TOUT EST DIT

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jeudi 7 mars 2013

Bruno Le Maire, « l’Europe va dans le mur »


A l’occasion de la sortie de son livre « Jours de pouvoir », l’ancien ministre de l’Agriculture livre une vision sévère de l’Europe. La France doit se mettre à niveau économiquement pour discuter avec l’Allemagne d’un projet resserré autour de la zone euro. Entretien.
C’est une histoire de quotas de pêches. Lors d’une émission de télévision sur France 2, en janvier dernier, l’ancien ministre de l’Agriculture Bruno Le Maire a accusé les « technocrates de Bruxelles » d’imposer leurs désidératas aux Etats sur la quantité de poissons qu’ils sont autorisés à pêcher chaque année.
Remise en cause dans l’un de nos articles, cette affirmation a donné lieu à un échange sur le réseau social Twitter avec l’ancien ministre. Il s’est terminé par une interview de 30 minutes, vendredi 1er mars, autour d’un thé.
Pour le député de l’Eure, auteur d’un nouvel ouvrage intitulé « Jours de pouvoir » (Nrf, Gallimard, janvier 2013) la négociation « de bric et de broc » sur les quotas de pêche est révélatrice de l’impasse dans laquelle l’Europe se trouve aujourd’hui.

« Ceux qui ont le pouvoir n’ont pas la légitimité »

Principaux concernés, les pêcheurs sont trop éloignés de la procédure. Quant aux discussions entre Etats, elles « se terminent à chaque fois en négociations de chiffonniers, où chacun essaie de défendre son petit pré carré, parce que, de toute façon, l’objectif politique global n’existe pas ».
La commissaire à la Pêche semble pourtant, elle, avoir un projet politique : défendre l’environnement et protéger les espèces en voie de disparition. Mais « en quoi Madame Damanaki a la légitimité démocratique suffisante pour décider que le développement durable est la priorité absolue ? » lâche le député de l’Eure. « J’estime moi que la priorité absolue est l’emploi et je ne vois pas en quoi la position d’un membre de gouvernement élu serait moins légitime. »
Comme ses 26 homologues à la Commission, la Grecque a pourtant été confirmée à son poste après une audition devant le Parlement européen. Une « procédure beaucoup trop légère », fustige M. Le Maire. « C’est le cœur du problème européen. Ceux qui ont le pouvoir n’ont pas la légitimité. »
L’exercice du pouvoir en Europe et au coeur de la machine bruxelloise est longuement décrit au fil des 400 pages du livre. Germanophile, très à l’aise en anglais comme en allemand, l’ancien haut fonctionnaire a arpenté l’Europe et le monde pour négocier la réforme de la politique agricole commune et la régulation des marchés agricoles dans le cadre du G20.
De cette expérience, Bruno Le Maire tire des conclusions très sévères sur le fonctionnement de l’Europe. Serait-il prêt à transférer de nouveaux pouvoirs à l’Union européenne aujourd’hui ? « Aucun », assène-t-il sans la moindre hésitation. Pourquoi confier une once de souveraineté supplémentaire « à un ensemble auquel je ne reconnais ni légitimité, ni efficacité, ni objectif ?

La France doit se « mettre à niveau »

Qui aime bien châtie bien, assure-t-il cependant. Pour M. Le Maire, le renforcement de l’Europe passe par la revitalisation des nations. « On ne construit rien dans le malheur. Or, aujourd’hui, la réalité est (que nos sociétés connaissent) le malheur ». Le grand saut fédéral ? C’est la meilleure manière d’avoir « une Marine Le Pen à 25 % ».
Cette « mise à niveau » économique est cruciale pour la France. Car elle est la seule à pouvoir discuter avec l’Allemagne du gigantesque effort - « comparable à celui de 1957 » - que l’Europe va devoir accomplir pour éviter « d’aller dans le mur ».
« Discuter du rôle de la Banque centrale européenne, du cours de l’euro ou du salaire minimum est légitime », explique Bruno Le Maire. Mais « l’Allemagne réunifiée, forte, avec une vision claire de sa stratégie économique est redevenue la grande puissance économique européenne ( …). Or le rôle politique est indexé sur les résultats économiques, que vous le vouliez ou non ».

Définir le cadre géographique

La critique est aisée, mais l’art est difficile en Europe. Comment aller au-delà du constat ? Les Européens doivent tout d’abord clarifier leur périmètre d’action, estime Bruno Le Maire. En l’occurrence, la zone euro, où se « trouve la tension politique », est le cadre évident.
L’Europe doit ensuite s’interroger sur sa raison d’être : La vision allemande d’une « puissance commerciale qui améliore la qualité de ses produits, de ses technologies pour les vendre à l’étranger » s’oppose aujourd’hui à la vision française d’une « puissance politique qui affirme des visions sociales et un modèle de développement économique singulier ».
Enfin, la légitimité démocratique des institutions européennes doit évidemment être remise en question.
Auteur du projet pour l’UMP de la campagne présidentielle, Bruno Le Maire avait formulé une série de propositions pour l’UE.
S’il devait en choisir une, immédiatement ? « Réformer le droit de la concurrence, pour permettre la construction de grands ensembles et favoriser les PME européennes. »

Le sombre héritage de Chávez


Hugo Chávez, qui n'était qu’un caudillo autoritaire, laisse derrière lui une économie vénézuélienne exsangue et beaucoup de désordres politiques en Amérique latine.

Le nationalisme économique et le régime autoritaire qu’Hugo Chávez laisse en héritage vont hanter le Venezuela et les pays voisins pour de nombreuses années.
Alors que le Venezuela était autrefois l'une des rares démocraties – certes imparfaite – dans une région en proie à des dictatures militaires, il se situe désormais au bas des classements continentaux pour la qualité des institutions et les libertés civiles et politiques. Ironiquement, Chávez a usé d’élections, de référendums et d’outils juridiques pour détruire les institutions démocratiques vitales, telles que la séparation des pouvoirs et l'indépendance des médias – un modèle répliqué récemment en Équateur, Bolivie et au Nicaragua. Même si Chávez l’a nommé "socialisme du 21e siècle", ses principales caractéristiques – un leadership messianique, le contrôle étatique des industries clés et la répression politique – le rapprochent davantage du fascisme qui a entaché certains pays d'Amérique du Sud par le passé.
Réparer le tissu social du Venezuela prendra des années, voire des décennies. Selon Transparency International, c’est désormais le pays le plus corrompu d'Amérique latine. C'est aussi l'un des plus violents, avec un taux de criminalité stupéfiant de 73 homicides pour 100.000 habitants. Et il est permis d’envisager une détérioration de la situation dans le sillage de la mort de Chávez. Le gouvernement a armé et entraîné au moins 25.000 civils pour former une milice résolue à « défendre la révolution ». Aucun des successeurs probables de Chávez ne semble en mesure d’emporter la loyauté (ou même la sympathie) de ces chavistes jusqu’au-boutistes. Ces éléments radicaux mécontents, armés de fusils russes, pourraient perpétrer encore plus de violences dans les mois à venir. En tout cas, la méfiance et la profonde haine qui ont divisé la société vénézuélienne entre partisans et adversaires d’Hugo Chávez vont lui survivre.
L'économie du Venezuela est l'un de ses plus grands méfaits. Le dernier rapport des libertés économiques dans le monde de l'Institut Fraser classe le Venezuela à la dernière place des 144 pays étudiés. Le taux d'inflation est parmi les plus élevés au monde.
Les faits concrets sont encore plus sombres. Le Venezuela souffre d'une pénurie chronique d'électricité et de produits de base. Ses routes, ponts et autres infrastructures sont littéralement en train de s'effondrer après des années de négligence, alors que les capacités agricoles et industrielles du pays ont été décimées par des nationalisations et expropriations répétées. Le pays importe actuellement 70% de sa nourriture, tandis que le pétrole représente 95% de ses recettes d'exportation. La monnaie a été dévaluée de 32% après une frénésie de dépenses du gouvernement qui a précédé l'élection présidentielle d’octobre dernier et laissé un déficit budgétaire impressionnant de 8,5% du PIB. Et cela pourrait ne pas être suffisant : sur le marché noir, la monnaie se négocie au tiers de son nouveau cours officiel face au dollar ; aussi, une dévaluation encore plus importante pourrait survenir prochainement.
Chávez n'aurait pas pu mener son programme populiste sans la manne pétrolière, qui aurait représenté des recettes estimées à 980 milliards de dollars durant son mandat. Environ un tiers a alimenté les programmes sociaux – d’où sa popularité parmi les pauvres. Mais le reste a été gaspillé dans des placements douteux et est allé grossir les comptes bancaires d'une nouvelle classe privilégiée appelée les « boligarchs » – nommés ainsi parce qu'ils ont énormément profité de la soi-disant révolution bolivarienne de Chávez pour prospérer.
Des dizaines de milliards ont aussi permis d’alimenter ses ambitions dans la région : financement de partis politiques et de gouvernements d'extrême gauche ainsi que des insurrections armées en Amérique latine.
Les États clients du Venezuela seront affectés par le départ de Chávez. Sans l’aide massive du pétrole et autres mannes en provenance du Venezuela, l’économie très fragile de Cuba pourrait s'effondrer. Parce que cela pourrait mettre en péril la dictature de Castro, La Havane tient un rôle actif dans les décisions concernant la désignation du remplaçant de Chávez et la façon dont la succession doit se jouer.
D'autres alliés régionaux tels que l'Argentine, le Nicaragua, l’Équateur et la Bolivie auront sans doute à affronter également les compressions de l'aide économique, mais pas suffisamment pour déstabiliser leurs dirigeants au pouvoir. Aussi, la menace d’une extension du populisme de gauche en Amérique latine sera grandement contenue en l'absence du leadership et du porte-monnaie de Chávez et en raison du visible désordre qu'il laisse derrière lui. Après tout, le groupe des pays alignés avec le Venezuela – l’«Alliance bolivarienne pour les Amériques » et l'Argentine – ne représentent que 20% du PIB de la région. D'autres pays tels que le Chili, le Pérou et le Mexique, qui ont choisi le capitalisme démocratique, se portent beaucoup mieux et représentent un modèle bien plus attrayant.
En dernière analyse, l'histoire retiendra qu’Hugo Chávez n’était qu’un caudillo autoritaire dont les politiques ont fait régresser le développement et les institutions du Venezuela pour des décennies. Souhaitons que le Venezuela et l’Amérique latine tournent rapidement cette sombre page.

Et si tout volait en éclats ?


Le risque de “conflagration civile” existe bel et bien. Tant que les politiques ne mesureront pas la désespérance des Français et se complairont dans un cynisme forcené.
C’est peu dire que François Fillon n’a pas toujours fait preuve d’une grande lucidité. Après avoir écrit un livre intitulé La France peut supporter la vérité, il en a souvent oublié ce beau titre, emprunté à Pierre Mendès France, lorsqu’il était premier ministre. Bien sûr, une fois, au tout début de son séjour à Matignon, il a été le premier à dire qu’il gérait « un État en situation de faillite ». Mais qu’a-t-il fait pour empêcher le déclin de l’économie française ? Où est passée sa lucidité lorsqu’il a préféré taxer les sodas et les parcs d’attraction afin de redresser les finances publiques, quand les Allemands accroissaient de 3 points la TVA pour financer la protection sociale ? Où est passée sa lucidité lorsqu’il n’a pas cessé de dénoncer les 35 heures sans jamais remettre en cause cette disposition inepte, coûteuse et mortifère ? Où est passée sa lucidité lorsque, parti à la conquête de l’UMP, il a cru qu’il n’était pas nécessaire d’aller au contact des militants, ouvrant de fait un boulevard à Jean-François Copé ?
Tel son maître en politique, Philippe Séguin, François Fillon n’est jamais aussi clairvoyant que lorsqu’il n’est plus aux affaires. En témoigne cette petite phrase lancée, il y a dix jours, lors de son meeting à la Mutualité, dans laquelle il dénonçait le risque pour la France d’une « conflagration civile », dans le sillage d’une « chute brutale du niveau de vie ». Il n’y a pas besoin d’être grand clerc pour voir poindre le moment où le pays va rejeter les élites, de droite comme celles de gauche — que rien ne distingue vraiment —, pour se jeter à corps perdu dans les bras de mouvements populistes. Comme cela vient d’être le cas en Italie, à la suite d’élections qui ont fait d’un clown de gauche et d’un cynique de droite les deux vainqueurs du scrutin.
Nombreux sont ceux qui annoncent, depuis quelques années, le risque de voir éclater en France le “pacte républicain”. Ce qui est normal lorsque les représentants des citoyens au Parlement s’occupent de tout, sauf de ce qui concerne les Français au jour le jour. Combien d’immolations de chômeur devant les bureaux de Pôle emploi faudra-t-il attendre pour voir le gouvernement prendre à bras-le-corps ce drame du chômage ? Combien d’exils de jeunes Français à Londres, au Canada, en Australie et maintenant à Dubaï faudra-t-il constater avant que nos ministres s’interrogent sur la place qu’ils accordent aujourd’hui en France à tous ceux qui ont 20 ans ? Combien de suicides d’agriculteur (800 par an en France) devra-t-on compter avant que cette “gauche caviar” qui nous gouverne se soucie enfin de cette France des invisibles, des oubliés et de tous ceux qui ne se plaignent jamais parce qu’ils travaillent sans compter leurs heures.
Il y a deux ans, le médiateur de la République, qui rendait son dernier rapport, avait averti le président de la République que 12 à 15 millions de Français — c’est-à-dire un cinquième de la population — terminaient chaque mois à 50 euros près. Et il avait évoqué le fait que la communauté nationale était déjà en état de burn out. Depuis, même si l’alternance politique a pu servir d’exutoire à certains, la situation n’a fait qu’empirer. Le nombre de sans-emploi est à un niveau record. Les entreprises n’embauchent plus. Et la bouteille de chloroforme qu’utilisent tous les gouvernements, depuis près de quarante ans, sous la forme d’allocations diverses et variées, est pratiquement vide. Car notre fameux modèle social est à bout de souffle.
Si l’on ajoute à cela des politiques qui ne prennent pas la mesure de la désespérance et qui se complaisent dans un cynisme consistant à ne surtout pas mettre les problèmes sur la table, de peur que les Français renversent celle-ci, alors, oui le risque de “conflagration civile” existe bel et bien. Et sans doute avant l’échéance de 2017. Par exemple, les élections municipales et les élections européennes de l’an prochain pourraient faire apparaître une envolée des mouvements extrémistes de gauche comme de droite. Même à gauche, certains responsables parlent ouvertement d’un risque de « jacquerie » après le coup d’assommoir fiscal donné il y a dix mois.
Si François Fillon, comme bien d’autres, a ce triste pressentiment d’une “conflagration” au sein du pays, ou d’une “étrange défaite”, pour faire allusion au chef d’oeuvre de Marc Bloch, aucun ne propose pour autant la solution qui permettrait d’éviter ce déclin qui frappe à notre porte et que François Hollande amplifie. Tout cela crée de plus en plus de place pour le retour d’un homme providentiel. Pour le recours au seul homme d’État capable de remettre la France debout. Afin d’éviter que le pacte national vole en éclats !

La fête des fous

La fête des fous


Quand la gauche socialiste soutient un texte communiste qui encourage et légitime la violence syndicale au moment où le climat social n’en a guère besoin…
Le tribunal de commerce de Montluçon avait à examiner, ce mardi 5 mars, la liquidation éventuelle d’une fonderie en faillite, DMI, 168 salariés. À quelques kilomètres de là, un groupe d’ouvriers de cette fonderie conduit par un délégué syndical avait relié quatorze bonbonnes de gaz à un dispositif électrique permettant de les faire exploser. Le tribunal allait-il se prononcer en toute sérénité ?
Le mercredi 27 février, le conseil de prud’hommes de Compiègne commençait l’examen des cas de 680 salariés de Continental — les “Conti” — dont l’usine avait fermé début 2010. À l’annonce de cette fermeture en avril 2009, un certain nombre d’entre eux s’étaient précipités à la sous-préfecture de Compiègne et l’avaient mise à sac, aux ordres d’un syndicaliste CGT, Xavier Mathieu (qui devait, par la suite, refuser de se soumettre à un test ADN). Or celui-ci allait être l’une des figures du débat qui se déroulait au Sénat, ce même 27 février. Les sénateurs étaient en effet saisis d’une proposition de loi destinée à l’amnistier — avec d’autres condamnés comme lui.
L’affaire a été menée par trois sénatrices, deux communistes, Annie David, présidente de la commission des affaires sociales, auteur de la proposition de loi, Éliane Assassi, présidente du groupe communiste républicain et citoyen, et une socialiste, Virginie Klès. Le texte n’avait une chance d’aboutir (le vote n’a été acquis que d’extrême justesse, 174 voix contre 172) qu’avec la complicité du gouvernement en la personne de Christiane Taubira, garde des Sceaux, qui venait ainsi approuver la dénonciation de décisions de justice en s’en remettant à la « sagesse » et au « courage » du Sénat.
Sagesse que les sénatrices communistes ont aussitôt pratiquée en attaquant : « Les voyous, n’est-ce pas plutôt les patrons qui font tout pour échapper à l’impôt et menacent de délocaliser l’emploi ? La vraie violence sociale, c’est la fermeture de plusieurs centaines d’entreprises pour préserver les intérêts boursiers des actionnaires », disait la première, Annie David, cependant que la seconde, Éliane Assassi, reconnaissait que les condamnations conduisaient « à une paralysie de l’action syndicale, de même que les amendes élevées obèrent les finances des organisations ».
Ancienne ministre, sénatrice des Yvelines, Catherine Tasca résumait ensuite les motifs du soutien des socialistes au texte communiste : restaurer « l’honneur des salariés victimes de la violence sociale dans leurs entreprises », tout en marquant leur « résistance à la propagation de la violence qui tend à devenir un mode banal de relation à l’autre »… Mais de quelle résistance parlait-elle ? De la limitation de l’amnistie aux peines d’emprisonnement maximales de cinq ans au lieu de dix comme le demandaient les communistes ? Naïveté. D’abord parce que cette amnistie est une première puisque les faits effacés ne concernent que des délits syndicaux, quasiment ad hominem (des chefs d’entreprise sont-ils pareillement amnistiés ? Surtout pas !). Ensuite parce qu’elle ne mettra pas fin à la surenchère communiste — au contraire.
Et d’ailleurs, pour le confirmer, un troisième sénateur communiste, élu du Pas-de-Calais, Dominique Watrin, s’est empressé de profiter de ce texte pour exiger une même amnistie des mineurs du Nord condamnés — en 1948 et 1952 ! Pourquoi revenir ainsi aux événements de 1948, si ce n’est pour pouvoir redire que « 60 000 CRS furent déployés », que l’on « fit appel aux troupes stationnées en Allemagne et aux troupes coloniales pour assiéger le coron en grève avec des chars d’assaut », et qu’il y eut des dizaines de victimes ? Cela, pour rappeler que le ministre de l’Intérieur de l’époque était un socialiste nommé Jules Moch. Une manière de rafraîchir la mémoire des socialistes d’aujourd’hui, de leur rappeler les fractures d’hier, ni oubliées ni refermées. Le seul à l’avoir compris est son lointain successeur, Manuel Valls.
Il fallait des élus de droite pour le dire à la garde des Sceaux : « Quelles que soient vos intentions, ce texte sera une incitation à la vengeance locale, une légitimation de la violence » (Christophe Béchu, UMP) ; « Vous versez de l’huile sur le feu syndical » (Pierre Charon, UMP). Et c’est François Zocchetto (Alliance centriste) qui aurait dû avoir le mot de la fin quand il a lancé ces propos jugés « scandaleux »« Vous allez inciter par la loi au non-respect du droit. Il y eut une époque, du temps des rois, où l’on organisait une fête des fous. Notre rôle de législateur n’est pas d’octroyer un carnaval au peuple ! »

Indispensable ? Quand Nicolas Sarkozy envisage son retour avec le même logiciel que celui sur lequel il a construit sa carrière


Dans un article publié dans l'hebdomadaire Valeurs Actuelles ce jeudi, l'ancien président de la République explique qu'il n'a pas envie de revenir en politique et qu'il ne le fera que s'il y est obligé, faute de "solution de recours à droite et à gauche".
La France peut elle se passer de Nicolas Sarkozy ? Assurément non, pour une majorité de sympathisants UMP en tout cas comme le montre le sondage réalisé par l’Ifop, et assurément non pour l’intéressé lui-même ! C’est tout du moins ce qui ressort de l’entretien que l’ancien président a accordé à Valeurs Actuelles, brisant ainsi la cure de silence qu’il s’était imposé depuis son échec à la présidentielle le 6 mai dernier. On ne peut s’empêcher de relever que l’ancien président s’exprime quelques jours après que son ancien Premier ministre, François Fillon, se soit lancé à la conquête des Français, entreprenant une sorte de longue marche à travers la France.
Nicolas Sarkozy ne se livre pas à une interview formelle, mais ses propos sont autorisés à être rapportés. Et si on peut entendre citer sur toutes les ondes la phrase "Que ce soit clair, je n'ai pas envie d'avoir affaire au monde politique, qui me procure un ennui mortel !»,accréditant l’idée qu’il est bel et bien un "retraité de la politique", comme il s’est lui-même défini à New-York, il suffit de compléter la lecture pour comprendre très vite que Nicolas Sarkozy se situe davantage dans l’auto-persuasion que dans l’affirmation.
On ne connait pas Nicolas Sarkozy masochiste ; or il n’a jamais cessé de fréquenter "ce monde politique qui lui procure un ennui mortel", et s’il comble son ennui et assouvit sa soif d’apprendre, en recevant  quantité de chefs d’entreprises, d’écrivains, c’est bien par envie qu’il a gardé le contact avec ce monde politique qu’il dit abhorrer. Et ce ne sont pas uniquement ses fidèles, rassemblés au sein de l’Association des Amis de Nicolas Sarkozy, qui défilent dans son bureau ; on ne compte pas le nombre de parlementaires de l’opposition qu’il reçoit pour parler politique.
C’est que  Nicolas Sarkozy se voit "indispensable". Se rendre indispensable a été le ressort de tout son parcours politique .Tout jeune conseiller municipal, il s’est rendu indispensable auprès du maire de Neuilly de l’époque, Achille Perretti ; il s’est ensuite rendu indispensable auprès de Jacques Chirac au RPR, avant d’en faire de même auprès d’Edouard Balladur, puis à nouveau après de Chirac en 2002. L’est-il toujours aujourd’hui ?
C’est toute la question : "Il y aura malheureusement un moment où la question ne sera plus : avez-vous envie ? Mais aurez-vous le choix ? Ce ne sera pas le moment le plus glorieux pour la France. Il s’agira d’un moment où le pays sera tenaillé entre la poussée de l’extrémisme de gauche et celui de droite parce que François Hollande n’aura pas tenu compte de toute cette France des invisibles et des oubliés. Et puis, il s’agira d’un moment où la droite n’offrira aucune solution de recours. Pas plus que la gauche. Dans ce cas, je ne pourrai pas continuer à me dire : Je suis heureux, j’emmène ma fille à l’école et je fais des conférences partout dans le monde. Dans ce cas, effectivement, je serai obligé d’y aller. Pas par envie. Par devoir. Uniquement parce qu’il s’agit de la France", confie Nicolas Sarkozy qui se fait Cassandre : "On va au-devant d'événements graves. Il y aura une crise sociale. Puis on va se prendre une crise financière d'une violence rare et ça finira par des troubles politiques". Et naturellement, Nicolas Sarkozy serait le seul à pouvoir résoudre les inextricables problèmes de la France. Nicolas Sarkozy, le recours, et non la reconquête !
Battu, Valéry Giscard d’Estaing était revenu "à la base" en se faisant réélire conseiller général, puis en redevenant député. Nicolas Sarkozy juge que ce n’est pas de son niveau ; lui se voit en sauveur de la Nation. Sous quelle forme ? Après une dissolution qui verrait la droite revenir au pouvoir et obligerait François Hollande à remettre son mandat en jeu, comme en rêvent certains de ses proches ? Pas sûr – c’est une litote –  que cette théorie du recours fasse l’unanimité, même dans son camp.
Nicolas Sarkozy a certes fait de son mieux pour tenir pendant la crise de 2008-2009. Mais les partisans de la rupture annoncée sont restés sur leur faim et lui reprochent la timidité de ses réformes. Si aujourd’hui François Hollande est sévèrement critiqué, rien ne permet de prédire qu’il va échouer à terme. Dix mois seulement nous séparent de l’élection présidentielle. L’indispensable Nicolas Sarkozy n’est-il pas tout simplement terriblement impatient ? Notre confrère Yves de Kerdrel cite son conseiller, Patrick Buisson qui, évoquant l’ancien président, dit qu’"un  tigre devient rarement végétarien".  Le tigre donne l’impression de terriblement s’ennuyer dans sa cage planétaire.
QUE LES MEDIA ARRÊTENT DE GLOSER SUR UN HYPOTHÉTIQUE RETOUR DE SARKO,
LA FRANCE NE LE MÉRITE PLUS.

Le socialisme est un cancer de la démocratie : abattons-le !


Les socialistes ont perverti les nobles notions de Liberté, Égalité et Fraternité. En tant que tels, ils sont les ennemis de tous les démocrates.
Jean-Jacques Rousseau, penseur socialiste avant l’heure, avait coutume de dire que le législateur doit se sentir de force à transformer la nature humaine. Il n’y a pas meilleure définition du socialisme constructiviste que celle-là : transformer la nature humaine et, pour ce faire, prendre le pouvoir et user de la loi pour opérer cette transformation. Transformer l’homme par la contrainte légale : tel est donc l’idéal socialiste. Cette idée est l’exacte contraire du libéralisme qui se refuse de changer la nature humaine et rejette toute contrainte légale non librement consentie ! Je le dis ici avec force : on ne peut à la fois être libéral et socialiste ! Il n’y a rien de plus énervant ni de plus stupide que d’entendre parler de « social-libéralisme » ou de « libéral-socialisme ». Ainsi, certains médias en France, osent affirmer en dépit de tout bon sens que le président François Hollande se serait converti au « social-libéralisme » (que d’aucuns nomment aussi la « social-démocratie ») au motif qu’il aurait changé de cap en matière économique. Cela ne tient pas la route : on ne peut être qualifié de libéral parce que l’on adopterait quelques-unes des recettes du libéralisme économique ; le libéralisme n’est pas un courant de pensée à la carte où l’on prendrait ce qui est intéressant et refuserait ce qui ne l’est pas. Le libéralisme est une éthique, une attitude. On est libéral en tout ou on ne l’est pas. On ne peut être à la fois pour la Liberté et l’égalitarisme. C’est radicalement incompatible.
Qu’il me soit permis ici de le clamer avec force : les socialistes ont perverti les notions de « liberté », « égalité » et « fraternité » qui leur sont pourtant si chères. La Liberté est absence de contrainte légale (mais pas de règles : le libéralisme n’est pas l’anomie). Les socialistes ont perverti cette notion en ce qu’ils l’ont remplacée par l’absence de besoins : est libre, non pas la personne qui n’est pas contrainte d’agir contre son intérêt, mais celle qui ne se trouve pas dans le besoin. Dans la mesure où les besoins de l’homme sont infinis, cette définition permet donc l’intrusion permanente de l’État dans la sphère privée de l’individu. La liberté, selon les socialistes, doit être effective, réelle, ou ne pas être. Ils ont remplacé une réalité (l’homme est imparfait mais est capable d’agir dans son intérêt et dans celui de la société), par un idéal abstrait contraignant et asphyxiant (la loi va satisfaire tous les besoins du berceau au cercueil, fût-ce en privant certains de liberté).
Le libéral n’est pas contre l’intervention étatique en dehors de ses missions régaliennes, mais il convient que cette intervention, pour être légitime à ses yeux, soit impossible à réaliser par le privé ou à ce point coûteuse qu’il est plus efficient qu’elle soit assurée par le public (problématique des externalités ou des effets de voisinage). Donc, pour le libéral, c’est à titre tout à fait exceptionnel que l’État pourra intervenir de manière fortement encadrée et en se rappelant que toute intervention publique est un empiètement sur la sphère privée et donc sur la Liberté individuelle. Pour le socialiste, au contraire, l’État gardien de la liberté effective se doit d’intervenir chaque fois qu’un besoin n’est pas satisfait, peu importe l’empiètement sur la liberté individuelle que cette intervention implique ! Beaucoup de libéraux se sont laissés piéger par cette rhétorique socialiste et les ont rejoints pensant se placer ainsi sous la bannière de la Liberté. Funeste erreur car, ce faisant, ils ont non seulement contribué à gonfler les rangs socialistes et légitimé leur rhétorique, mais ils ont surtout, dans la réalité, abandonné leur vocation et quête de Liberté !
La liberté socialiste est donc contraire en tous points de vue à la liberté des libéraux. Elle est par conséquent également contraire à la Liberté chrétienne qui est quête jamais atteinte vers toujours plus d’émancipation, quête qui se retrouve également dans le combat libéral. Pour les chrétiens, Dieu a décidé librement de s’incarner dans l’humanité, jusqu’à en mourir sur la Croix, afin de sauver l’homme, c’est-à-dire, concrètement de lui donner la possibilité de partager Sa nature absolument libre. En s’unissant au Christ – tel est le sens de la communion chrétienne –, l’homme est fondé à jamais dans la Liberté sans que l’asservissement du péché n’ait plus aucune emprise sur lui (telle est la Vie éternelle qui commence hic et nunc, ici et maintenant). Le socialisme, en pervertissant la notion de Liberté, se place donc complètement à l’opposé du christianisme, tout comme il s’est placé à l’opposé du libéralisme.
La notion d’égalité a également été pervertie par les socialistes. Pour le libéral, l’égalité formelle, c’est-à-dire l’égalité de traitement est seule compatible avec la notion de Liberté véritable. L’égalité des chances, dans sa juste acception d’égalité d’accès aux emplois publics, est également soluble dans la notion de Liberté. En revanche, l’égalité des résultats, prônée par les socialistes, est radicalement incompatible tant avec le libéralisme qu’avec le christianisme. L’égalité des résultats – ou égalitarisme – a une tout autre portée : elle vise ni plus ni moins à placer chaque individu dans la même situation que son voisin, ce qui n’est pas possible sans « déshabiller Pierre pour habiller Paul » ou, pour le dire autrement, sans prendre – par la force de la loi – aux uns pour donner aux autres. Il s’agit d’une spoliation légale pour arriver à une société sans classe, sans différence, sans altérité, que ce soit au niveau social, politique, économique, sociétal. Il s’agit d’une dictature d’autant plus sournoise qu’elle revêt les habits de la légalité.
Dans cette optique, la femme doit devenir l’identique de l’homme, avec force de quotas et de gommage de la différence sexuelle. Les frontières entre pays doivent disparaître au profit d’un grand melting-pot international où le confusionnisme tient lieu de religion. Le riche et le pauvre doivent disparaître au profit d’une classe unique paupérisée. Le fort doit être émasculé pour engendrer un androgyne efféminé portant gloire au grand dieu gay qui gouverne le monde et la mode. L’épargnant allemand doit dilapider son argent au profit des cigales grecques. Les élèves doivent acquérir le même niveau de qualification quitte à abolir le redoublement et à abandonner le système de points. Les femmes doivent pouvoir louer leur ventre comme on loue une voiture ou un immeuble. On pourrait continuer ainsi à l’infini la longue litanie des contraintes légales que les socialistes font peser sur les individus pour transformer la nature humaine et la société ! Or, à chaque obligation correspond une perte de liberté individuelle. Le libéral ne peut être que révulsé par cette emprise tentaculaire du monstre public. Et le chrétien également, lui dont le Dieu est venu consacrer l’individualisme en offrant le salut et la Bonne Nouvelle de Sa personne à chaque personne, chaque femme, chaque homme, chaque enfant, considérant comme démoniaque toute déresponsabilisation de l’individu par la collectivité. Le chrétien comme le libéral ne peuvent ainsi en aucune manière souscrire aux concepts de liberté et d’égalité pervertis par les socialistes.
Il en va de même, enfin, avec le concept de fraternité, dont l’expression politique est la solidarité. La Solidarité n’est pas une construction abstraite, artificielle de l’homme comme celle dont nous rabattent les socialistes indéfiniment, mais elle est bien plutôt concrète, inhérente à la nature humaine. Frédéric Bastiat l’explique à merveille : « Il suffit que l'action d'un homme, d'un peuple, d'une génération, exerce quelque influence sur un autre homme, sur un autre peuple, sur une autre génération, pour que la loi (de la Solidarité) soit constatée » (inHarmonies économiques). La Solidarité, version libérale, n’est donc pas contrainte par le législateur ; elle est issue des multiples échanges entre les hommes : elle est spontanée, non contrainte. Par exemple, lorsque l’État impose une journée de « solidarité » en faveur des plus âgés, fait-il un effort ? Non, car il ne s’agit pas de son temps libre, mais de celui des citoyens. Il ne s’agit donc pas ici davantage de solidarité véritable. Autre exemple : lorsque l'on prélève des cotisations sur le travail au prétexte d'une redistribution qui s'avèrera plus ou moins réelle, le travailleur fait-il là un acte magnifique de solidarité ? Non, car seule la contrainte le guide. Cette solidarité entre hommes, libres et responsables, existe depuis que l'humanité est. Elle demeure par ailleurs un des piliers du christianisme. Mais, les exemples ci-dessus suffisent à le démontrer, il ne faut pas confondre la solidarité véritable avec la dérive de « solidarisme » effréné de tous les mouvements de gauche actuels qui réclament tous les jours, plus de « solidarité », sans que cela leur coûte quoi que ce soit et sans que cela soit le fruit d’une réelle volonté !
Concluons. Les socialistes ont perverti les notions nobles de Liberté, Égalité et Fraternité (Solidarité). Ce sont donc des pervers. Comme tels, ils sont les ennemis des libéraux et des chrétiens et de tous les démocrates ! Chassons-les, avant qu’ils nous imposent leur dictature…

Gloubi-boulga idéologique : de Chavez à Hessel en passant par l’islam ou le peuple, tous ces sujets sur lesquels la France ne sait plus ce qu’elle pense


Entre hommages gênés, de gauche comme de droite, à Hugo Chavez et délire politico-médiatique autour de Stéphane Hessel, la France a-t-elle perdu tout repère idéologique ?

André Sénik : Il faut saluer le contraste entre l’hommage officiel rendu par François Hollande Hollande et Christiane Taubira à  Hugo Chavez (Mélenchon se déshonorant carrément) et le rappel par les journalistes de télévision des mauvaises fréquentations et des résultats économiques désastreux de Chavez. Les Français sont donc très massivement au clair sur ce révolutionnarisme exotiquement grotesque.

En revanche, l’hommage auquel Hollande se prête montre que le Surmoi communiste n’a pas disparu, y compris chez lui.
L’hommage quasi unanime à Hessel est un symptôme qui reste à interpréter. J’y vois le scepticisme à l’égard du monde réel, sur lequel les peuples n’ont pas de prise magique. "Indignez-vous, et le reste vous sera donné par surcroît" est une formule religieuse, un baume pour désillusionnés sans cause. Hessel, c’est la nostalgie d’un âge d’or pendant lequel les peuples exerçaient leur influence à l’intérieur des États-nations. S’adapter à la mondialisation est en partie un travail de deuil à l’égard de ce sentiment de toute puissance.

Jean-François Kahn : Les réactions à la mort de Stéphane Hessel et surtout à celle d'Hugo Chavez sont assez classiques. Lorsqu'une personnalité décède, on oublie les rancœurs. Il suffit de se souvenir du discours élogieux de Jacques Chirac lors de la mort de François Mitterrand.

Ce qui est intéressant avec le cas "Chavez", c'est qu'il incarne la mauvaise conscience de la gauche social-démocrate. On peut penser ce que l'on veut d'Hugo Chavez. Personnellement, ce n'est pas ma tasse de thé. Il a un côté Sarkozy d'extrême gauche qui m'insupporte : le côté narcissique mégalo. Mais au-delà de l'opinion, il faut regarder froidement la réalité en face. Et cette réalité est terrible pour la gauche social-démocrate. Cette gauche perd partout dans le monde, élection après élection. En Europe, mais aussi en Amérique latine : au Pérou, au Brésil, en Argentine. A l'inverse, l'ovni Chavez a été réélu trois fois et son disciple en Bolivie, Evo Morales, est à 63% d'opinions positives.

Pour la gauche social-démocrate, Hugo Chavez est une "claque continuelle". Il faut lire Libération, le Monde ou le Nouvel Obs pour se rendre compte à quel point il est exécré par cette gauche. Paradoxalement, seul le Figaro évoque Hugo Chavez de manière objective. On peut lui reprocher le fait que son pays reste prisonnier de la monoculture du pétrole. Mais les chiffres sont là. Il a fait profiter la population la plus déshéritée de la manne pétrolière et les inégalités ont reculé. Pour des sociaux-démocrates qui ont échoué et sont rejetés par le peuple, Hugo Chavez est "une provocation".

Eric Deschavanne : N'accordons pas trop d'importance à l'écume médiatique. La société française me paraît assez largement indifférente – mélanchonistes mis à part – au révolutionnarisme de Chavez. Quant à Stéphane Hessel, nul besoin d'être grand clerc pour prévoir que son empreinte idéologique sera nulle. Sa mort succède de peu à l'immense et surprenant succès de l'opuscule qui l'a tiré du relatif anonymat dans lequel il avait vécu jusqu'alors. Il a incarné sur le tard aux yeux des médias et du grand public la figure de la "belle âme", révoltée comme de juste par la guerre, la misère et l'inégalité. Il illustre à cet égard l'emprise du moralisme sur le débat public au sein de la sphère médiatique. Si l'on entend par idéologie la construction rationnelle d'un récit qui permet de comprendre le monde dans le but de le transformer par une action efficace, alors oui, on peut dire que le culte de l'indignation confine à la vacuité idéologique.

Quelles conséquences concrètes cette confusion idéologique a-t-elle aujourd'hui ? Toute cohérence politique est-elle illusoire ?

André Sénik : La confusion idéologique est peut-être objective avant tout. Au niveau de la politique européenne, il est évident, et heureux, que les grands clivages idéologiques soient grandement réduits. On manque en réalité d’un horizon politique commun assumé ensemble par la droite et la gauche civilisées. Je ne pense pas qu’il faille creuser les désaccords, par exemple quand un gouvernement de gauche fait à peu près la même politique que son prédécesseur, réalité oblige.

La lutte bidon entre des partis qui coopèrent à Bruxelles entraîne scepticisme et abstentionnisme, et pourrait en cas de désespoir profiter aux solutions incantatoires de rejet du système. Il faut défendre le système démocratique libéral.

La gauche qui accepte le marché sera cohérente quand elle se sera débarrassée de ses gènes marxistes : elle peut trouver sa cohérence en étant moderniste sur le plan des mœurs, favorable à la redistribution sur le plan social, et coupable vis-à-vis de ceux qui vont mal.

La droite sera plus cohérente quand elle prouvera que le libéralisme vaut mieux que le tout service public.

Eric Deschavanne : Les politiques sont guidés par les nécessités de la conquête et de la conservation du pouvoir, il n'y a aucun doute là-dessus. Dans cette perspective, la cohérence idéologique est à bannir : il  importe d'entretenir non pas tant la confusion d'ailleurs que l'ambiguïté idéologique. Quant à la cohérence politique, toute relative, elle est imposée par le principe de réalité. C'est pourquoi l'on observe, s'agissant des grands axes, une remarquable continuité politique par-delà les alternances (la fameuse politique "UMPS" dénoncée par le Front national). En France, tout particulièrement à gauche, subsiste encore vaguement la nostalgie pour les grands projets de transformation radicale de la société. C'est pourquoi on assimile volontiers la disparition des utopies révolutionnaires au "vide idéologique". Ce vide-là me convient fort bien. On ne peut que souhaiter davantage de créativité politique, mais celle-ci ne peut naître que d'un surcroît d'intelligence du réel, pas d'un volontarisme aveugle.

Cette impression pourrait-elle finalement être le signe d'un abandon progressif du traditionnel clivage droite/gauche au profit d'un clivage plus complexe notamment sur les questions de l'Europe et du protectionnisme?

André Sénik : Il n’y a rien d’étonnant à ce que les clivages ne se superposent pas de façon à dessiner deux fronts homogènes. La politique oblige à des choix qui ne découlent pas automatiquement d’un seul principe. Mais le fond du clivage droite gauche me paraît tout de même subsister : la gauche est pétrie de bons sentiments, auxquels elle sacrifie le réalisme. La droite doit être pragmatiste sans vergogne, et ne pas craindre de nommer les problèmes par leur nom. Par exemple, appeler l’islamisme radical djihadiste par son nom, sans se réfugier derrière le mot "terrorisme" par peur de fâcher, comme l’a fait Hollande, qui fait ce qu’il faut au Mali.

Jean-François Kahn : Je ne crois pas que l'on puisse parler de disparition du clivage droite/gauche en se référant au cas d'Hugo Chavez car il a justement joué à fond sur les antagonismes : les bons contre les méchants, l'ombre et la lumière... Il a soufflé sans arrêt sur les braises nourrissant un climat de guerre civile froide. On ne peut pas non plus le qualifier de pur protectionniste. Hugo Chavez a ouvert son pays à des marchés communs locaux, bradant d'ailleurs son pétrole aux pays amis voisins. Il a surfé à la fois sur le nationalisme vénézuélien, notamment contre les États-Unis, et sur un internationalisme comme on n'en avait pas vu depuis longtemps. Par ailleurs, il a mélangé le gauchisme castriste au christianisme exalté.

Hugo Chavez peut, en revanche, être qualifié de populiste. Le problème est qu'il n'y a que le populisme qui fonctionne sur le plan électoral comme on a pu le voir en Italie. Il faut maintenant être capable de créer un populisme "positif" pour combattre le populisme du pire. Là est peut-être le vrai clivage.

Eric Deschavanne : La force du clivage droite/gauche réside précisément dans son simplisme. Dans une démocratie, le débat public et la compétition électorale sont nécessairement structurés par un clivage bipartisan, quel que soit le contenu idéologique de chacun des camps, lequel varie d'ailleurs dans le temps. Il s'agit d'une nécessité  fonctionnelle. L'illusion consiste à penser que la droite et la gauche sont des idéologies, ce qui est absurde. Les idéologies sont indépendantes du clivage bipartisan: elles constituent en quelque sorte des intérêts intellectuels lesquels, comme les intérêts matériels, utilisent la compétition politique pour tenter de prévaloir. On peut sans doute considérer que la droite et la gauche ont trop de substance idéologique pour être purement fonctionnelles; elles sont cependant trop fonctionnelles pour être purement substantielles. Les partis de gouvernement sont "attrape-tout" comme on dit : ils sont en quête de compromis susceptibles d'agréger le maximum d'intérêts. La recherche d'une trop grande cohérence idéologique condamne nécessairement à l'échec électoral.
Le clivage droite/gauche est donc increvable, puisqu'il est requis par la compétition démocratique (laquelle réduit ainsi la complexité idéologique à un affrontement binaire). Ce qui vient aujourd'hui perturber le jeu, c'est la construction européenne, en particulier l'interdépendance des pays de la zone euro. Il devient impossible de dissocier les enjeux politiques nationaux des enjeux de la politique européenne. Et surtout, dans la définition des orientations de la politique européenne, les intérêts et les tropismes nationaux l'emportent sur les vieux clivages idéologico-politiques : il n'y a pas d'axe PS-SPD, mais il y a un axe Sarkozy-Hollande face aux exigences de madame Merkel; et les socio-démocrates allemands sont sur la même ligne que Merkel quant à l'attitude qu'il convient d'avoir vis-à-vis de la France. Pour le dire de manière un peu caricaturale, il y a -  relativement aux enjeux européens qui sont désormais les vrais enjeux nationaux - une "idéologie française" et une "idéologie allemande" qui transcendent le clivage droite/gauche traditionnel, lequel ne retrouve de sens que sur des questions secondaires (du type  droit de vote des immigrés ou mariage homosexuel). C'est pourquoi durant la dernière campagne présidentielle on a parlé de tout sauf de l'essentiel, sur lequel tout se passe comme si il n'y avait plus de clivage possible. Il ne reste plus que les antieuropéens, en effet, pour créer du clivage, mais ils ne paraissent pas en mesure de constituer une alternative crédible, pour le moment du moins. Le clivage prend donc la forme d'un clivage entre partis de gouvernements et partis protestaires (ou "populistes").

A terme cette confusion politique peut-elle représenter un danger pour la démocratie ou au contraire déboucher sur un big-bang idéologique salutaire ?

André Sénik : Un big-bang idéologique rejetant le compromis historique né de l’échec du communisme ne me paraît ni possible ni souhaitable. Le pragmatisme dont nous avons besoin n’est pas compatible avec une nouvelle illusion idéologique.    

Eric Deschavanne : L'adhésion aux institutions démocratiques est massive, il n'y a aucun risque de ce côté-là, ce qui ne garantit malheureusement pas une gouvernance éclairée, cohérente et efficace. Quant au "big-bang idéologique", cela n'existe pas. En matière d'idéologie, on a plutôt affaire à une tectonique des plaques. Il est difficile de prévoir la nature et l'ampleur des déplacements qui s'annoncent. Il est simplement possible de tenter d'identifier les facteurs d'évolution. Il existe en France un vieux fond d'anticapitalisme et de haine du libéralisme qui se trouve renforcé par le besoin de protection qu'inspire la peur de la mondialisation. D'un autre côté, les nécessités de l'adaptation, la montée en puissance des valeurs de la vie privée, l'aspiration à davantage d'autonomie individuelle et de liberté d'entreprendre favorisent le développement d'une sensibilité libérale, notamment au sein des nouvelles générations. Ces pôles contradictoires vont probablement continuer à s'affronter, progressant ou régressant au gré des circonstances. Les politiques, s'il s'en trouve, qui sauront marier de manière crédible protection, solidarité et liberté emporteront la mise.