TOUT EST DIT

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mardi 9 août 2011

Le spectre d'une dépression boursière

L'ensemble des économies occidentales pourrait plonger en cas de déprime prolongée sur les Bourses mondiales.

La situation financière est grave. Suffisamment en tout cas pour que les ministres des Finances et les gouverneurs des Banques centrales se fendent, lundi matin, d'un communiqué affirmant leur engagement "à prendre toutes les initiatives nécessaires de manière coordonnée pour soutenir la stabilité financière et promouvoir une croissance économique plus forte". Après une semaine de baisse généralisée sur les différentes places financières mondiales, les dirigeants des vingt économies les plus importantes de la planète veulent à tout prix éviter la poursuite de la chute boursière, voire un krach brutal. Mais une telle éventualité est dans toutes les têtes, après la dégradation de la note américaine par l'agence de notation Standard & Poor's, vendredi.
En soi, la décision de l'agence de notation américaine - pour l'heure non suivie par Fitch et Moody's - reste pourtant "assez symbolique", car elle ne "remet pas en cause la solvabilité des États-Unis", qui figurent toujours parmi les pays les mieux notés du monde, explique Gunther Capelle-Blancard, professeur à l'université de Paris I et spécialiste de finance internationale. Les États-Unis ont d'autant plus la capacité de rembourser leur dette que le dollar reste la monnaie de réserve internationale et qu'il n'existe pas d'alternative crédible à court terme. Washington peut continuer à faire marcher la planche à billets.
Récession
La dégradation de la note américaine ne constitue donc pas à elle seule une raison objective de krach. Mais elle intervient au plus mauvais moment. Les investisseurs sont déjà échaudés par la crise de la dette européenne, mais aussi par le ralentissement des économies occidentales. Dans un tel contexte d'incertitude, bien malin qui pourra prévoir "l'étincelle qui conduira à une crise" généralisée, explique Gunther Capelle-Blancard. Les marchés amplifient souvent les tendances, guidés par un comportement moutonnier totalement irrationnel. S'ils devaient céder à la panique, cela pourrait avoir des conséquences économiques désastreuses sur l'économie réelle. Les investisseurs subiraient alors d'importantes pertes potentielles, se sentiraient moins riches et seraient donc plus réticents à investir. Un cercle vicieux s'enclencherait, avec une baisse des investissements, des embauches, une stagnation des salaires. Largement de quoi faire replonger les économies occidentales dans la récession.
Les banques, gorgées de titres de créance américaine (752 milliards de dollars fin mars, selon la Banque des règlements internationaux), et déjà fragilisées par la défiance envers les dettes espagnole et italienne, sont particulièrement exposées à une panique boursière. Une baisse trop prononcée de leur valeur pourrait les obliger à fermer de nouveau les vannes du crédit à l'économie, car elles doivent respecter des exigences réglementaires de fonds propres. Certains établissements commencent déjà à être réticents à se prêter entre eux, ce qui pourrait déraper en un blocage du marché interbancaire, similaire à celui déclenché fin 2008, après la faillite de la banque d'affaires Lehman Brothers.
Des États impuissants
Une mécanique infernale qui pourrait s'accompagner de phénomènes monétaires. La baisse de confiance dans le dollar fait déjà baisser sa valeur face aux autres devises, telles que l'euro ou le yen. Une catastrophe pour l'économie japonaise, déjà victime de sa monnaie surévaluée et des conséquences du séisme et du tsunami de février dernier.
Face à autant de risques cumulés, les dirigeants du G20 ont moins de marge de manoeuvre que lors de la précédente crise de 2008. Ils ne peuvent plus compter sur l'arme budgétaire pour relancer la croissance. Ils ne peuvent que s'engager à accélérer la politique de rigueur pour juguler leur déficit et leur dette. C'est pourquoi ils se limitent à des déclarations d'intention très générales, comme celle de lundi matin. Seules les Banques centrales disposent encore de moyens d'action puissants, notamment la Banque centrale européenne. Dimanche, elle a fait savoir qu'elle allait racheter de la dette italienne et de l'espagnole afin de faire retomber la pression sur les taux d'intérêt exigés par les investisseurs pour les détenir. Les banquiers centraux peuvent aussi s'entendre pour corriger les déséquilibres entre les grandes monnaies. Reste à savoir si cela sera suffisant.

Y a-t-il des leaders dans la salle ?

Face à débâcle de l’euro, les dirigeants européens semblent au mieux paralysés, au pire, irresponsables. Pourtant, la gravité de la situation demande des leaders capables de prendre les choses en main, non de les subir. 

Cette crise appelle des dirigeants éclairés. Mais vers où doit-on nous diriger ? Et avec l'accord de qui ? Face à l'apocalypse financière, ces questions prennent un tour particulièrement épineux. Elles vont à contre-courant des attentes progressistes de la démocratie. Il va peut-être falloir se faire à l'idée que demain n'est pas toujours meilleur qu'aujourd'hui.
Malgré leurs divergences, capitalistes, socialistes, libéraux et conservateurs partent tous du principe que la civilisation suit un progrès linéaire. Cette conviction, rarement réaffirmée tant elle passe pour une évidence, consiste à dire que la situation ne peut que s'améliorer – ou si ce n'est apparemment pas le cas – qu'elle peut s'améliorer si nous prenons les bonnes décisions.
Dans cette optique, une évolution défavorable des choses passe pour un simple contretemps : une raison de condamner la politique de tels ou tels responsables et d'en élire d'autres, qui proposent d'autres mesures. Sous peu, tout rentrera dans l'ordre. Nous allons régler le problème, peut-être essayer de nouvelles pistes – et poursuivre notre ascension.
Pendant plusieurs siècles, l'Occident a eu raison, le plus souvent, de penser que cette règle s'appliquait. Il a peut-être raison d'y croire encore aujourd'hui. Les sciences et techniques progressent à pas de géant. Les pays riches ont une espérance de vie sans précédent. La plupart des gens ont un niveau de vie enviable.

Et si nous étions condamnés au déclin?

Mais ces élites européennes qui se prélassent en vacances pendant que tout va si mal risquent de déchanter. Il est possible qu'aucun sommet du G7, aucun coup de téléphone, aucun brillant discours de Barack Obama, aucune attitude enjouée de Cameron, ne mette fin à la paralysie. On espère toujours que la solution de cette crise passe par une série de mesures complexes, qui, si elles sont adoptées, remettront l'économie mondiale sur le chemin de la croissance. Mais si ces politiques, pour ambitieuses qu'elles soient, ne faisaient que retarder l'échéance ? Si finalement nous étions condamnés au déclin ?
Que doivent faire nos ministres à la rentrée ? Agir contre la débâcle financière, bien sûr. Mais comment ? Par un relèvement ou une diminution des impôts ? Par plus d'austérité ou par une forte hausse des dépenses ? En s'orientant vers des Etats-Unis d'Europe, avec un seul gouvernement et une seule dette, ou en revenant à de nombreuses monnaies nationales ? En rassurant les marchés ou en les défiant ? Certes, personne n'est d'accord sur la marche à suivre, mais c'est encore pire que cela : ceux-là même qui proposent ces stratégies ne sont pas entièrement convaincus de leur bien-fondé. On est frappé par l'absence d'idées brillantes, du type "voilà comment on va faire". D'où un silence de mort.
Hier, les dirigeants de la zone euro ont parlé ; aujourd'hui, ils vont peut-être acheter des bons du trésor italiens et ainsi calmer provisoirement les marchés ; mais cela n'empêchera pas la prochaine catastrophe d'arriver, et rares sont ceux qui pensent le contraire. Nous voulons que les Etats interviennent, nous avons besoin d'eux, mais nous avons peut-être tort d'espérer qu'ils seront toujours à même de nous protéger.
Pourtant, on imagine mal les politiques promettre à l'électorat des lendemains de pauvreté. La démocratie repose sur la mise en concurrence de possibilités positives. Quand les historiens étudieront cette période, le plus frappant sera l'absence de héros politiques. Personne – pas même Obama, pourtant l'homme qui se rapproche le plus d'un leader mondial – ne semble capable de donner des raisons d'espérer au-delà de la crise actuelle.

Leaders éclairés, idées lumineuses

Nous devons nous contenter de responsables politiques convaincus de ne rien pouvoir faire d'important pour sortir leurs citoyens de la crise. "Ce sont les marchés qui sont à l'origine du problème, c'est à eux de remettre les choses en ordre", a déclaré vendredi soir le bureau d'Angela Merkel. Une déclaration qui émane de la seule dirigeante en Europe à avoir les ressources financières pour remédier à la crise.
On peut trouver cela scandaleux, affirmer que l'Europe est au point mort, et on n'aura pas tort. On pourra aussi qualifier les marchés de cruels et d'irresponsables, et là encore on aura raison. Mais pour sortir de cette crise, il faudra en passer par des solutions impopulaires : hausse des impôts, baisse des dépenses, appauvrissement maîtrisé de gens à qui l'on a fait croire que leur niveau de vie s'améliorerait. Rien d'étonnant à ce que les politiques se dérobent.
Il y a cinq siècles, en Europe, les protestants et les catholiques rivalisaient pour définir la voie vers le salut – mais dans les deux camps, tous étaient convaincus de détenir la vérité. Il y a deux siècles, dans le sillage de la Révolution française, conservateurs et progressistes se disputaient un avenir qu'ils croyaient tous pouvoir rendre meilleur.
Au siècle dernier, les champions de l'économie de marché affrontaient les apôtres du marxisme, tous étant persuadés de posséder le remède contre les maux du présent. Les crises auxquelles nous sommes confrontés à l'été 2011 sont non moins graves et effrayantes, mais ce qui nous manque, outre des leaders éclairés, ce sont des idées lumineuses. Les meilleurs, comme l'a dit Yeats, manquent de certitudes.

  Tribune

“Rendez-nous Clinton, Blair et Kohl !”

"Après la grande récession de 2008-2009, on devait s’attendre deux choses de la part des leaders occidentaux", écrit dans le Corriere della Sera Alberto Alesina : "premièrement, qu’ils reconnaissent la gravité de la situation et qu’ils montrent de vouloir et savoir affronter les problèmes avec urgence et ne pas les reporter. Deuxièmement, la capacité à mettre de côté les contrastes et les intérêts partisans au nom du bien commun. La classe politique occidentale a échoué sur les deux points et elle passera à l’histoire comme une des pires de l’après-guerre".
L’économiste libéral italien reproche à la classe politique européenne et américaine un "manque flagrant de vue sur le long terme"
"En Europe, il y a un an, on aurait dû résoudre d’une façon ou d’une autre, mais de façon radicale, la crise grecque avec une faillite ou un sauvetage complets. Au contraire, les (soi-disant) leaders européens se sont déchirés dans des discussions qui n’ont servi à rien, si ce n’est à entraîner les marchés dans le chaos. La véritable crise fiscale, c’est le tsunami provoqué par le vieillissement de la population. Les politiques en parlent-ils ? Bien sûr que non : c’est trop coûteux et les séniors sont une source cruciale de voix, alors que les générations à venir ne votent pas, et donc elles ne comptent pas pour ce leadership médiocre, qui passera à l’histoire comme n’ayant pas été à la hauteur des problèmes graves et complexes face auxquels nous nous trouvons.
En Europe, les leaders des pays à risque n’ont rien trouvé de mieux que d’accuser les Allemands pour masquer leurs faiblesses. Les Français ont exploité ce sentiment, mais la dette publique française est telle que tôt ou tard, les marchés s’en renderont compte. La chancelière allemande Angela Mekel a démontré qu’elle ne comprend pas grand chose des marchés financiers et ses prises de position erratiques n’ont pas aidé."
Bref, conclut Alesina, "rendez-nous De Gasperi, Thatcher, Reagan, Clinton, Blair et Kohl avant qu’il ne soit trop tard".

L’heure est à la politique

Et maintenant ? La descente dans les abîmes boursiers va-t-elle prendre en otage l’économie réelle ? Les nouvelles baisses hier sur les places financières sont malheureusement significatives. Outre les valeurs bancaires exposées dans les dettes souveraines, tout ce qui se rapporte aux biens industriels et de consommation, dont l’automobile, a accusé le coup. Comme si les marchés s’attendaient à une dégradation tous azimuts…

Il est vrai que Wall Street a largement contribué à ce marasme avec la chute drastique de nombreux titres bancaires et d’organismes de refinancement. Sous un tel traitement dans une ambiance politique à hue et à dia, une conclusion s’impose : le crédit va devenir de plus en plus cher aux États-Unis en tuant tout espoir de relance outre-Atlantique avec contagion assurée ailleurs dans le monde, à l’exemple des krachs de 2008 propagés en virus.

Mais l’Europe n’est pas en reste dans ce capharnaüm, loin de là ! En intervenant sur le marché obligataire, en achetant des titres espagnols et italiens, la BCE de Francfort a certes, pour la première fois aussi massivement, endossé le rôle du pompier. Toutefois, combien de temps la BCE pourra-t-elle tenir à ce rythme ? Et n’outrepasse-t-elle pas ses droits en tançant Rome, en allant au-delà des traités, sans accords parlementaires comme le laissent entendre quelques juristes – surtout allemands – en mal de chicaneries ?

D’autres questions se posent. Par exemple sur le risque d’inflation ou sur le rachat de ces titres brinquebalants à la Banque centrale par le futur Fonds européen de stabilité financière. Or les 440 milliards de ce FESF ne suffiront pas à sauver l’Espagne et l’Italie. Déjà Berlin a fait savoir qu’étoffer ce FESF est hors de question, ajoutant à la cacophonie ambiante. Il est vrai que la chancelière Merkel a toujours dit «Nein» avant de céder, au moins partiellement.

Des deux côtés de l’Atlantique, l’heure est maintenant à la politique. À cette politique dont, de G7 en G20 et depuis 2007, la Finance internationale n’a cessé de se moquer, jusque dans les «détails» passant par les insolentes rémunérations des traders et autres parachutes dorés. Dans la zone euro, il est désormais clair que seule la «communautarisation» des risques, via des «eurobonds» ou d’autres mécanismes d’inspiration fédérale, saura calmer la fièvre. N’en déplaise à l’Allemagne, hostile à payer pour les cigales. Pourtant, Berlin doit comprendre que sa relative bonne santé économique repose largement sur ses exportations absorbées par la zone euro !

Aux États-Unis, le président Obama a promis des «propositions» pour surmonter la crise. Elles sont attendues avec impatience. Au-delà du discours incantatoire qui glisse sur les salles de marché…

Turquie: la fin du kémalisme

A quand remonte la dernière fois qu'une armée conservatrice membre de l'OTAN a limogé ses plus hauts gradés ?
En se mettant dans la peau d'un Turc fondamentalement laïc apprenant la stupéfiante nouvelle de la liquidation, quasiment du jour au lendemain, de la caste militaire laïque (ou atatürkiste), on pourrait ressentir, peut-être, une toute petite partie de l'impression de vertige national qui accompagna certainement la proclamation d'un nouveau système, dans les deux premières décennies du XXème siècle.
Par exemple, la semaine dernière, dans la presse, le vice-président actuel du parti politique historique de Kemal Atatürk, le Parti républicain du peuple, ou CHP, parlait le cœur lourd d'une «seconde république turque» dans «la ville balnéaire de Çanakkale», et peu de temps après, il semblerait que des hauts-gradés turques aient été arrêtés – et non pas, comme cela a été dit précédemment, que leurs démissions aient été acceptées. Cette célèbre péninsule côtière, comme le New York Times ne le précisait pas, porte aussi le nom de Gallipoli. C'est ici qu'entre 1915 et 1916, le Général Mustafa Kemal infligea aux troupes impériales britanniques leur plus sanglante et tragique défaite, tout en  persuadant les arrogants et colonialistes ancêtres de Rupert Murdoch que leurs braves aïeux australiens avaient servi de chair à canon pour ces gros infatués de britanniques. La pomme du célèbre film de 1981 de Mel Gibson ne tomba pas très loin de l'arbre. Quelques années après Gallipoli, le même général avait en réalité réussi à annuler le verdict régional de la Première Guerre Mondiale, et expulsé d'Anatolie les troupes grecques, françaises et britanniques.
Le poids historique de ces événements est quasiment impossible à surestimer: Atatürk (qui était probablement un athée pur-jus) put mettre en place son programme laïque justement parce qu'il avait ignominieusement défait trois envahisseurs chrétiens. Et pourtant, pendant des décennies, les stratèges occidentaux recherchèrent fébrilement un autre Mustafa Kemal, quelqu'un capable, en son propre nom, de procéder à la modernisation de la communauté musulmane. Pendant un temps, ils pensèrent que Gamal Abdel Nasser pouvait faire office de modèle. Puis ce fut le Shah d'Iran. Ils ajustèrent même brièvement le concept à Saddam Hussein, Zulfikar Alî Bhutto, et d'autres personnages aujourd'hui marqués du sceau de l'infamie. Mais personne, en termes d'autorité et d'authenticité, n'arriva à la cheville d'Atatürk. Sous son règne, le grand califat fut anéanti, et la règle antique du céleste et du sublime remisée en un rêve pour lequel seuls quelques visionnaires ascétiques et autres fanatiques manifestaient un réel intérêt. Il y a encore peu de temps, la Turquie moderne montrait tous les signes d'évolution vers un État capitaliste standard de la périphérie européenne.
Une amère rivalité, cependant, se cachait au sein de cette nouvelle élite turque. Le mouvement islamique et populiste naissant – le Parti pour la justice et le développement, de Recep Tayyip Erdoğan – comprenait parfaitement qu'une fois intégrée pour de bon à l'Union Européenne, la Turquie ne pourrait plus, conformément à la législation de l'UE, être soumise au pouvoir des hommes en uniforme. Nous assistâmes donc à un étrange spectacle où des Turcs plutôt conservateurs et nationalistes (avec, dans le cas d'Erdoğan, une très nette tendance au chauvinisme), firent cause commune avec des institutions libérales internationales pour contrer une institution, l'armée, qui symbolisait par-dessus tout le prestige et la gloire nationale turque. Cette coopération entre des forces apparemment laïques et d'autres nouvellement pieuses pourrait être liée, quelque part, au sens du devoir qui n'a cessé de grossir dans les rangs des habitants éduqués et laïcs des grandes villes, comme Istanbul, des individus qui avaient toujours su qu'ils pouvaient compter sur l'armée pour défendre leurs droits, tout en ayant constamment rechigné à y faire appel. La fiction d'Orhan Pamuk, cet auteur turc complexe, lauréat du Nobel, et d'ordinaire libéral, a parfaitement exploré ce paradoxe. Son roman, Neige, est peut-être la meilleure mise en scène de ce raisonnement.
Car, évidemment, Pamuk est aussi l'un des porte-parole les plus virulents des droits des Kurdes et des Arméniens, et de tous ceux dont la nationalité-même les mit en porte-à-faux avec l’État. Il fut menacé d'emprisonnement, conformément à une législation archaïque interdisant de débattre de certains sujets, et dut certainement remarquer le taux de mortalité exceptionnellement élevé des dissidents, tels le journaliste turco-arménien Hrant Dink, qui n'étaient pas suffisamment vigilants.
Mais la sombre réalité, c'est que l'élite militaire et «laïque» de Turquie a d'ores et déjà dévoyé bon nombre des valeurs qui étaient authentiques pour Atatürk et nécessaires à l'intégration de la Turquie à l'Eurosphère. Non seulement l'armée turque s'est permise de participer à la répugnante et illégale spoliation de terres qui contrevient encore aujourd'hui à toutes les législations internationales et les résolutions de l'ONU dans le micro-état autoproclamé et colonialiste du nord de l'île de Chypre, mais lors des premières années de l'occupation, le secrétaire général du parti d'Atatürk  – Bülent Ecevit – fut exclu de la vie politique et jeté en prison. Cette négation de la liberté de circulation, au sein-même de l'espace européen, a empoisonné les relations avec la Grèce, poussé des dizaines de milliers de Chypriotes à l'exil économique, et différé l'intégration de deux économies avancées – la Turquie et Chypre – au moment-même où l'économie athénienne ne peut plus faire cavalier seul.
Après avoir fourni pendant des années, avec la base aérienne d'Incirlik, une arrière-garde humanitaire pour les populations kurdes et chiites, en 2003, les Turques eurent l'opportunité d'ouvrir un «front nord» et de prêter main-forte à l'opération «Provide Comfort». Parmi nous, ceux qui étaient exclus des pourparlers et regardaient cette affaire de la salle d'attente, eurent vraiment l'impression que l'armée turque refusa l'honneur principalement parce que les pots-de-vin et les motivations financières n'étaient pas assez conséquentes. On avait l'impression, aussi, que cette même armée caressait le doux rêve d'aller asseoir son pouvoir dans les provinces kurdes du nord de l'Irak. Chercher à livrer une autre sale guerre sur le sol d'un pays voisin, et le faire en utilisant des fonds débloqués par le Congrès américain dans le cadre dans son budget d'aide à l'étranger ressemblait à un exercice de mauvaise foi d'un genre tout à fait spécial.
En 1960, l'armée turque fit preuve de médiation en ordonnant l’exécution de deux figures politiques de premier plan –  Adnan Menderes et Fatin Rüştü Zorlu – qui, selon mes meilleures sources, avaient provoqué de sauvages pogroms à Istanbul et Nicosie par une bombe placée à Thessalonique, lieu de naissance de Mustafa Kemal. (Si cela vous intéresse, vous pouvez vous reporter à mon petit livre Hostage to History: Cyprus From the Ottomans to Kissinger [Otages de l'histoire: Chypre des Ottomans à Kissinger]). Mais cette longue et inégalée symbiose entre un État, une Nation, une armée et la modernité a aujourd'hui fait son temps. Jadis, elle avait défié l'injustice du Traité de Versailles, ravivé un conflit régional à un niveau qui n'avait rien à envier aux Croisades, et vu les drapeaux turc et américain flotter de concert sur les vallées ensanglantées de Corée, dans ce qui fut le premier engagement belliqueux de la Guerre Froide. Cette époque est désormais révolue. On se demande, ne serait-ce que pour être surpris, comment elle a pu durer si longtemps ou être si rapidement démise, et on se rassure de voir les nombreuses et diverses façons possibles d'être turc, ou musulman.

Qu'est-ce qui fait chuter les Bourses ?

Depuis l'abaissement de la note des Etats-Unis, vendredi par Standard and Poor's, les principaux acteurs internationaux ont multiplié les déclarations rassurantes à l'égard des marchés. Mais rien n'y fait. Lundi 8 août, premier jour de cotation après l'annonce de l'abaissement de la note américaine, les Bourses mondiales ont de nouveau lourdement chuté.

Le CAC40 a enregistré sa onzième séance de chute consécutive, un record historique, en cédant 4,68 %. Le Dow Jones a fini sa journée en recul de 5,42 %, sous les 11 000 points, pour la première fois depuis dix mois.
"Les investisseurs ont de plus en plus l'impression que l'on va au-delà de la crise financière, vers un risque systémique, et cela auto-entretient le vent de panique qui souffle sur les marchés", résume Renaud Murail, gérant chez Barclays Bourse, qui évoque un "scénario de découragement".
>> Qu'est-ce qu'un krach boursier ?
  • S&P a brisé un tabou
Standard & Poor's a brisé un tabou en retirant à la première puissance économique mondiale la prestigieuse note "AAA". "La dégradation de la note américaine réveille les pires scénarios sur l'économie mondiale", avance Eric Edelfelt, gestionnaire d'actions chez Meeschaert Gestion Privée à Paris. "On peut tout imaginer : une dégradation des notes de pays de la zone euro".
>> Quel avenir pour le "AAA" de la France ?
>> Un institut allemand craint un abaissement de la note française
L'annonce de S&P était attendue après les tergiversations des responsables américains à propos du plafond de la dette des Etats-Unis. "Sans beaucoup de surprise", S&P a mis en avant "les sombres perspectives qui pèsent sur la situation fiscale des Etats-Unis", souligne ainsi Natixis. Sans surprise également, l'agence a dégradé lundi la note de plusieurs géants du système financier américain, Fannie Mae, Freddie Mac et de cinq compagnies d'assurance américaines.
>> S&P déclasse plusieurs géants du système financier américain
  • La croissance mondiale inquiète
Mais selon plusieurs analystes, davantage que les craintes liées à la dette américaine, c'est l'inquiétude générale face au ralentissement de l'économie mondiale qui explique la nervosité des marchés.
Les analystes de Natixis estiment en effet que "les conséquences sur les capacités de refinancement du gouvernement américain devraient être limitées" au vu de l'attrait que continuent de représenter les bons du Trésor américain. "La réalité est que la dette américaine est toujours un bon investissement. Les Etats-Unis sont l'économie développée la plus diverse, liquide et malléable et les bons obligataires détiennent la position enviable d'être le plus grand marché du monde", explique une note de Briefing Research.
Le président américain a lui aussi minimisé, lundi, la décision de Standard & Poor's, estimant que son pays méritait toujours la note "AAA".
>> Obama minimise la dégradation de la note américaine
Dans ces conditions, la correction sur les marchés financiers reflète davantage l'inquiétude quant à la croissance mondiale, qui montre de plus en plus de signes d'essoufflement. L'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a ainsi publié lundi des indicateurs qui montrent des signes de ralentissement des principales économies mondiales.
>> L'OCDE alerte sur des nouveaux signes de ralentissement économique
"Des signaux plus forts d'inversion des cycles de croissance ont fait leur apparition aux Etats-Unis, au Japon et en Russie" en juin par rapport à mai, indique l'organisation. Les indicateurs pour le Canada, la France, l'Allemagne, l'Italie, le Royaume-Uni, le Brésil, la Chine et l'Inde "continuent à pointer vers des ralentissements de l'activité économique", poursuit-elle.
Dans ses prévisions publiées en juin, le Fonds monétaire international (FMI) avait déjà révisé à la baisse ses prévisions de croissance des Etats-Unis et des pays développés, tablant respectivement sur une croissance de 2,5 % et de 2,2 % en 2011.
Ces chiffres pourraient être encore plus mauvais que prévu, Washington ayant fait état fin juillet d'une croissance nettement ralentie en 2011, à 1,3 % en rythme annuel au deuxième trimestre, qui avait déçu les attentes des marchés.
  • La crainte du "double dip"
"Il y a deux principales sources d'inquiétude : la viabilité de la croissance américaine et l'évolution des finances publiques en Europe", explique JPMorgan Asset Management dans une note d'analyse. La banque s'interroge même sur la possibilité que la première économie mondiale ne tombe en récession, un scénario catastrophe qui entraînerait le reste de la planète avec elle.
Or, un "double dip", une double récession dans la foulée de la crise financière, aurait des effets plus douloureux qu'en 2008 car l'économie américaine n'a pas la vigueur d'avant la crise financière en 2007.