TOUT EST DIT

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vendredi 16 décembre 2011

Fais-moi l'amour, sinon je divorce !

La cour d'appel d'Aix-en-Provence a condamné, en mai, un homme au divorce à ses torts exclusifs au motif qu'il ne faisait pas l'amour avec sa femme. Pour Daniel Borrillo, cela n'a rien d'extraordinaire et cela fait partie des vestiges canoniques du droit civil qu'il dénonce depuis longtemps Quand le sexe est régi par le droit du mariage.
Un récent arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence condamne un homme au divorce à ses torts exclusifs et à verser 10 000 euros de dommages et intérêts à son ex-épouse au motif qu'il ne lui a pas assez fait l'amour durant leurs vingt et un ans de mariage. Mais comment, dans un Etat démocratique, en sommes-nous arrivés là ?
En France, jusqu'à la Révolution, les noces sont de la compétence exclusive de l'Eglise et si, en 1787, Louis XVI instaura, avec l'édit de tolérance, une forme embryonnaire de mariage civil, il a fallu attendre la Constitution de 1791 pour que le mariage soit considéré comme une institution laïque. Nous sommes cependant face à un paradoxe, car si, dans le texte de la loi civile, le processus de laïcisation de l'institution matrimoniale semble achevé, la jurisprudence (et une partie de la doctrine des juristes) ne fait que prolonger la tradition canonique. En effet, le mariage continue à être considéré, de nos jours, comme un remède contre les débordements sexuels et devient l'espace symbolique de la sexualité socialement reconnue.
Le droit civil détermine qui a accès ou n'a pas accès au mariage : il précise non seulement la dimension spirituelle de l'institution (consentement) mais aussi sa géographie physique (âge nubile, différence de sexes, prohibition de l'inceste…). Dans sa facture juridique, le mariage permet encore de circonscrire l'espace le plus légitime de la sexualité. Ainsi, afin d'éviter des excès luxurieux, l'acte sexuel doit s'accomplir au sein de cette union hétérosexuelle et monogamique. Les rapports doivent avoir une certaine qualité et une régularité, ils s'exécuteront principalement par la pénétration vaginale et la finalité reproductrice de l'acte doit demeurer son horizon. De surcroît, il faut que l'amour soit à l'origine de la sexualité conjugale (la rémunération pour un service sexuel de la femme est considérée comme nulle et contraire à l'ordre public).
S'il est vrai qu'avec le pacs, l'institution matrimoniale perd son caractère monopolistique et qu'elle n'a plus comme fonction la légitimation de la filiation, le mariage n'en demeure pas moins le sommet de la hiérarchie des sexualités. Par la figure du devoir conjugal, le droit entend ainsi organiser la vie sexuelle des individus en fonction d'un certain nombre de règles impératives. Certes, l'adultère est sorti de la loi pénale et n'est plus une cause péremptoire de divorce, mais la faute au sein de celui-ci garde toute son efficacité au moment de pénaliser le conjoint coupable. Ainsi, a priori, par les conditions d'accès aux noces établies par la loi et, a posteriori, par les sanctions infligées par les juges, le droit organise une véritable gouvernance sexuelle.
En France, l'érotique consacrée par le "matrimonium" doit être de nature hétérosexuelle, contraignante, régulière et monogamique. La première des conditions de la légitimation symbolique de l'acte sexuel est que celui-ci ait lieu entre personnes de sexe différent. L'hétérosexualité est ainsi présentée comme de la nature même de l'institution. Le juge du divorce n'est pas moins conservateur au point où la simple constatation de l'homosexualité de l'un des époux demeure une cause possible de divorce pour faute. C'est sur la base du devoir conjugal que les juges ont progressivement construit la normalité. La formule de l'article 215 du code civil "Les époux s'obligent mutuellement à une communauté de vie" implique une double dimension, vivre ensemble - communauté de toit - et entretenir des rapports sexuels - communauté de lit.
Dans le modèle officiel, la sexualité matrimoniale prend donc la forme d'un devoir (le "debitum" conjugal) à double dimension. Négativement, devoir de s'abstenir d'entretenir des rapports sexuels avec des tiers (fidélité) et positivement, devoir d'entretenir des rapports sexuels avec le conjoint (devoir conjugal proprement dit). Ce devoir est pour les époux une obligation d'ordre public. Ainsi, une convention, un accord entre l'homme et la femme stipulant l'absence d'intimité sexuelle, serait considéré comme nul. Le refus de partager le lit conjugal peut être considéré comme un fait injurieux justifiant le divorce contre un homme qui ne fait pas face à ses devoirs de mari. Cette intimité doit également se traduire par des rapports sexuels réguliers et modérés.
En effet, dans une décision du 28 mai 1956, la cour d'appel de Lyon stipulait que "le devoir conjugal impose l'établissement de relations sexuelles (…). En outre, il impose aux conjoints une continuité des relations". La Cour de cassation a estimé que constitue une injure, cause de divorce, "la décision de l'épouse d'imposer à son mari une limitation dans leurs rapports intimes". Si l'absence de rapports est condamnée par le droit, son inflation l'est tout autant. Concernant la fréquence de l'acte sexuel, le tribunal d'instance de Saintes a établi, en 1992, que "la moyenne relevée en général dans les couples français est d'un rapport par semaine".
Le refus d'entretenir des rapports sexuels avec son conjoint constitue une faute. Un divorce aux torts partagés a été prononcé par une autre cour d'appel dans une affaire où "la femme a refusé fréquemment d'avoir des rapports intimes et que le mari, exprimant son aspiration à un minimum de vie personnelle au détriment d'une vie conjugale normale, a délaissé son épouse en s'abstenant fréquemment".
Les juges deviennent ainsi les garants d'un équilibre sexuel situé au juste milieu entre l'excès et la carence et dans lequel les deux conjoints, en tant que créanciers du devoir conjugal, doivent remplir ces obligations. C'est toujours dans le cadre d'un contentieux que le contrôle judiciaire s'effectue, et c'est justement là que les égarements sexuels pourront être reprochés au conjoint fautif.
Seule la fin de la faute (vestige du droit canonique) permettra de mettre un terme à cette intrusion de l'Etat dans nos alcôves.

Une vidéo de Ioulia Timochenko en prison crée le scandale

Allongée dans son lit, elle agite ses mains, visiblement contrariée. Il y a de quoi, tant le procédé est violent et intrusif. Une vidéo montrant les conditions de détention de l'ancienne premier ministre ukrainienne, Ioulia Timochenko, a été diffusée anonymement sur la Toile et reprise sur les chaines de télévision nationales, jeudi 15 décembre. On découvre des choses d'une banalité totale dans la cellule 260 de la prison de Lukyanivka, près de Kiev : une télévision, des livres sur une étagère, un appareil pour l'air conditionné, une salle de bain à part, quelques fruits. Le message que veut véhiculer cet enregistrement amateur est limpide : Mme Timochenko ne serait pas à plaindre.
Cette vidéo a été diffusée opportunément à trois jours du sommet du 19 décembre entre l'Union européenne et l'Ukraine. Un accord d'association, en discussion depuis des mois, devait être signé. Mais les poursuites multiples engagées contre l'ancienne égérie de la "révolution orange", et sa condamnation à sept ans de prison début octobre, ont refroidi les Européens. Ioulia Timochenko a été jugée pour avoir abusé de ses fonctions en signant un accord gazier avec la Russie, en janvier 2009. Elle ne peut participer à son procès en appel pour raisons de santé. De très fortes douleurs dorsales la contraignent à rester à l'horizontale. Une dizaine d'autres enquêtes ont été ouvertes contre elle depuis sa condamnation, renforçant l'idée d'un règlement de comptes, pour la sortir du jeu politique alors que des élections législatives seront organisées en 2012.

La vidéo permet clairement de distinguer, entrant et sortant de la cellule, plusieurs gardiens de prison, sept personnes en blouse blanche (c'est dire si les médecins sont aux petits soins auprès d'elle) ainsi qu'un homme en treillis, peut-être un enquêteur.

Un des avocats de l'ancienne premier ministre, Serhiy Vlasenko, a vivement réagi à cet enregistrement. "La différence entre les êtres humains et les animaux se fait sur les principes de moralité. Je suis sûr que le nom de la brute en uniforme, du colonel du SBU [services de sécurité ukrainiens] qui a violé la loi, sera annoncé aux Ukrainiens, car le pays entier devrait connaître ces bêtes. "

Le SBU et le service pénitentiaire ont nié toute implication dans cette vidéo. Même Léonid Kojara, vice-président du Parti des régions (le parti au pouvoir, du président Viktor Ianoukovitch), a déclaré jeudi soir sur la cinquième chaîne ukrainienne que l'auteur de la vidéo devrait être condamné.

Une peine symbolique à double titre

Jacques Chirac n'ira pas en prison. Personne ne le pensait. Et personne ne le souhaitait d'ailleurs - même pas les Wampas, ce groupe punk qui en avait fait un titre culte voilà cinq ans - tant l'ancien président, diminué physiquement, relève désormais plus du registre de l'Histoire que de celui de la justice des hommes. Mais cette affaire hors normes aura donc réservé des surprises jusqu'à son terme. Les subterfuges juridiques et les rebondissements qui avaient accompagné le début du procès, jusqu'au Parquet demandant une relaxe, suggéraient un discret enterrement de l'affaire. Il n'en a rien été. L'ex-président de la République a été déclaré coupable pour des motifs qui n'ont rien de négligeable : « détournement de fonds publics », « abus de confiance », « prise illégale d'intérêt ». Une condamnation doublement « symbolique ». Arrivant près de vingt ans après les faits, elle apparaît bien sûr anachronique. Est-elle pour autant « inutile », comme le déploraient hier les proches de l'ancien maire de Paris ? Non. Pour la première fois, en France, un président de la république aura été jugé comme un justiciable (presque) comme les autres. Il faut y voir une preuve d'indépendance de la justice, mais aussi une démonstration de modernité de nos mœurs politico-judiciaires, face à la « sacralité » excessive accordée au chef de l'État. Reste à savoir s'il s'agira là d'un précédent, - illustration pour le coup d'une « République exemplaire » - ou d'une exception, due à l'éloignement du vieil homme des allées du pouvoir. La remise en cause du statut pénal - aberrant - du chef de l'État pourrait être une bonne réponse à cette question.

A la France ses fermiers, au Royaume-Uni ses banques

Accusé d'isolationnisme pour avoir rejeté l'idée d'un nouveau Pacte de stabilité et de croissance à 26 présenté le 9 décembre dernier, David Cameron ne fait pourtant que protéger les intérêts vitaux de son pays, comme les autres dirigeants européens, écrit une chroniqueuse du Times. 
 Les accusations d'"isolement" lancées contre David Cameron depuis son geste de désobéissance au sommet européen de vendredi dernier, étaient peut-être prématurées.
Les Tchèques se demandent déjà tout haut pourquoi un nouveau traité devrait également avoir une valeur contraignante pour les pays qui n'ont pas encore rejoint la zone euro. Le Premier ministre finlandais a indiqué qu'il ne pouvait pas accepter un transfert de souveraineté.
L'Irlande devra probablement organiser un référendum et les gouvernements hollandais et suédois auront besoin du soutien de partis d'opposition qui se révoltent.

"La défaite du capitalisme anglo-saxon"

Des fissures apparaissent sur la façade d'un accord qui, de toute manière, ne pourra pas sauver l'Europe. La dégringolade de l'euro ces trois derniers jours montre que les marchés savent que le programme d'austérité sans croissance défendu par l'Allemagne n'est pas la bonne solution.
Prendre la défense des banques était un geste qui ne pouvait pas plaire à l'opinion publique, mais les Britanniques ont montré sans ambiguïté que leur détestation de l'Union européenne était encore plus grande que celle des banques. Pour quelles raisons David Cameron a-t-il donc décidé de se faire le champion de la City?
La semaine dernière, il a reçu une information capitale faisant état d'un important changement d'attitude de la part de l'UE vis-à-vis de la City ces dernières années. Jusqu'en 2007, les réglementations européennes étaient largement favorables à Londres car elles mettaient tout le secteur financier européen sur un pied d'égalité.
Puis, le vent a commencé à tourner. Aux inquiétudes légitimes liées à la crise financière s'est s'ajouté un ressentiment général face à l'influence de la City, ainsi que l'a si bien montré Nicolas Sarkozy en saluant la nomination d'un Français au poste de commissaire européen au Marché intérieur comme "une défaite pour le capitalisme anglo-saxon".

Un diktat contraire au principe de marché unique

Le problème n'est pas la taxation des transactions financières, à laquelle Londres est toujours opposé, mais les 29 directives et le nouveau régulateur financier européen chargé de contrôler ses homologues nationaux.
Le problème est cette opposition fondamentale entre la volonté européenne d'imposer des règles uniques aux 8000 banques européennes et la conception anglo-saxonne lui préférant des mesures proportionnelles aux risques encourus.
Le Royaume-Uni veut obliger les plus grandes banques à détenir davantage de fonds que la limite autorisée par l'UE. Le dernier diktat européen voudrait que les chambres de compensation gérant des produits financiers libellés en euros soient physiquement établies dans la zone euro.
Il s'agit clairement de transférer les activités financières de Londres vers Paris et Francfort, ce qui est également contraire au principe de marché unique.
Les accusations selon lesquelles David Cameron essaierait de saboter le marché unique – ainsi que l'a affirmé le président de la Commission européenne cette semaine – sont un pur exemple de double discours.
Les Espagnols ont un droit de veto sur la pêche, les Français sur la politique agricole commune, même les Allemands font de l'obstruction dans l'industrie automobile.

Personne n'a obtenu ce qu'il voulait

Le gouvernement britannique ne demandait jeudi dernier que l'égalité pour la City, pas un privilège. Cette demande a toutefois été perçue comme la goutte d'eau qui fait déborder le vase. Il s'agissait d'une réaction extraordinaire, la marque d'un recul significatif de l'influence britannique ces dernières années.
Que va-t-il se passer maintenant que le Premier ministre n'a pas obtenu ce qu'il voulait? Bon nombre de spécialistes craignent que les règlements européens ne soient de plus en plus défavorables à Londres et que les banques allemandes et américaines ne se débarrassent en priorité de leurs équipes de la City.
D'autres disent que les banques américaines s'installent à Londres parce qu'il y a des affaires à faire et que personne ne se sépare de soixante étages de bureaux avec un coûteux réseau de connexions numériques du jour au lendemain.
L'avenir de la City est de devenir une passerelle vers le monde, pas seulement l'Europe. Le Royaume-Uni génère plus de crédits internationaux que tout autre pays.
Nous avons le plus grand marché des changes au monde et le troisième secteur d'assurance du monde. Alors que l'Europe est en panne, les véritables concurrents de Londres ne sont pas Francfort ou Paris mais Hong Kong et Singapour, et même New York. C'est là que se trouve le véritable défi.
De tous les points de vue, la diplomatie est catastrophique. Le Royaume-Uni ne veut pas faire dérailler l'euro ou donner l'impression de le vouloir. Nos alliés y parviennent très bien tout seuls.
Si la Banque centrale européenne n'avait pas lancé une bouée aux banques européennes la semaine dernière en leur offrant un crédit à peu près illimité, ce n'est pas un recul que nous verrions sur les marchés aujourd'hui mais une véritable débandade.
Personne n'a obtenu ce qu'il voulait la semaine dernière. Les Français voulaient que la BCE puisse émettre de la monnaie. Les Allemands voulaient faire garantir les nouvelles règles de bonne gestion économique par les institutions européennes.
D'autres, dont le Royaume-Uni, voulaient faire comprendre à l'Allemagne que si elle refusait de partager les responsabilités pour la dette de la zone euro, la monnaie unique ne pourrait que continuer de chuter.

Les sept péchés des Européens (2/2)

Les dirigeants politiques brandissent volontiers l’étendard de l’esprit communautaire. Mais chaque pays se rend coupable d’une faiblesse de caractère qui contredit les discours et porte préjudice à l’UE. Suite du tour des pécheurs par Die Zeit. 

L’égocentrisme

Irlande – On peut bien sûr en donner la même explication que le ministre irlandais de la Culture. "Nous sommes un peuple heureux, proclamait-il récemment, et un peuple profondément sincère. Pour les investisseurs étrangers, ce sont des choses qui comptent". Cela ne fait aucun doute. Mais il n’est pas interdit de penser, en y regardant de plus près, que les taux d’imposition irlandais figurent parmi les petites raisons qui expliquent que l’île attire les entreprises internationales à la manière d’un aimant de levage.
L’impôt sur les sociétés y est de seulement 12,5 %. Soit largement en-deçà de la moyenne européenne. La plupart des pays de l’UE taxent les entreprises à hauteur de 30 % environ, comme l’Allemagne et la France. Dans un marché unique censé garantir l’uniformité des conditions commerciales, comment expliquez-vous, s’il vous plaît, un tel écart ?
Avant la crise de la dette, l’Irlande attirait déjà à elle les grandes multinationales par dizaines : Facebook, Intel, Pfizer, Merk, SAP, IBM – toutes se pressaient sur l’île du céad míle fáilte ("cent mille bienvenues"). Tout cela est bien beau, mais relève d’une logique pour le moins insulaire : plus les entreprises s’y bousculent, plus l’Etat peut faire preuve d’égards à leur endroit. Et si le gouvernement irlandais prévoit actuellement de relever certaines taxes, l’impôt sur les sociétés ne figure pas sur la liste.
Selon Dublin, l’Irlande devrait compenser certains désavantages concurrentiels imposés par la nature – le fait, par exemple, qu’on ne peut pas y arriver par le rail. Ah ah. Et depuis quand cela gêne-t-il des secteurs comme l’informatique et les assurances ? Sans compter que l’Irlande est l’unique tête de pont anglophone de la zone euro, ce qui n’est pas rien. Alors, Messieurs les Irlandais : restez sincères, solidaires, et heureux ! J.B.

L’arrogance

France – Mi-décembre, le groupe nucléaire français Areva fait part de son projet de supprimer plusieurs milliers d’emplois. Mais les employés n’ont pas à s’en faire. "Il n’y aura pas d’impact, c’est la ligne que souhaite l’Etat", a fait savoir François Baroin, le ministre de l’Economie, après les premières fuites sur le projet de suppressions de postes.
François Baroin a aussitôt convoqué Luc Oursel, le patron d’Areva. "Il n’y aura aucune décision qui considérera l’emploi comme une variable d’ajustement, quel que soit l’impact de l’activité économique mondiale ralentie", a-t-il martelé. Priorité aux emplois français, faut-il le préciser.
En France, nul ne s’étonne de tels propos. Ils participent de la raison d’Etat, depuis que Jean-Baptiste Colbert, ministre des Finances de Louis XIV, a entrepris de diriger l’économie d’une main de fer.
Peu importe qu’Areva appartienne à 87 % à l’Etat. Même lorsque le constructeur automobile privé PSA Peugeot-Citroën, sur la corde raide, a annoncé récemment des suppressions de postes, Eric Besson, le ministre de l’Industrie, s’est empressé de promettre que tous les emplois français seraient préservés.
Et Carlos Ghosn, le patron de Renault, a été rappelé à l’ordre lorsqu’il a voulu délocaliser une petite partie de sa production en Turquie. Au passage, les freins posés par l’Etat à l’implantation de sites de production dans les pays émergents sont aujourd’hui l’une des causes principales des difficultés rencontrées par le constructeur français.
Voilà ce qui arrive lorsque l’Etat s’érige en protecteur de l’économie. Les coûts de production s’envolent, les prix aussi. Pour prévenir un recul des exportations, le gouvernement renforce alors son protectionnisme. Un cercle vicieux. Au mieux, le gouvernement français récompense ainsi une mauvaise rentabilité. Au pire, l’Elysée se sert de son pouvoir sur les grandes entreprises comme d’une arme politique.
Les responsables politiques français deviennent des Européens convaincus dès le moment où ils ne parviennent plus à avancer seuls. D’où la création d’EADS, premier groupe d’aéronautique et de défense européen. D’où leur intérêt à voir émerger une alliance dans le secteur de la construction navale, sur le modèle de l’avionneur.
C’est le ministre de l’Economie de l’époque, Nicolas Sarkozy, aujourd’hui président de la République, qui a empêché Siemens de prendre pied chez Alstom, son concurrent français. Le même Nicolas Sarkozy qui, en 2004, avait combiné le rachat du groupe pharmaceutique franco-allemand Aventis par le français Sanofi, donnant ainsi naissance au troisième acteur mondial du secteur.
C’est à sa demande, également, que la formule préconisant un marché intérieur "où la concurrence est libre et non faussée" a été biffée du traité de Lisbonne. Combien de temps l’Union européenne acceptera-t-elle une telle arrogance ? K.F.
La cupidité
Grande-Bretagne – Les Britanniques n’ont-ils donc pas entendu le fracas ? Comme si le monde de la finance ne s’était pas écroulé au cours des trois dernières années, ils croient pouvoir continuer à jouer à qui perd gagne et compenser les pertes de leur industrie en spéculant avec de l’argent étranger.
Indécrottables et butés, ils persistent à suivre leur prétendue logique selon laquelle les marchés sont invulnérables et que la politique comme la société sont donc tenues, à terme, de se soumettre à leur loi.
Poussé à l’extrême dans cet univers dévoyé, le libéralisme de John Stuart Mill et Adam Smith a permis l’émergence dans la City londonienne d’un système financier dépourvu de véritable régulation, où ont été négociés tous les produits financiers très sophistiqués – instruments dérivés et titres adossés à des créances – qui sont responsables, dans une large mesure, du grand krach de 2008.
Des milliards d’euros, issus des comptes d’épargne et des caisses de retraite des particuliers, sont ainsi partis en fumée, et ce sont les banquiers de la City qui ont été indemnisés.
La crise de la dette souveraine date du moment où les gouvernements se sont vu contraints de renflouer les banques. Or, ne parviennent de Londres que des cris d’effroi devant la proposition d’associer les investisseurs au risque.
Quant à la taxe sur les transactions financières mise en avant par le gouvernement allemand – dont il est prouvé qu’elle pourrait mettre fin aux spéculations à court terme sur le marché des devises – elle a été qualifiée avec emphase de "balle en or dans le cœur de la City" par George Osborne, le chancelier de l’échiquier.
Ceux qui persistent de la sorte à vouloir nager contre le courant seraient sans doute bien inspirés d’aller se trouver un autre lieu de baignade.

Les sept péchés des Européens (1/2)

Les dirigeants politiques brandissent volontiers l’étendard de l’esprit communautaire. Mais chaque pays se rend coupable d’une faiblesse de caractère qui contredit les discours et porte préjudice à l’UE. Die Zeit dresse la typologie de nos mauvaises actions. 

La paresse
Grèce – C’est la faute d’Angela Merkel, disent-ils. Si l’Europe bat de l’aile, c’est à cause de l’insensibilité de l’Allemagne. Telles sont les explications que les tabloïds donnent de la crise en Grèce, tels sont les slogans des manifestants et des leaders populistes.
Le problème ne vient pas de la dette, pour ces Grecs-là, mais du fait que des étrangers les rappellent à l’ordre, les pressent d’agir et leur font la leçon. En réagissant de la sorte, ils se mentent à eux-mêmes, et mentent à l’Europe.
On est frappé, à Athènes, par l’auto-indulgence des Grecs. Qui s’en prend aux responsables de la misère actuelle ? A savoir une société fondée sur la dette. A savoir les gens qui étaient persuadés que l’Europe serait toujours assez riche pour venir en aide à Hellas. Les corporations, qui se cramponnaient à leurs privilèges.
Les cheminots du public, qui touchaient des paies mirobolantes à la faveur de grilles salariales inextricables. Les familles, qui empochaient la retraite de leurs défunts. Les responsables politiques, qui embauchaient les neveux et les nièces de leurs électeurs.
Lesdits neveux et nièces, qui se laissaient embaucher. Les médias athéniens parlent de tout cela, bien sûr. Mais ce qui fait défaut, c’est une grande colère cathartique en Grèce à l’égard de ces Grecs.
A Athènes, les populistes cassent du sucre sur le dos d’Angela Merkel, mais font preuve de clémence à l’endroit des responsables locaux de la situation actuelle. Car ils préfèrent déblatérer sur un lointain épouvantail que balayer devant leur porte. C’est dans cette faiblesse, dans cette inaptitude à l’autocritique que réside la vraie crise de la Grèce. M.T.
Le recel
Suisse – Les sommes en jeu sont colossales. Tellement colossales qu’elles devraient normalement faire se dilater les pupilles des responsables politiques européens. Rien qu’en Suisse, les particuliers – européens pour la plupart – détiennent 1 560 milliards d’euros.
Ils en possèdent 1 400 milliards en Grande-Bretagne, essentiellement dans les îles anglo-normandes, 440 au Luxembourg, 78 au Liechtenstein. Tous ces pays se rendent ainsi complices d’évasion fiscale. Ils ponctionnent les richesses nationales de l’étranger et vivent sur les intérêts. Et comment réagit l’Europe ?
Au lieu de s’indigner d’une seule voix, les capitales européennes abordent ces pratiques pourtant scandaleuses comme de vieilles traditions, des affaires diplomatiques.
Concernant le Liechtenstein et la Suisse, de rares pays, dont l’Allemagne, ont voulu signer leurs propres accords de double imposition : l’idée est qu’une partie des dettes fiscales soit remboursée au pays d’origine des fonds au moyen d’un impôt forfaitaire.
Ce type d’approche compromet le projet de la Commission européenne d’instaurer des échanges automatiques d’informations visant à dépister les fraudeurs – un projet également rejeté par le Luxembourg. Ce même Luxembourg qui prône si volontiers la solidarité européenne. P.T.
La bigoterie
Allemagne – Peut-il exister une Europe dans laquelle un pays exporte et fait des bénéfices tandis que les autres consomment et s’endettent ?
Les Allemands sont fiers de leurs performances à l’export, qui servent à prouver la performance de leur économie.
Or, lorsqu’un pays vend plus à l’étranger qu’il ne reçoit, cela finit par poser des problèmes à tout le monde. Cette année, les exportations allemandes vers les pays de l’UE ont permis de dégager un excédent de 62 milliards d’euros.
Cela signifie ni plus ni moins que les marchandises produites en Allemagne ne sont pas échangées contre des marchandises étrangères, mais sont pour ainsi dire livrées à crédit. L’Europe du Sud s’endette donc auprès des Allemands pour leur acheter leurs produits.
En d’autres termes : la richesse de l’Allemagne repose sur les dettes de ses voisins. Or, qui sont les premiers à se lamenter au sujet de ces dettes ? Parfaitement. Les Allemands.
Un jour ou l’autre, la faillite menacera les débiteurs et les créanciers devront revoir leurs exigences de remboursement à la baisse. Ces dernières années, l’Allemagne a amassé près de 1 000 milliards d’euros en avoirs extérieurs – elle pourra dire adieu à une grande partie de cet argent le jour où le Sud ne sera plus en mesure de payer.
D’où les actuelles déclarations de la chancelière, qui veut que tout le monde devienne comme les Allemands. Autrement dit, les pays en question sont également censés exporter plus qu’ils n’importent. Et donc baisser leurs salaires, et donc maîtriser leur consommation.
Plus facile à dire qu’à faire. Car si tout le monde se mettait à ne plus faire que vendre, il n’y aurait plus personne pour acheter. Et l’économie marquerait le pas.
Si les Européens ne veulent pas inonder le reste du monde de leurs produits – ce que le monde ne laissera pas faire – il faut alors parvenir à l’équilibre au sein même de l’Union. Les Italiens doivent se serrer la ceinture – et les Allemands dépenser plus. M.S.
La gourmandise
Espagne – "Tu ne videras point de ses poissons la mer de ton voisin", pourrait enjoindre un des dix commandements européens, suivi de : "Tes agriculteurs ne vivront point sous perfusion des subventions européenne”.
Pour la période 2007-2013, l’industrie espagnole de la pêche s’est vu allouer plus d’un milliard de dollars [767 millions d’euros] par Bruxelles – soit bien plus que n’importe quel autre pays de l’UE.
Parce que les eaux européennes sont largement victimes de la surpêche, l’Espagne envoie ses flottes ultramodernes devant les côtes du Sénégal et de Mauritanie, ne laissant plus grand chose aux pêcheurs locaux et dépassant par-dessus le marché les quotas convenus.
Il faudrait lancer des procédures juridiques contre les entreprises concernées et signer de nouveaux accords de pêche entre l’UE et les pays africains. Le gouvernement espagnol s’oppose à ces deux propositions de longue date. Ainsi qu’à une nouvelle réforme du système européen de soutien au monde agricole.
Près de 50 milliards d’euros quittent chaque année les caisses de Bruxelles en direction de l’agriculture européenne. La majeure partie bénéficie directement aux agriculteurs des différents pays de l’UE, qui peuvent ainsi maintenir leur compétitivité dans un secteur concurrentiel qui mise sur des prix sacrifiés.
En attendant, une part considérable de la viande, des produits laitiers et des légumes à prix réduit d’Espagne, d’Italie, de France ou d’Allemagne, atterrissent sur les marchés africains.
C’est bien pour les pauvres, arguent les exportateurs. Sauf que les productions vivrières locales de pays comme le Ghana, le Cameroun ou la Côte d’Ivoire s’écroulent.
Et que, en cas de hausse des prix des produits agricoles de base, ces pays ne peuvent plus se permettre d’importer du lait en poudre, des abats de volailles ou des céréales de l’UE.
Néanmoins, si cela devait déboucher sur une crise d’approvisionnement, voire une crise alimentaire, ils pourraient compter sur l’Europe : l’UE est le premier bailleur de fonds mondial en matière d’aide d’urgence.

Bonne conscience judiciaire

« La justice est passée ». « La justice est passée ». « La justice est passée »… Psalmodié de gauche à droite et de droite à gauche pendant toute la journée d’hier, ce solde de tout compte a eu les accents d’une oraison funèbre pour enterrer Jacques Chirac. Une autoabsolution répétée en jetant quelques dernières pelletées de terre sur des pratiques « révolues ». Une très large majorité a même cru voir dans la condamnation de l’ancien président de la République une preuve de la vitalité d’une démocratie française capable d’infliger deux ans de prison avec sursis à l’ancien chef de l’État.

Au risque de jouer les Cassandre dans ce concert d’autosatisfaction apitoyée autant que larmoyante, cette première qualifiée, évidemment, d’« historique », n’a rien de glorieux. Le seul triomphe, c’est celui d’une bonne conscience judiciaire se contentant de peu.

La justice française peut-elle vraiment s’honorer d’avoir mis pas moins de vingt ans pour traiter ce dossier politique avant de finir laborieusement par infliger une peine humiliante à celui qui fut pendant douze ans le premier des Français ? Quel sens trouver à l’argumentation violente qui l’a motivée quand elle s’adresse à un vieil homme estimable de 79 ans, qui, malade, n’est plus, depuis bien longtemps, l’organisateur désinvolte des emplois fictifs de la mairie de Paris ?

Cet épilogue, ce n’est pas le symbole de l’indépendance du pouvoir judiciaire, mais la démonstration de son asservissement au rythme imposé par le pouvoir politique. Du statut pénal présidentiel aux manœuvres dilatoires pour entraver le cours de la justice, le clan Chirac — et le parquet lui-même — ont tout fait pour la ralentir. Si bien qu’elle apparaît aujourd’hui décalée, et que le droit qu’elle fait valoir a la cruauté de l’injustice.

L’exemplarité alors ? Mais de quelle exemplarité parle-t-on quand cet épisode a toutes les chances de renforcer la popularité de l’homme Chirac, qui n’est pas loin d’apparaître comme une victime. Quelle exemplarité quand, de façon moins spectaculaire que jadis, certes, tant de conseillers ministériels continuent de consacrer une partie du temps qu’ils devraient réserver exclusivement au service de l’État, aux intérêts politiques personnels de leurs champions, et de leur parti ? Quelle exemplarité quand le PS qui a mis si longtemps à dénoncer le scandale Guerini dans les Bouches-du-Rhône dit faire confiance à la justice de son pays pour dénouer les affaires de sa fédération du Nord-Pas-de-Calais ? Grand seigneur, il mise déjà sur… la lenteur inévitable des procédures.