choix de l’intérêt du pays. Avec une telle force politique, il est peu vraisemblable que sa position européenne s’assouplisse. Les récentes déclarations du ministre des Finances, Wolfgang Schäuble, qualifiant d'"erreur" l’entrée de la Grèce dans la zone euro, donnent le ton.
 
Il ne faut pas oublier que l’électeur allemand "moyen" est une femme de 56 ans, ce qui entraîne une politique de conservation plutôt qu’une politique dédiée au dynamisme et à la jeunesse. C’est-à-dire une politique de strict maintien des prix qui se met en place par une politique de faible croissance de la zone euro. L’intérêt allemand est simplement l’inverse de l’intérêt des pays du sud, et la France en est un. 
 
L’Allemagne est en situation de plein emploi, un surplus de croissance entraînerait immédiatement une tension sur les salaires et un peu d’inflation. L’électeur n’en veut pas. Dont acte pour les autres pays de la zone.
 
La conséquence pour la zone euro est de voir une croissance molle s’installer sur le long terme, comme au Japon dans années 1990 et 2000. De voir le chômage stagner à des niveaux insupportables, et que les personnes concernées se retrouvent inemployables à long terme, faute d’avoir pu maintenir leur niveau de qualification. Le chômage conjoncturel devenant structurel à long terme.
 
Jacques Sapir : Il y a peu de chance que Mme Merkel sorte du dilemme dans lequel elle est enfermée après l’élection de septembre. Bien entendu, certaines choses peuvent changer. Beaucoup dépendra du score du nouveau parti AfD (Alternativ Fur Deutschland) dont les positions sont très critiques par rapport à la zone euro. La véritable question qui se posera après ces élections sera de savoir si, mis devant l’alternative de voir exploser la zone euro ou de provoquer la perte de l’Union européenne, les responsables allemands, comme les y incitent le conseiller du ministre des Finances dans une interview donnée à Die Welt le 17 août, ne se décideront pas à sacrifier l’euro pour sauver l’Europe. Ce serait la voix de la raison, et l’intérêt bien compris nom seulement de l’Allemagne mais aussi des autres pays européens. 
 
H16 : Sur le plan économique, la situation n'est pas simple : l'Allemagne reste, de fait, solidaire des autres économies de la zone euro, et son avenir, marqué par une démographie peu réjouissante, n'est pas forcément simple. Sur le plan politique, on peut tout imaginer : après tout, il y a peu de chances qu'elle tente un quatrième mandat si elle est élue, et pourrait dès lors choisir de plaire plutôt aux Européens qu'au peuple qui l'a élue. Cependant, force est de constater que la position de Merkel aurait peut-être pu s'infléchir si elle avait eu, en face d'elle, un président français médiatiquement habile et politiquement aussi ferme qu'elle. Avec François Hollande, elle a clairement les coudées franches de ce côté-là.
 
Maintenant, est-ce un mal ? Et surtout, quelle est l'alternative à la fermeté ? La mollesse, justement ? Concrètement, que veut-on, que peut-on réellement proposer ? L'inflation, avec les risques énormes que toute parte très vite en sucette, avec des bank-holidays à la chypriote étendus sur toute la zone euro ? La diminution du taux directeur de la BCE, avec l'inévitable formation de bulles, par exemple dans l'immobilier parce qu'actuellement, il n'est pas assez cher, peut-être ? Est-on prêt pour ça ? Quel dirigeant veut être en poste au moment où ceci se produit ?
 
Il n'y a guère d'alternative. Merkel le sait, et elle sait aussi que si elle veut sauver quelque chose et qu'on s'écarte trop de cette ligne, elle aura tout intérêt à faire sortir l'Allemagne de la zone euro. Dans cette dernière hypothèse, quelles sont les chances de la France, sous Hollande, de tirer son épingle du jeu ? Sérieusement ? 
 
Jean-Marc Daniel : Mme Merkel n’a aucune raison de changer de position d’autant moins que la zone euro sort progressivement de la crise. L’ajustement a été sévère mais beaucoup de pays hors zone euro ont connu des ajustements tout aussi sévères. La Grèce, qui est le pays qui a le plus souffert, aura cette année le même PIB qu’en 2004. Elle a perdu une décennie mais n’est pas revenue au sous développement qui la caractérisait avant qu’elle ne rejoigne l’Europe.

La conséquence du maintien de la position allemande sera double : d’abord une tendance à l’appréciation de l’euro, surtout au moment où les économies émergentes, qui souffrent d’inflation, vont devoir corriger leur trajectoire de croissance de façon brutale –comme la Grèce ces dernières années … !! - et vont essayer  pour compenser la contraction de leur demande intérieure de baisser leur  taux de change - ; ensuite la nécessité pour la deuxième économie de la zone, à savoir la France de faire les réformes nécessaires, dont la plus urgente est désormais une forte baisse des dépenses publiques. 

Munich, vous avez dit Munich?


Le secrétaire général du parti socialiste vient d’accuser l’opposition de « propos Munichois », au sujet des réserves exprimées sur le projet d’intervention militaire en Syrie. Rien ne justifie cet amalgame tant les circonstances sont différentes. En 1938, les armées de l’Allemagne national-socialiste menacent de déferler sur l’Europe. Aujourd’hui, nulle menace sur l’intégrité d’un Etat européen. Il est question d’une opération militaire destinée à sanctionner la Syrie. 
A chaque fois qu’une intervention armée est envisagée ou lancée, l’accusation de "Munichois" tombe bêtement sur ses opposants, quels que soient leurs arguments : Suez en 1956, Irak en 1991 et 2003, Ex-Yougoslavie, Libye, Syrie aujourd’hui. Absurde : cela signifierait que la guerre est en toute circonstance la solution de tous les problèmes et que l’alternative de paix est par définition « Munichoise ». D’ailleurs, ce genre de comparaison historique, de la part d’un leader socialiste, me semble particulièrement risqué et hasardeux. Il renvoie à la véritable histoire des accords de Munich dont le parti socialiste, sfio à l’époque,  fut l’un des  fervents soutiens. Ainsi, faut-il le rappeler, Léon Blum, leader de cette formation, déclarait à la Chambre, le 4 octobre 1938 : « Tout entier le groupe participe aux sentiments qui animent d’ailleurs l’unanimité de la Chambre : une joie profonde quand il considère que le peuple de notre pays a été délivré d’une catastrophe dont l’imagination même ne parvient pas à se représenter l’horreur… »  Un homme de droite, Henri de Kérillis, totalement isolé dans son camp, lui répondait : « Il est impossible d’accorder mon vote au gouvernement, car ce vote signifierait mon adhésion à la paix de Munich… Cette paix annule à jamais les bénéfices de la victoire de 1918 ; signifie le renoncement de notre politique historique, de notre politique traditionnelle… consacre le triomphe de Hitler… » Les amalgames historiques douteux, notamment avec une époque où l’histoire de l’humanité a atteint les sommets de l’horreur et de la tragédie, ne devraient pas être de mise dans une démocratie responsable. Combien de fois faudra-t-il le répéter?

La croissance? Quelle croissance?


La presse, surtout sociale-libérale, se remplit d’optimisme et de commentaires flatteurs pour notre Président à la vue des derniers chiffres de l’INSEE. Au second semestre 2013 la France aurait connu une croissance de 0,5%, Alléluia ! La croissance revient donc… Les commentateurs feraient cependant mieux d’être plus prudent et de lire plus attentivement le document de l’INSEE[1].

En réalité, le chiffre de 0,5% est dû à deux facteurs : une hausse de la consommation de 0,3% et un accroissement des stocks de 0,2%. Or, les stocks des entreprises avaient baissé de -0,8% en 2012. Une correction était attendue et on mesure qu’elle reste inférieures à la baisse précédente. Une comparaison des deux premiers trimestres de 2013 avec 2011 et 2012 montre que cet accroissement ne sera pas durable.

On peut lire d’ailleurs sur ce graphique la permanence des facteurs qui font stagner le PNB de la France, et en particulier l’évolution de l’investissement et du solde commercial.
Le second point expliquant la hausse du PIB au second trimestre est la hausse de la consommation des ménages. Mais, cette hausse semble s’expliquer essentiellement par des facteurs conjoncturels.
  • (i)             Les dépenses d’énergie ont été anormalement élevées au printemps 2013, résultat du mauvais temps que nous avons subi.
  • (ii)           Les dépenses de consommation courante (habillement et nourriture) continuent de baisser (-2,2% pour l’habillement et -1,2% pour la nourriture). Ceci est inquiétant, et montre que le niveau de vie des Français se détériore, ou à tout le moins que le pouvoir d’achat médian (et non moyen) continue de reculer. L’indicateur de pouvoir d’achat par unité de consommation montre d’ailleurs une baisse de -0,2% sur le premier semestre de cette année.
  • (iii)          Seules, les dépenses liées à l’automobile augmentent, mais sont loin (avec 2,2%) de compenser la baisse précédente (-5,5%).
En fait, et on le voit sur le graphique 2, la consommation en biens durables des ménages français est en panne depuis maintenant plusieurs années. La crise de 2008 a bel et bien cassé la tendance que l’on constatait depuis 2001. La hausse actuelle de la consommation est donc appelée à ne pas durer.
Graphique 2
 Conso-MenFr
Source : INSEE, base de données
De plus, il faut signaler que c’est à la fin du troisième trimestre (en septembre) que se feront sentir les hausses d’impôts. Ces dernières devraient provoquer une contraction de la consommation non négligeable.
Le plus inquiétant cependant n’est pas là. Il réside dans la poursuite de la baisse de l’investissement (FBCF ou Formation Brute de Capital Fixe). Au second trimestre, la chute de la FBCF est de -0,5%, est celle de la FBCF des ménages (qui par convention n’investissent que dans le logement) de -1,7%. Sur une année, la chute de la FBCF des entreprises non financières est importante avec -2,1%. Seul l’investissement des administrations publiques se maintient, mais il est actuellement à un niveau relativement bas. Cela signifie que l’appareil productif français continue de se dégrader, et en particulier par rapport à l’Allemagne, qui est certes notre principal partenaire mais aussi, du fait de l’Euro, notre pire concurrent. La baisse de la FBCF implique à terme de moindres gains de productivité et donc une hausse relative, par rapport aux autres pays, du coût salarial unitaire réel qui est l’un des indicateurs les plus sûrs de la compétitivité relative de l’industrie française.
On peut constater ce mouvement encore mieux si l’on prend un peu de recul comme sur le graphique 3 où l’on voit la part des investissements français et italiens en pourcentage du PIB.
Graphique 3
 Inv-FR
Source : Données du FMI (avril 2013)

Ceci invalide aussi l’idée, souvent avancée dans les milieux proches de François Hollande, que la France serait dans un « cycle » dont elle aurait connu la phase basse durant cet hiver et qui devrait mécaniquement déboucher sur une phase de croissance pour la fin de cette année. Le « cycle des affaires », pour reprendre une expression qui eut son heure de gloire vers 1920, n’est que le produit d’une économie largement déréglementée. Il n’y eut nul « cycle » dans les années 50 et 60…Ce « cycle » implique pour être établi que l’on démontre les mécanismes des oscillations régulières. Or, tous les indicateurs économiques structurels indiquent au contraire un affaiblissement de l’appareil économique français.
Rien, dans le tableau dressé par l’INSEE, n’incite donc à l’optimisme. Seule une forte croissance mondiale, en supposant que la France puisse en profiter ce qui est douteux compte tenu du taux de change de l’Euro (actuellement de 1,32 USD pour 1 euro), pourrait tirer la croissance. Mais, la crise dans les pays émergents (Chine et Inde) et la faiblesse de la croissance aux Etats-Unis ne permet pas de compter sur un tel scénario. La croissance mondiale restera faible en 2013 et en 2014.
L’économie française est donc condamnée à la stagnation à court terme et, du fait de la perte de compétitivité de son appareil productif, à la dégradation à moyen terme. Ceci est la conséquence directe de l’Euro, comme on a eu à maintes reprises l’occasion de le dire et de le prouver sur ce carnet. La seule solution qui permettrait d’emprunter un chemin radicalement différent et de redonner espoir tant aux entreprises qu’aux travailleurs français (qui constatent, eux, que le chômage continue d’augmenter) serait de sortir de l’Euro pour pouvoir dévaluer, non seulement par rapport au Dollar (et à la zone Dollar) mais aussi et surtout par rapport à l’Allemagne.


[1] INSEE-Conjoncture, Informations Rapides, 14 août 2013 n°186.