TOUT EST DIT

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lundi 22 avril 2013

La fin de « l’honnête homme »?

La fin de « l’honnête homme »?


Le concept d’honnête homme, né au XVIe et XVIIe siècle est au centre de la tradition française. L’honnête homme incarne un équilibre, le goût, la finesse, le bon sens. Il a une « tête bien faite plutôt qu’une tête bien pleine », selon Montaigne ; il « sait quelque chose de tout » et non « tout d’une seule chose », selon Pascal ; il a « l’art de plaire » mais sans courtisanerie, selon Nicolas Faret ; « sobre, modéré, chaste, équitable » pour la Bruyère. Il a le sens de l’honneur et du respect ; il est tout en tempérance, combine qualités morale et de l’esprit.
L’actualité nous livre mille exemples au quotidien de la démence et des aberrations d’une époque qui ne cesse de pourfendre les valeurs qu’exprime cette notion typiquement française.
Sans parler des grands dossiers de l’heure, de cet extravagant « mariage pour tous », un événement, exemple parmi tant d’autres, est passé totalement inaperçu en fin de semaine dernière : le principal suspect de l’assaut barbare d’une bande contre le RER D venait d’être « relaxé » dans l’indifférence générale, la décision scellant la clotûre d’une affaire qui restera probablement sans suite. Cette démission spectaculaire de l’autorité et le climat de complaisance générale  qui l’accompagne peuvent avoir deux explications : une oeuvre de sabotage destinée à en finir avec la société « bourgeoise » ; une marque d’aveuglement – de stupidité – d’inaptitude à percevoir l’impact désastreux d’une pareille dérobade.
Je serais plutôt enclin à pencher en faveur de la seconde.
Petite anecdote dont je certifie sur mon honneur la stricte authenticité : je discute un jour avec un chroniqueur à la voix bien connue, un « faiseur d’opinion », supposé « de gauche », qui assène à des millions de personnes ses certitudes, ses dogmes et ses vérités. Nous parlons du droit de vote des femmes. Je lui rappelle que la gauche française, radicaux et socialistes, y a été traditionnellement opposée – redoutant l’influence des « curés » sur la gent féminine – et que les femmes doivent leur droit de vote au seul général de Gaulle en 1944. Tout citoyen me semble-t-il, devrait connaître ce moment décisif de l’histoire de la démocratie. Ce n’est pas seulement une question de culture générale mais de minimum vital pour qui prétend éclairer les autres. Pourtant, mon influent interlocuteur me regarde, sidéré : « Ah bon, vous êtes sûr ?… »
Je ne parle pas d’érudition ou de savoir mais de simple ouverture d’esprit, de curiosité intellectuelle qui fait cruellement défaut. Le creux, le vide derrière les dogmes, les certitudes, et les fausses vérités rabâchées, une société qui papillonne au gré du vent, privée des repères de l’intelligence: nous ne sommes plus dans l’ère de l’honnête homme, au bon sens ancré dans la réalité et solides valeurs morales, mais dans celle de son antithèse, le pédant qui éblouit et entraîne les autres par la frime et les beaux discours inconsistants. Les hautes sphères de notre société abondent ainsi d’intelligences artificielles, préfabriquées, façonnées dans la bêtise. « Seuls les médiocres ont la perspective de se perpétuer, ils sont les hommes de l’avenir, les seuls survivants » (Nietzsche, Par delà bien et mal). Vision excessivement sombre de l’avenir de l’humanité et de la civilisation, à ne pas prendre au pied de la lettre mais peut-être comme une mise en garde.

La fracture du mariage

La fracture du mariage


On savait la France difficile à réformer. La longue bataille du mariage pour tous en a apporté une nouvelle preuve. Il est vrai que la question du mariage homosexuel est un sujet sensible. François Hollande et sa majorité le savaient, mais ils n’avaient sûrement pas idée de l’opposition qu’ils allaient rencontrer.
À cette occasion, la France a renoué avec les polémiques qu’elle avait connues à propos des projets de loi sur la légalisation de la pilule ou de l’avortement. La gauche ne pensait pas que dans un pays où les églises se vident, l’opposition serait aussi dure. Erreur. Une grande partie de la société française reste fidèle à l’image traditionnelle de la famille. De là à faire de ces opposants une foule d’homophobes déchaînés, il y a une marge. À l’opposé, faire des homosexuels désireux de se marier ou d’avoir des enfants de dangereux pervers est tout aussi excessif.
De petites phrases en provocations, le débat démocratique a dégénéré pour tourner à la foire d’empoigne. Les manifestations de ces derniers jours reflètent un inquiétant malaise. Les opposants sont désormais débordés par de petits groupes extrémistes. Ceux-ci ne défendent qu’une cause : l’affaiblissement de la République – « la gueuse », comme l’avaient surnommée leurs ancêtres fascistes.
Il n’est pas sûr non plus que certains députés de l’opposition se soient conduits de manière parfaite l’autre nuit à l’Assemblée. Le sourire imbécile d’un collaborateur ministériel ne méritait pas un tel abaissement de l’image du Parlement.
La longueur de ce débat n’aura pas été un gage de sérénité. Les Français ont bien d’autres soucis en tête que de voir l’attention des élus focalisée sur une réforme sociétale, certes importante, mais pas au point de faire passer au second plan les problèmes économiques qui touchent au cœur de la vie quotidienne.
Au final, la France sort de cette affaire plus divisée que jamais et la République n’est pas franchement apaisée. La droite a paru débordée par sa base, et quelquefois obligée de donner des gages dans la surenchère. La gauche a remporté une victoire à la Pyrrhus. La réforme est votée, mais au prix d’une fracture profonde de la société.

Cacher notre joie

Cacher notre joie


On aurait aimé applaudir, apprécier sans réserve, enfin, une bonne nouvelle dans l’actualité. Eh bien, pas tout à fait. La libération de la famille française enlevée au Cameroun par des islamistes est une bonne nouvelle, certes, mais huit autres Français manquent à l’appel. Un d’entre eux est toujours piégé au Nigeria et les autres sont détenus, quelque part, dans les immensités sahariennes.
La diplomatie française, appuyée par les Africains et la Grande-Bretagne, a réussi à arracher la famille Moulin-Fournier aux griffes de Boko-Haram, un groupe islamiste qui hante l’Ouest africain. On ignore les détails de la négociation, mais les preneurs d’otages semblent être moins fanatisés que ceux d’Al-Qaïda au Maghreb islamique. Cela n’enlève rien à l’horreur de leur geste et à la gêne que l’on peut éprouver à devoir négocier avec de tels hommes. Il faut aussi avoir à l’esprit que leur capacité de nuisance demeure intacte. Tant qu’ils ne seront pas mis hors d’état de nuire, ils représenteront une menace pour les Africains comme pour les étrangers qui aiment l’Afrique et veulent l’aider.
Éradiquer le terrorisme implique plus largement que l’on en fasse un objectif mondial. L’attentat de Boston semble être une opération menée par des musulmans fanatisés. L’origine tchétchène des deux frères tend à confirmer que ce territoire est l’un des réservoirs de l’internationale islamiste. Des Tchétchènes ont été signalés en Afghanistan comme en Syrie ou en Afrique du Nord.
Prenant prétexte de la répression menée par Vladimir Poutine dans leur patrie, ces extrémistes confondent identité et violence aveugle. Ce n’est pas le meilleur moyen de gagner les pays occidentaux à leur cause. En ont-ils envie ? Leur but premier est, surtout, d’imposer par tous les moyens leurs croyances moyenâgeuses.
La France comme les États-Unis sont au premier rang de ce combat contre le fanatisme. D’où les coups durs que leurs adversaires leur portent. Dans toute guerre, il y a des moments heureux, comme la libération des Moulin-Fournier ou la victoire militaire au Mali. Malheureusement aussi, il y a les coups durs. Boston en est un. Les morts américains sont des nôtres car nous partageons le même péril mortel.

Records de mécontents pour Hollande

Le Président perd 6 points. Seuls 25 % des Français sont satisfaits.


C'est le record absolu de la Ve République: jamais depuis 1958 et la création du Baromètre Ifop, un président n'avait enregistré un tel niveau de mécontents; Jacques Chirac, en juin 2006, n'en avait compté que 70%, et Nicolas Sarkozy, en avril 2011, que 72%. Avec 74% de mécontents (+6) et 25% seulement de satisfaits (-6), François Hollande fait exploser le cadran; tout au plus peut-il se réjouir de n'être pas encore descendu au niveau des 22% de satisfaits de François Mitterrand, en décembre 1991.
Cette nouvelle chute est particulièrement sensible chez les cadres moyens et autres professions intermédiaires (-17), les 24-34 ans (-12), les professions libérales et cadres supérieurs (-9) et, politiquement, chez les sympathisants socialistes eux-mêmes (-13). Elle le laisse minoritaire dans toutes les catégories sociales et politiques, sauf chez les sympathisants socialistes, dont quand même un gros tiers (36%) se déclare mécontent. Bien entendu, l'affaire Cahuzac est au coeur de cette nouvelle aggravation de la relation difficile de François Hollande avec l'opinion: elle est constamment citée spontanément par les personnes interrogées par l'Ifop sur les causes de leur insatisfaction.
Elle agit comme un multiplicateur des angoisses sociales ("une société où tout le monde angoisse") et des défauts prêtés au président: sa lenteur de réaction, sa "mollesse" et, au pire, sa connivence, l'idée qu'il ne pouvait pas ne pas savoir revenant fréquemment ("On voit bien qu'ils sont tous pourris ou, encore pire, qu'ils sont tous très mauvais"). Et c'est parfois une remise en cause globale de François Hollande: "Je n'aime plus le personnage; donc, forcément, on arrive à un stade où je n'aime pas du tout ce qui reflète ce personnage." Résultat, une aggravation du pessimisme généralisé: "tous les événements politiques sont honteux", "l'ambiance est désastreuse".
Avec 30% de satisfaits (-6) et 67% de mécontents (+6), Jean-Marc Ayrault établit lui aussi, à un niveau un peu moins bas, son record d'insatisfaction depuis son arrivée à Matignon.

À la recherche d’une croissance mondiale

Quelle priorité économique la plus urgente ont en commun des pays aussi différents que le Brésil, la Chine, Chypre, la Corée du Sud, les États-Unis, la France, la Grèce, l’Islande, l’Irlande, le Portugal et le Royaume-Uni ?Ce n’est pas la dette ni les déficits. Et ce n’est pas non plus d’avoir à résoudre les conséquences de prêts et emprunts irresponsables. Certes, ces questions sont pertinentes et, dans certains cas, urgentes. Mais le principal défi auquel ces pays sont confrontés est le développement de modèles de croissance qui génèrent plus d’emplois, bien rémunérés et sûrs, alors que s’opère un réalignement séculaire de l’économie mondiale.

Pour des raisons à la fois pratiques et théoriques, ce défi ne sera pas relevé rapidement ou facilement. Et lorsqu’il le sera, le processus a toutes les chances d’être partiel et inégal, accentuant les différences et posant des problèmes délicats de coordination aux plans national, régional et mondial.
Les dernières années ont démontré l’érosion de la puissance des anciens modèles de croissance. Certains pays (par exemple la Grèce et le Portugal) ont compté sur les dépenses de l’État, financées par l’endettement, pour alimenter l’activité économique. D’autres (notamment Chypre, les États-Unis, l’Islande, l’Irlande et le Royaume-Uni) ont eu recours à des effets de levier intenables réalisés par les institutions financières pour financer les activités du secteur privé, quelquefois sans tenir compte des fondamentaux sous-jacents. D’autres encore (la Chine et la Corée du Sud) ont exploité une mondialisation semble-t-il sans limites et un commerce international en plein essor pour s’emparer de parts de marché. Et le dernier groupe s’est accroché à la locomotive chinoise.
Des données récentes publiées par le Fonds monétaire international soulignent la perte d’efficacité simultanée de ces modèles. La croissance mondiale s’est élevée à 2,9 pour cent en moyenne ces cinq dernières années, un taux largement inférieur à pratiquement tous les quinquennats précédents, depuis 1971. Si les performances des pays en développement ont dépassé celles des pays avancés, la croissance des deux groupes a ralenti. La croissance a été quasi nulle dans les économies développées, et inférieure à la précédente période de cinq ans dans les pays émergents, à 5,6 contre 7,6 %.
Les systèmes à fort niveau d’endettement des économies dépendant du secteur financier ont été les premiers à aller droit dans le mur, à la grande surprise de ceux qui avaient adhéré sans réserve à la « grande modération » – l’idée que la volatilité macroéconomique et du marché des actifs s’était atténuée de manière permanente. Les mesures politiques énergiques prises pour remédier aux troubles initiaux ont empêché une dépression mondiale, mais elles ont lourdement grevé les bilans du secteur public.
En conséquence, les gouvernements fortement endettés ont été les suivants à aller dans le mur, pour certains à cause du coût élevé nécessaire à contenir les dégâts causés par le comportement irresponsable des banques. Confrontés à une contraction immédiate du crédit et d’une grande partie de la production, ils ne purent être stabilisés que par un exceptionnel financement officiel extérieur, et dans certains cas extrêmes, en faisant défaut sur leurs engagements passés (notamment envers les détenteurs d’obligations, et tout récemment les déposants).
Dans d’autres pays, dont les États-Unis, les problèmes à moyen terme sont passés au premier plan. Mais au lieu d’engendrer des discussions politiques sensées, ces questions ont été abordées dans le contexte d’une politique polarisée et de la polarisation de la politique, donnant immédiatement lieu à de nouveaux obstacles à la croissance économique.
Dans le même temps, une économie mondiale très interdépendante et (aujourd’hui) moins dynamique limite la marge de manœuvre des moteurs de croissance externes. Mêmes les pays ayant un bilan équilibré et un endettement gérable ont pour cette raison connu un ralentissement de leur croissance. 
Les conséquences en sont devenues tristement évidentes, en particulier dans les pays occidentaux. La croissance anémique empêche qu’ils se désendettent sans risque, et les coûts sociaux ont nettement augmenté. Un taux de chômage inquiétant des jeunes, une diminution de la protection sociale, des investissements insuffisants dans les infrastructures et le capital humain pèsent lourdement sur les générations actuelles, et, dans un nombre croissant de cas, ces facteurs auront également une incidence négative sur les générations futures.
Ces processus ont également entraîné une hausse des inégalités. Et malgré la nécessité urgente d’ajustements politiques majeurs au plan national et d’une bien meilleure coordination régionale et mondiale, les progrès ont été décevants.
Dans un contexte politique peu favorable à la combinaison adéquate de mesures à court et à plus long terme, les politiques nationales ont tenté sans grand succès des approches partielles et des expériences inédites. L’idée a été de gagner du temps, au lieu de mettre en œuvre une transition rationnelle vers une politique durable. Et au plan national, les résultats potentiels auraient été moins incertains si les inégalités excessives n’avaient pas été traitées comme une préoccupation secondaire.
Les dimensions régionales et multilatérales sont tout aussi inadéquates. L’absence d’analyses communes clairement articulées et de coordination politique a accentué les déficits de légitimité, encourageant les dirigeants et les opinions publiques à adopter des narrations partielles, et sapé la confiance dans les structures institutionnelles existantes.
Compte tenu de ces tendances, la quête de modèles de croissance plus solides prendra plus de temps et sera plus compliquée qu’on ne le pense généralement – surtout du fait que l’économie mondiale se détourne d’une mondialisation sans restrictions et de niveaux d’endettement élevés.
Des pays comme les États-Unis devraient bénéficier d’un esprit d’entreprise de la base au sommet et de la convalescence économique cyclique traditionnelle. En dépit d’un congrès dysfonctionnel, le secteur privé devrait de plus en plus convertir une prime d’incertitude paralysante, qui bloque une grande partie des investissements, en une prime de risque moins pénalisante. Mais sans un turbocompresseur économique à court terme, la reprise de la croissance et la création d’emplois resteront graduelles, vulnérables aux risques politiques, et profiteront de manière disproportionnée à ceux qui possèdent initialement les richesses et les talents globalisés.
Le rôle du gouvernement sera différent dans des pays comme la Chine, où les autorités opéreront une transition de la dépendance aux sources externes de croissance vers une demande plus équilibrée. Comme ce changement de cap implique des réalignements nationaux fondamentaux, ce rééquilibrage sera à la fois graduel et non linéaire.
Les perspectives d’avenir des autres économies sont plus incertaines. Des pays comme Chypre, entravés par l’absence de flexibilité politique, auront besoin de temps pour surmonter le choc immédiat de la crise et réorganiser leurs modèles de croissance.
Livrées à elles-mêmes, ces dynamiques à plusieurs vitesses pourraient se traduire par une croissance mondiale générale plus élevée, couplée à des disparités internes et transnationales plus marquées – souvent aggravées par la situation démographique. Toute la question est de savoir si les systèmes de gouvernance actuels sont en mesure de coordonner une intervention effective pour surmonter les tensions qui en résultent.
Des progrès simultanés, tant aux plans de la substance que des processus, sont nécessaires. Les Parlements et les institutions multilatérales doivent s’évertuer à faciliter la mise en œuvre d’une politique de coopération, qui passera par une volonté de réformes d’institutions désuètes, dont le lobbying politique.
Il ne faut pas sous-estimer le défi posé par la croissance à l’économie mondialisée actuelle. Les secteurs les plus solides (au sein de chaque pays et transfrontaliers) continueront à se rétablir, mais pas suffisamment pour entraîner l’ensemble de l’économie mondiale. Les secteurs les plus faibles risquent en conséquence d’être submergés à un rythme encore plus rapide. Ces tendances deviendront plus difficiles à concilier et à maintenir ordonnées si les systèmes de gouvernance échouent à s’adapter.