TOUT EST DIT

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jeudi 28 juillet 2011

Le PS demande à Copé de "dissoudre" la Droite populaire

Harlem Désir, patron par intérim du PS, accuse le collectif de députés UMP de "faire un pont" avec l'extrême droite en "jouant avec les thèmes du pire".
Le secrétaire général du PS par intérim Harlem Désir a demandé jeudi au patron de l'UMP de dissoudre le collectif Droite populaire, qu'il accuse de "faire un pont" avec l'extrême droite en "jouant avec les thèmes du pire". 
"Je crois qu'il faut une clarification, je lui demande de mettre les choses au clair et donc de dissoudre ce groupe de la Droite populaire", a déclaré Harlem Désir, en marge d'un déplacement dans le Var. 
Selon lui, ce collectif composé d'une quarantaine de députés UMP incarnant la droite du parti majoritaire "instaure une véritable passerelle, un pont permanent entre l'UMP et l'extrême droite". 
Pour Harlem Désir, ce groupe "joue avec les thèmes les pires", comme "la peur de l'étranger, la peur de l'islam, en organisant jusqu'à cette opération saucisson vin rouge dans l'enceinte même de l'Assemblée nationale". 
"Il faut arrêter la banalisation des idées de l'extrême droite au sein de la droite républicaine", a poursuivi celui qui remplace à la tête du PS Martine Aubry, en congés pour cause de primaire. Il a accusé Jean-François Copé de "double jeu, de double langage, où d'un côté on prétend continuer à représenter les valeurs de la République, et de l'autre côté, on joue avec le feu en entretenant au sein même de l'UMP une coalition" comme celle-là. 
Le MRAP s'en est violemment pris à la Droite populaire après les attaques d'Oslo, revendiquées par un homme se déclarant en guerre contre l'islam, accusant le collectif de faire "souffler un vent mauvais sur la démocratie", au même titre que le Front national. 

CE CRÉTIN PREND SES "DÉSIRS" POUR LA RÉALITÉ !

Le compte à rebours a commencé

Dans un an, la République de Chypre prendra la présidence tournante de l'UE. D'ici là, la partie turque et la Turquie veulent obtenir un règlement de la division de l'île, sous peine de cesser leurs discussions avec l'Europe. 

Álvaro de Soto, ancien conseiller spécial du secrétaire général de l'ONU pour Chypre, l'a comparé à "un coffre à quatre cadenas, dont les clés doivent être tournées en même temps" pour être ouvert. Le problème chypriote (le plus ancien conflit en Europe, datant de 1974) se rapproche à grand pas de son dénouement. La Grèce, la Turquie et la République turque de Chypre du Nord (RTCN) ont convenu que les négociations concernant la réunification devaient parvenir à un résultat avant octobre.
Reste à résoudre les positions de la République de Chypre et les intérêts de l'Union Européenne. 
Les Chypriotes turcs sont cependant persuadés que l'UE utilise la question de la réunification de Chypre comme prétexte pour bloquer les négociations d'adhésion de la Turquie.
Récemment, Ankara a durci sa position. Le ministre des Affaires étrangères Ahmet Davutoğlu et le Premier ministre Recep Tayyip Erdoğan ont menacé de boycotter l'ensemble de l'UE si c'est une Chypre encore divisée qui devait assumer la présidence de l'UE à partir de juillet 2012. La Turquie ne peut accepter que le problème chypriote continue d'être un obstacle aux négociations avec l'UE. "Il n'y a aucune raison ou justification ethnique pour laisser le Nord de côté", a menacé Davutoğlu.
Le conflit chypriote est peut-être aussi compliqué que le conflit israélo-palestinien. Depuis 37 ans, les deux parties de l'île sont bien délimitées et gardées par les armées turque et grecque. Au milieu, les soldats de l'ONU. Plus deux bases souveraines britanniques. Bien que ni la Grèce ni la Turquie ne s'opposent plus à la réunification et que l'ONU ait menacé de retirer ses troupes, dont les frais de stationnement s'élèvent à plus de 57 millions de dollars (40 millions d'euros) par an, les négociations sont dans l'impasse.
En 2004, lorsque l'île aurait pu entrer unie dans l'UE, les Chypriotes grecs ont rejeté le référendum sur la réunification. Malgré les promesses de l'UE, la partie turque est encore soumise à des embargos et aucun avion ne peut atterrir, à moins qu'il vienne de Turquie. L'économie de cette partie de l'île est maintenue en vie par Ankara (290 millions d'euros par an). 


Les jeunes ne sont pas nostalgiques

Les deux parties n'ont pas réussi à se mettre d'accord sur le type de gouvernement (la formule proposée par l'ONU étant celle d'un Etat fédéral avec deux administrations, mais un seul gouvernement fédéral), la division territoriale, la question de la restitution des biens des réfugiés des deux côtés suivant l'intervention de 1974. Tout accord devra être confirmé par des référendums des deux côtés. Et les Chypriotes grecs semblent de moins en moins disposés à dire "oui" à la réunification. Il y a de plus en plus de jeunes dans le pays, qui n'ont pas la nostalgie d'une quelconque propriété perdue jadis lors de la division de l'île.
Ainsi, le temps travaille contre la réunification. 
Après l'intervention militaire turque de 1974 (destinée à empêcher la junte militaire grecque d'annexer Chypre) et après le carnage dans les deux camps, l'île fut divisée en deux, avec un mur de séparation passant par le centre-ville de la capitale Nicosie (Lefkoşa en turc). Il s'ensuit, selon la résolution de l'ONU, l'échange de population. Les Chypriotes turcs vivant dans le sud ont été forcés de quitter leurs maisons et de déménager vers le Nord, et les Chypriotes grecs vivant dans le nord ont du gagner le Sud. La question de ces propriétés abandonnées sous la contrainte reste l'un des plus grands problèmes sur le chemin de la réunification.
Existe-t-il un "plan B" ? Très probablement, la reconnaissance par l'ONU en tant qu'Etat. "Nous voulons être reconnus par la communauté internationale. Si les Chypriotes grecs persistent dans leur intransigeance, nous entreprendrons d'autres démarches", soutient Hüseyin Özgürgün, ministre des Affaires étrangères de RTCN, qui avoue avoir déjà envoyé des émissaires en Suède, Norvège et Bruxelles.
La réunification de l'île sous la forme d'un Etat fédéral est la meilleure solution pour Chypre, a déclaré à Adevărul le ministre des Affaires étrangères de la République de Chypre, Markos Kyprianou. "Le commerce direct avec le Nord n'est pas légal, car il constituerait une violation de l'acquis communautaire. On ne peut pas prendre de décisions dans l'UE sur des questions nationales chypriotes, sans avoir le consentement des deux parties. Je ne pense pas que les pays membres désirent créer un tel précédent dans l'espace communautaire".

La dette américaine crève le plafond

Si la question de l'endettement et de la « règle d'or » sont en train de devenir l'argument politique du moment en France, cela fait quelques semaines que la dette publique joue ce même rôle aux Etats-Unis. De manière nettement plus cruciale. À cinq jours de l'échéance fixée par le Trésor, la perspective d'un défaut de paiement américain commence même à prendre une consistance inquiétante. Si le 2 août aucun accord n'est trouvé entre la Maison Blanche et les républicains, l'État fédéral se trouverait dans l'incapacité de régler ses factures, la crédibilité économique du pays serait atteinte - et sanctionnée par les agences de notation - et l'onde de choc pourrait provoquer des conséquences graves sur une économie mondiale déjà bien mal en point. Sur le fond, Barack Obama a déjà largement cédé face aux républicains, en matière de coupes franches dans les budgets sociaux. Et démocrates et républicains s'opposent moins sur le principe d'un relèvement du plafond de la dette que sur les mesures de réduction des dépenses qui doivent l'accompagner. Le président américain plaide pour un relèvement de grande ampleur immédiat et une hausse de la fiscalité des plus riches ; l'opposition républicaine - sous pression droitière du Tea Party - ne veut entendre parler que de réductions des dépenses publiques et différer la fin du relèvement à 2012... en pleine campagne présidentielle. Ici aussi, idéologie et tactique politicienne jouent à plein. Le coup de bluff pourrait se terminer par un compromis de dernière minute. Mais en attendant, la partie de poker engage une partie de l'avenir de la planète.

France - USA : je t'aime, moi non plus

« L'affaire DSK » aurait-elle recréé des fractures nouvelles entre la France et les États-Unis, fractures plus qu'atténuées au cours des dernières années ? En France, l'élection de Barack Obama avait profondément amélioré l'image de l'Amérique, après la période difficile de l'administration Bush. Aux États-Unis aussi, l'image de la France s'était améliorée avec la venue au pouvoir de Nicolas Sarkozy. Pour Washington, « Sarkozy l'Américain » ¯ formule que le nouveau président français n'hésitait pas à utiliser ¯ était aussi beaucoup plus « atlantiste » que ses prédécesseurs.

Mais aujourd'hui, chaque pays semble retrouver « un doute existentiel » à l'égard de l'autre. Pour les Français, l'Amérique est-elle un pays vraiment civilisé, compte tenu de la « brutalité » de sa justice et de sa police ? Pour les Américains, la France est-elle un pays vraiment démocratique, compte tenu de l'autocensure de certain de ses médias à l'égard du comportement de ses grands et du laxisme incestueux de certaines de ses élites ? L'Amérique est-elle bien le pays de la liberté ? La France est-elle bien celui de l'égalité ?

Le fait que des cicatrices puissent se rouvrir ainsi à la première occasion sérieuse est significatif de la fragilité psychologique des relations entre la France et les États-Unis. Une fragilité d'autant plus grande que les deux pays traversent une zone de turbulence financière, économique et sociale plus que sérieuse. Plus l'on doute de soi, plus la tentation est grande de critiquer l'autre.

Nous sommes unifiés, désormais, par l'ampleur de nos dettes, l'enlisement de notre « aventure afghane », la montée de mouvements populistes au sein de nos sociétés divisées sur ce qui doit être fait pour faire face aux défis du présent. En 2012, Nicolas Sarkozy puis Barack Obama se retrouveront tous les deux aussi devant le jugement de leurs électorats respectifs.

De manière plus fondamentale, nos deux pays se voient contraints de repenser leur statut dans le monde face à la montée de la Chine et des pays émergents. L'Amérique n'a tout simplement plus les moyens financiers de ses responsabilités mondiales traditionnelles. Et ce qui est vrai pour l'Amérique dans le monde s'applique également pour la France, au niveau plus modeste qui est le sien.

Ce retour du soupçon par rapport à l'autre ne fait que traduire une double déception des deux côtés de l'Atlantique. Au fil des années, l'Amérique d'Obama a déçu pour partie les Français. Vue de Paris, l'élection du candidat de l'espoir n'a pas vraiment fait reculer le parti de la peur, et la société américaine apparaît plus divisée que jamais.

Vue de Washington, la France ¯ en dépit de son retour dans l'organisation militaire intégrée de l'Otan ¯ a déçu l'administration américaine, comme étant une partie intégrante d'un ensemble européen toujours plus problématique. Pour les États-Unis, l'Europe est incapable de surmonter ses divisions politiques pour relever ses défis économiques et financiers. Ces divisions, qui l'avaient conduite à l'autodestruction hier, ne risquent-elles pas de la conduire à l'auto-marginalisation aujourd'hui ?

Vue sous l'angle global des relations franco-américaine, « l'affaire DSK » n'est certes qu'un épiphénomène. Mais elle constitue aussi un signal d'avertissement de crises plus sérieuses à venir, au moment où chacun peut décevoir l'autre.



(*) Conseiller spécial de l'Ifri (Institut français de relations internationales).

Sans le Sud, l’Europe perdrait le Nord

Les pays du sud de l'Europe rencontrent d'immenses difficultés. Mais ce n'est pas une raison pour les négliger, ou les pousser vers la sortie : le sort de l'UE est lié à sa partie méridionale, rappelle un journaliste du Temps.
 Il y a les chiffres, et ils sont impitoyables. Ceux de la Grèce, avec sa dette d’environ 350 milliards d’euros équivalente à 160% de son produit intérieur brut (PIB), servent désormais de slogan à tous ceux, Allemagne en tête, qui clouent au pilori la mauvaise gestion et les tricheries (avérées) passées d’Athènes.
Le Portugal, avec une dette publique de 126 milliards soit 88% du PIB, ou l’Italie avec une dette d’environ 1800 milliards d’euros, soit près de 120% de son PIB viennent tout de suite derrière, avec, dans le cas de la Péninsule, le facteur aggravant de l’inefficacité des services publics illustrée, sur tous les écrans de télévision du monde, par la gabegie de la collecte d’ordures à Naples.
Le cas de l’Espagne, notons-le d’emblée, est de ce point de vue différent puisque les autorités de Madrid sont avant tout confrontées à une spirale de l’endettement privé comparable à celle de l’Irlande, où le sauvetage de l’UE vise à remettre à flot le secteur bancaire. La dette publique espagnole, à 680 milliards d’euros, représente environ 64% du PIB du pays… contre 1 650 milliards pour la France, soit 84% du PIB de l’Hexagone, que les agences de notation ont dans leur collimateur. Lire la suite sur presseurop.eu...

Le vice et la vertu

L’an V du quinquennat Sarkozy sera-t-il l’aube de « la république irréprochable» - quelle formule, tout de même ! - promise pendant la campagne présidentielle de 2007 et largement oubliée en cours de route. Une aube tardive, mais bon, on ne va pas finasser. Entre-temps, d’autres priorités ont triomphé au sommet de l’État, et puis il y avait la crise n’est-ce pas ? Mais il faut croire que le vent préélectoral a d’extraordinaires effets vertueux. Après le projet constitutionnel de règle d’or, présenté comme l’alpha de l’avenir de la nation, voici donc, comme un évident oméga, une loi sur la déontologie de la vie publique. Un miraculeux doublé auxquels les parlementaires, en plein été, sont aujourd’hui sommés de donner corps.

On a tant soupiré contre les multiples dérives et autres petits péchés véniels que notre démocratie passe à son personnel politique qu’on a envie d’applaudir. Et de dire : enfin ! Oui, enfin des règles claires pour recadrer les mauvaises pratiques des uns et des autres et pour rectifier l’art certain, et tellement français, de combiner les intérêts. Car le problème, ici, n’est pas tant le fameux «conflit» - ah, si seulement il pouvait repousser les tentations du mélange des genres ! - que les petits arrangements avec sa conscience. Ces subtiles variations de la probité que le verbe et les proclamations d’innocence outragées et trop souvent pleurnichardes sur le mode - je n’ai rien fait de mal, c’est légal - permettent au final de justifier beaucoup de choses au-delà des limites de l’acceptable. Éric Woerth, par exemple, ne comprend toujours pas pourquoi il avait été, au mieux, maladroit, au pire, inconscient... Sûr de son honnêteté, il ne voit toujours pas le problème qui a conduit le chef de l’État à l’évincer du gouvernement.

Irréprochables, donc ? Chiche ! Pour commencer, on voudrait être convaincu que la loi mettra en place des règles nettes. Et là, étrangement, le projet qu’on nous propose ne veut pas s’encombrer d’une définition trop précise des cas de conflits d’intérêts pourtant préconisée par la commission Sauvé. En revanche, il se jette comme un affamé sur l’énonciation de «principes fondamentaux» et sur la création d’une «Autorité de la déontologie de la vie publique.» Une autorité qu’on nous promet «indépendante» mais qui sera quand même nommée par décret ministériel...Très bel exemple d’antithèse, mais l’essentiel n’est pas là. Comme d’habitude - autre travers français - on pense structure avant de penser concret. Ça ne mange pas de pain et c’est aussi plus commode. On peut se draper dans de grands engagements immaculés sans s’imposer trop de contraintes immédiates.

C’est plutôt habile pour donner des gages de rédemption à une société française qui fera de la morale un enjeu du prochain scrutin présidentiel, et ce sera toujours mieux que le n’importe quoi indécent qui prévalait jusque-là.

Le Minitel, des souvenirs d'"érotisme minimaliste", de lenteur et de factures salées

Le Minitel s'éteindra en juin 2012, a annoncé France Télécom, proclamant ainsi la fin d'une légende. Les lecteurs du Monde.fr ont confié leurs plus beaux souvenirs sur le Minitel.

  • "La lenteur d'affichage ajoute au suspense", par Ludovic
A un tournant de ma vie d'étudiant, changement de voie. Je quitte une filière technique qui me barbe et m'oriente vers une école d'infographie. Je passe le concours. Un mois plus tard, c'est le jour des résultats. Ceux-ci étaient disponibles sur le Minitel.
La lenteur d'affichage ajoute au suspense. J'arrive sur la lettre S, la lettre de mon nom. Seulement quatre ou cinq nom par page. Sur la première je vois un seul nom reçu et les autres non reçus. Page suivante, aucun reçus. Page suivante... ma respiration s'arrête et ma gorge se bloque. A côté de mon nom est écrit "admis". Ma vie bascule à ce moment. Merci, mon petit Minitel. J'ai fait tout le cursus de cette école, quatre années, et suis sorti major de ma promo. Je travaille depuis plus de dix ans dans le cinéma.
  • Une dernière génération, par Laura
Posé sur le bureau de mon père, "ça coûte cher" et on ne l'utilise pas pour rien. Touches grises, plates, et vertes. "Qui s'est servi du minitel ? Le téléphone était encore occupé !" Mais c'est que ça me fascine, moi, ces lignes qui s'affichent en se déroulant sous mes yeux. Et soudain, l'info qu'on souhaitait ! Comme un trésor. Heureusement que le Minitel fonctionnait encore au moment d'entrer à la fac : c'est lui qui me donnera la bonne nouvelle du bac. J'ai bien ri quand ma jeune sœur a dû télécharger une application sur son iPhone pour avoir les résultats du bac de français.
  • 3615 code RAVE, par DJ K
Au début des années 1990, c'était le temps des raves et du Minitel. Les premières étaient suffisamment rares pour que mes amis et moi fassions plusieurs plusieurs centaines de kilomètres dans la soirée pour descendre à Marseille pour une Dragon Ball ou à Saint-Trop' pour une fête sur les plages du Blouch. C'était le moyen le plus efficace pou obtenir des informations de dernière minute sur une teuf à venir à l'autre bout de la France. Au milieu des services de Minitel rose et du 3615 SNCF se trouvait le 3615 code RAVE. Depuis, les raves ont été remplacées par le clubbing et le Minitel par Internet. L'accès à la musique et à l'information électroniques s'est démocratisé. C'était le bon vieux temps...
  • "Des souvenirs forcément roses...", par Fred
Des souvenirs de minitel ? Des souvenirs forcément roses....  Mes 15 ans. Allongé sur le ventre sur la moquette du salon. Des après-midi passées à essayer tous les 3615 + un nom sexy pour me perdre dans un érotisme ou une pornographie minimalistes. Des petits bonhommes en bâtons dans des poses suggestives, de longues minutes à remplir un profil qui ne servait jamais à rien, des échanges de messages avec de vraies fausses "coquines de ma région" dévoilant au compte-gouttes un numéro de téléphone toujours incomplet. Et puis venaient les engueulades des parents lorsque tombait la note de téléphone, suivies de la promesse jamais tenue de ne pas recommencer.
  • "Le Minitel m'a apporté le bonheur", par Josette
Le Minitel m'a apporté le bonheur. Je galérais depuis sept ans avec quatre enfants et puis, sur un site, j'ai rencontré Noël. Il était de Marseille et moi de Belfort. Je venais de perdre mon papa et pour moi la vie était très dure. Noël a su, avec sa gentillesse, m'apporter la joie de vivre. Nous nous sommes connus en mars 1989 et nous nous sommes marié le 25 mai 1991. Cela fait vingt ans que nous sommes mariés et nous sommes très heureux. Je ne regrette pas les factures de téléphone.
  • "Chaque matin au réveil, je me connectais sur 3615 BasketUSA", par Romain
Fan de basket américain, j'utilisais quotidiennement le Minitel avant l'arrivée d'Internet pour obtenir les informations les plus fraîches sur la NBA. Chaque matin, je me connectais au 3615 BasketUSA et il fallait s'armer de patience pour voir les résultats des matchs de la nuit qui s'affichaient ligne après ligne, à mesure que la page se chargeait. Toute une époque !
Au-delà des statistiques des rencontres, le Minitel m'a surtout permis de vivre un des plus grands moments d'émotion de ma vie de fan de basket : le retour de Michael Jordan à la compétition, en mars 1995.  Les semaines qui ont précédé son retour officiel ont été marquées par de nombreuses rumeurs et informations allant dans le sens d'un possible come-back. Ces informations qui m'ont fait vibrer alors que j'avais 14 ans, je les ai lues sur le Minitel.
Je me souviens avoir sauté de joie et couru dans toute la maison lorsque Michael Jordan est effectivement revenu au jeu. En revanche, je me souviens aussi de voir régulièrement ma mère faire la tête lorsqu'elle recevait la facture téléphonique...
  • "Une époque où les crimes informatiques étaient mal définis", par Otto
En tant que jeune hacker à une époque avant le Web, accéder les réseaux était vraiment difficile. Le Minitel permettait de se connecter, illégalement bien sûr, mais à une époque où les crimes informatiques étaient mal définis, à toutes sortes de systèmes. Je me souviens en particulier de la possibilité de se connecter en 3614 sur un VAX de VLSI, qui ensuite permettait d'accéder aux réseaux X.25/X.75 et ainsi rebondir sur toute la planète. Il existait quelques passerelles X.25/Internet ce qui permettait donc d'accéder à Internet depuis un Minitel.
Moi je suis né en 1979, le minitel était encore en gestation. Gamin, je n'avais pas le droit de me connecter aux services en ligne... En allumant le Minitel, il est possible sans se connecter de taper des phrases au clavier, de changer de couleur... enfin, de niveaux de gris. Avec du temps et de l'imagination, on pouvait même dessiner avec des barres verticales ou horizontales. Mon meilleur souvenir est donc d'avoir pu remplir l'écran du minitel avec un dessin comprenant une maison, une barrière, un bonhomme qui clignotait de l'œil gauche !  Mon pire souvenir : en séjour ennuyant chez ma tante, l'engueulade lorsqu'elle m'a surpris devant son minitel. Impossible de lui expliquer que ça n'allait rien lui coûter.
  • "J'étais de l'autre côté de la barrière", par jmp
J'étais de l'autre côté de la barrière. J'ai travaillé environ quinze ans pour un service télématique d'informations, adossé à un grand groupe de presse. Nous avons tout inventé ! Les live, les bases de données, l'interactivité... La seule chose qui a changé avec Internet, c'est le son et l'image. Toutes les recettes que nous appliquions à l'époque restent en vigueur sur la Toile aujourd'hui. Finalement, la principale différence... c'est le modèle économique. A 1,29 franc la minute sur le 3615 kinenveu (si mes souvenirs sont bons), on parlait en "heures" et ces heures correspondaient à des rentrées sonnantes et trébuchantes. Cette rentabilité n'existe pas sous cette forme avec Internet. Un modèle semblable reste encore à inventer !

Trichet : "Jamais il n'a été question de faire sortir la Grèce de l'euro"

 Le patron de la Banque centrale européenne livre sa vérité au Point sur la tempête financière du siècle.

Le vendredi 22 juillet au matin, Jean-Claude Trichet, président de la Banque centrale européenne, est là, dans son bureau du 35e étage qui domine Francfort. Un peu fatigué mais à pied d'oeuvre, déjà, après avoir parcouru en voiture dans la nuit les 400 kilomètres pour rentrer de Bruxelles, où s'est tenu la veille un sommet des chefs d'État décisif pour sauver la Grèce et empêcher la contagion aux autres pays de la zone euro. Jean-Claude Trichet, le moine-soldat de l'euro, livre ses confidences au Point après la réunion du 21 juillet.

Le Point : Après le sommet de Bruxelles, l'euro est donc sauvé ?
Jean-Claude Trichet : L'euro lui même, la monnaie, n'a jamais été menacé. La question posée était celle de la stabilité financière de la zone euro du fait des problèmes budgétaires de la Grèce, pas celle de la monnaie unique. L'euro n'est pas contesté, il est stable, crédible, solide. L'euro a conservé sa valeur depuis plus de douze ans. La Banque centrale européenne est une ancre de stabilité et de confiance, ce qui est très important, particulièrement dans une période agitée et difficile.
Oui mais les pays en difficulté de la zone ne menacent-ils pas la monnaie unique ?
La tension observée sur les risques souverains n'est pas seulement un problème européen, c'est un problème mondial. Les États-Unis, le Japon ont aussi des problèmes budgétaires majeurs, vous le savez bien. Le paradoxe, c'est que, prise globalement, la zone euro est dans une situation nettement meilleure, avec un déficit budgétaire consolidé de 4,5 % du PIB environ cette année, contre 10 % environ dans ces deux autres pays. En revanche, individuellement, en Europe, la Grèce en particulier connaît une situation beaucoup plus difficile. L'ensemble des décisions prises à Bruxelles par les chefs d'État et de gouvernement est important pour la stabilité financière de la zone.
Quelle part a pris la BCE dans ce qui a été décidé à Bruxelles le 21 juillet ?
Dans pareilles circonstances il faut bien voir le rôle de la Banque centrale. Notre responsabilité est de garantir à dix-sept pays et 331 millions de citoyens la solidité et la stabilité de leur monnaie, de leur épargne et de leur pouvoir d'achat. L'inflation, on le sait, frappe durement les plus démunis et les plus vulnérables d'entre nous. Cette responsabilité nous a été confiée par nos démocraties. Nous y faisons face, et dans les douze premières années de l'euro, nous avons obtenu une inflation annuelle moyenne de 1,97 %, en ligne avec notre définition de la stabilité des prix : mois de 2 %, proche de 2 %. Par ailleurs, émettre la monnaie unique pour dix-sept pays et 331 millions d'habitants nous donne aussi une vision de synthèse qui nous permet de transmettre des messages à ceux qui prennent les décisions gouvernementales, sachant, bien sûr, qu'ils restent maîtres de leurs choix.
Votre participation, le 20 juillet à Berlin, à la rencontre Sarkozy-Merkel était-elle prévue ?
J'ai reçu une invitation d'Angela Merkel et de Nicolas Sarkozy à les rejoindre à Berlin, où ils étaient à la Chancellerie. Le Conseil des gouverneurs de la Banque m'a indiqué, en temps réel, qu'il était utile que j'accepte cette invitation pour transmettre l'analyse de la BCE.
109 milliards d'euros pour la Grèce après 110 l'an dernier. Croyez- vous que l'Europe va pouvoir mobiliser à volonté des sommes aussi importantes pour un seul pays ?
Ce qui compte avant tout, et c'est absolument fondamental, c'est que la Grèce reprenne le contrôle de ses grands équilibres, qu'elle fasse un effort sur elle-même pour mettre en oeuvre, le plus rapidement et le plus rigoureusement possible, le programme de remise en ordre de son budget, de ses comptes publics, de sa compétitivité. Ce qui compte, c'est qu'elle poursuive rigoureusement ses réformes structurelles, et qu'elle s'engage résolument dans son programme de privatisation.
La France a mobilisé 4 milliards d'euros l'an dernier et, après le sommet de Bruxelles, devra emprunter 15 milliards supplémentaires d'ici à 2014 au profit de la Grèce. Êtes-vous sûr que les Français, qui ont leurs propres problèmes, suivront indéfiniment ?
La Grèce s'engage à tout faire, et doit tout faire, avec cette stricte surveillance de l'Europe que nous avons toujours appelée de nos voeux, pour rétablir la confiance, retrouver la stabilité et rembourser les prêts de l'Europe. Les Européens ne subventionnent pas la Grèce à fonds perdus. Ils investissent dans son redressement. Naturellement, ils doivent surveiller de près leur investissement.
Les dix-sept ont donné du temps à la Grèce. Ça ne garantit pas que le pays acceptera l'austérité qu'on lui inflige.
On n'inflige pas "l'austérité" à la Grèce. La Grèce corrige elle-même de monumentales erreurs de gestion passées. Elle avait constamment dépensé beaucoup plus qu'elle ne gagnait, au cours de toutes les années précédant la crise. Une sage gestion est le seul moyen d'avoir à nouveau croissance et création d'emplois qui reposent sur une compétitivité retrouvée.
Considérez-vous que l'appartenance de la Grèce à la zone euro explique une partie de ces dérives ? La Grèce, malgré son inflation, a pu emprunter à des taux très bas grâce à la BCE. Une bulle de crédit s'est formée.
Non, je ne le crois pas. J'en veux pour preuve le fait que la zone euro n'existe que depuis un peu moins de 13 ans, et qu'auparavant, d'autres pays, partout dans le monde, avaient connu les difficultés que traverse aujourd'hui la Grèce. On constate d'ailleurs aujourd'hui que, malheureusement, les problèmes de mauvaise gestion budgétaire se posent surtout dans des pays avancés, alors qu'auparavant, c'étaient les pays en développement, en Asie, en Amérique latine ou au Proche-Orient, qui étaient concernés. La Grèce est l'illustration emblématique de ce renversement.
À quoi cela est-il dû ?
Ce qui reste vrai, c'est que la surveillance des politiques économiques et budgétaires au sein de la zone euro n'a pas été à la hauteur de ce qui était nécessaire. Pour ce qui est de l'Europe, la Banque centrale européenne et la Banque de France, Christian Noyer et moi-même, avons toujours dit que le Pacte de stabilité et de croissance n'était pas une création artificielle traduisant une vision ultra orthodoxe de l'économie venant d'outre-Rhin. C'était un cadre budgétaire absolument indispensable dans une zone à monnaie unique qui n'a pas de gouvernement fédéral ni de budget fédéral. Au nom du Conseil des gouverneurs, j'ai dénoncé publiquement les libertés que l'Allemagne, la France et les autres grands pays, en 2004-2005, ont voulu prendre et ont prises avec un Pacte de stabilité et de croissance qui avait été affaibli dans sa lettre et dans son esprit. Nous avons constamment demandé un renforcement de la surveillance non seulement des politiques budgétaires, mais aussi des indicateurs de compétitivité et des déséquilibres internes.
Aujourd'hui, avec la crise, chacun voit que nous avions alors raison.
Et que vous avez plus de chances d'être écouté...
Je l'espère sincèrement.
Vous avez lutté au cours des dernières semaines contre l'idée de demander pour la Grèce des sacrifices à la finance privée (banques, assurances, fonds...). Il semble que vous n'ayez pas été entendu par les chefs d'État ?
J'insiste sur le fait que nous avons toujours dit publiquement que ce n'était pas la Banque qui prenait les décisions, mais les gouvernements. Et à propos de la finance privée et de la Grèce, nous avons passé trois messages très clairs. Premièrement, nous avons dit que cette participation devait être volontaire. Sur ce point, nous avons été suivis. Nous avions ensuite dit qu'il ne fallait pas que l'on débouche sur ce que l'on appelle un "événement de crédit". De tout ce que je sais aujourd'hui, il me paraît que nous éviterons cette issue. Enfin, le troisième message était d'éviter un "défaut sélectif". Mais, dans le cas où il se produirait, les États devraient alors recapitaliser les banques et conforter les garanties prises par la Banque centrale pour ses opérations de refinancement. Nous avons obtenu cette garantie indispensable pour protéger l'intégrité de la Banque centrale européenne en cas de "défaut sélectif". L'intégrité de la Banque centrale européenne et de toutes les banques centrales de l'Eurosystème est fondamentale pour la stabilité et la confiance en Europe. Elle n'est pas négociable.
Après le sommet de Bruxelles, le Fonds européen de solidarité financière (FESF) prêtera à meilleur marché aux États sous tutelle et pourra aussi acheter des obligations et recapitaliser des banques en difficulté. Ne met-on pas le doigt dans un engrenage infernal et coûteux ?
Nous avons nous-mêmes conseillé aux gouvernements de donner plus de latitude, plus de flexibilité au FESF. Du moins tant que nous serons placés dans les circonstances exceptionnelles que nous vivons depuis l'irruption de la crise la plus grave depuis la Deuxième Guerre mondiale. Un FESF plus souple et plus flexible sera un outil plus efficace pour contribuer à stabiliser les finances dans l'ensemble de la zone euro.
À propos des contributions de la finance privée, les chefs d'État ont affirmé que ces solutions ne vaudraient que pour la Grèce. Pourquoi ce traitement de faveur ?
La qualité de la signature d'un pays est absolument fondamentale. Que vous soyez un ménage, une entreprise ou un pays, vous obtenez des prêts dans de bonnes conditions si le prêteur a confiance, s'il pense qu'il sera remboursé. C'est pourquoi la confiance est si importante. Les chefs d'État et de gouvernement ont voulu lever toute ambiguïté. Je reprends leurs propres termes : "Tous les autres pays réaffirment solennellement leur détermination inflexible pour honorer complètement leur propre signature. Les chefs d'État et de gouvernement de la zone euro soutiennent totalement cette détermination parce que la crédibilité de toutes leurs signatures souveraines est décisive pour assurer la stabilité financière de la zone euro tout entière." On ne peut pas dire mieux.
A-t-on étudié la possibilité que la Grèce sorte de l'euro ?
C'est une hypothèse que personne n'a envisagée un instant.
Mais que répondez-vous à ceux, nombreux, qui considèrent que la Grèce ne se sortira pas d'affaire si on ne réduit pas drastiquement sa dette ?
Le problème pour la Grèce est de retrouver le chemin de la bonne gestion le plus rapidement possible. Cela veut dire un budget sain, un programme de privatisations rigoureusement appliqué, les réformes structurelles indispensables. Les propositions du secteur privé et les décisions des gouvernements européens vont considérablement alléger le service de la dette en abaissant les taux d'intérêt et en allongeant la durée des prêts. En outre, l'encours de la dette diminuera avec les échanges d'obligations et les rachats de dette. Mais ce qui compte, c'est l'ajustement de la Grèce elle-même.
Après Bruxelles, les pays comme l'Espagne ou l'Italie éviteront-ils la contagion grecque ?
Tous les pays, sans exception, ont conscience de vivre une crise exceptionnelle. À titre d'exemple, le gouvernement italien vient de faire voter un programme budgétaire qui le conduit à un déficit inférieur à 3 % dès 2012. Combien de grands pays avancés, en dehors d'Europe, peuvent dire cela ? L'Espagne s'est engagée dans des réformes ambitieuses, comme cela a été noté lors de la réunion du 21 juillet dernier. À tous, la Banque centrale demande d'appliquer sans restriction la lettre et l'esprit du Pacte de stabilité et de croissance, de renforcer la compétitivité, et notamment de veiller sur les coûts de production, et d'engager les réformes structurelles nécessaires. C'est la voie de la croissance durable et de la création d'emplois.
La crise est un révélateur. À l'intérieur de la zone euro, les pays qui ont été très attentifs à leur budget et à leur compétitivité, comme l'Allemagne ou l'Autriche, ont eu création d'emplois et diminution du chômage, même dans la crise. Même chose en dehors de la zone euro, où la Suède a des résultats bien meilleurs que beaucoup d'autres.
À chaque crise, les bons esprits réclament de plus en plus de fédéralisme, pour éviter la prochaine. Aujourd'hui, ils veulent des euro-obligations, une mutualisation plus forte des dettes. Est-ce responsable et utile ? Et peut-on avancer vers le fédéralisme sans demander leur avis aux peuples ?
Le sommet de Bruxelles n'était évidemment pas convié pour procéder à des bouleversements institutionnels. Ceci dit, une réflexion des Européens sur leur vision à long terme de l'évolution des institutions européennes est à mon avis légitime. La construction de l'Europe a commencé vraiment il y a soixante ans. Il est clair qu'elle n'est pas achevée historiquement, et il est tout aussi clair que ce sont nos démocraties qui prendront les décisions, donc, en dernière analyse, nos peuples nous diront ce qu'ils veulent. Comme citoyen, et non comme président de la BCE, je pense que les Européens progresseront jusqu'à créer une confédération d'États souverains d'un type entièrement nouveau, qui ne serait pas une imitation des États-Unis d'Amérique.
On nous a vendu la zone euro comme une zone de prospérité et de stabilité, et au lieu de ça, on a l'austérité. Cherchez l'erreur ?
La zone euro a connu, depuis l'introduction de la monnaie unique, une croissance par tête comparable à celle des États-Unis, autour de 1 % par an, et elle a créé plus d'emplois : 14 millions, contre huit millions en Amérique du Nord. Ceci n'est pas suffisamment connu et souligné. En outre, non seulement il n'a jamais été dit que l'euro dispenserait de bien gérer ses finances publiques, mais nous avons dit explicitement le contraire ! La zone euro redresse ses finances publiques, comme les États-Unis et le Japon doivent le faire, comme le Royaume-Uni a commencé à le faire. Deux choses sont sûres. Premièrement, partout dans le monde, les budgets gérés attentivement, les coûts de production maîtrisés, la sagesse des partenaires sociaux sont récompensés par la croissance et par la création d'emplois, même après la pire crise depuis 1945. Deuxièmement, la zone euro dans son ensemble a moins de problèmes que les États-Unis ou le Japon, mais elle doit formidablement renforcer sa gouvernance.
La spéculation est-elle le grand méchant loup qui veut manger l'euro ?
L'euro, lui-même, est totalement hors de question. C'est une monnaie très crédible, qui a remarquablement assuré la stabilité des prix, et qui est émise dans une zone économique dont les résultats d'ensemble sont très solides, relativement aux autres. S'agissant des obligations publiques ou privées, nous sommes en présence de marchés financiers complexes, très sophistiqués. Une partie des investisseurs ont confiance, ou pas, et font, ou pas, des placements, et une autre peut acheter ou vendre à terme, et spéculer à la hausse ou à la baisse. Les participants du marché sont ainsi mus par un mélange de confiance et de crainte, et de cupidité. Quand des crises graves arrivent, comme celle que nous connaissons depuis 2007-2008, elles révèlent les faiblesses profondes, comme les rayons X révèlent le squelette du corps. Un bon moyen de ne pas donner prise à la spéculation consiste à prévenir et à corriger ses propres faiblesses. Dans les années qui ont précédé la crise, les États en particulier ont baigné dans une fausse tranquillité. Sentiment partagé malheureusement par certains Européens, mais aussi par l'ensemble de la communauté internationale, et même par beaucoup d'économistes. Une nouvelle fois, la leçon pour nous, Européens, est de renforcer la gouvernance et la surveillance des politiques économiques et budgétaires. Cela ne veut pas dire que les marchés financiers ne doivent pas être améliorés profondément dans leur fonctionnement. Et le maître mot pour l'ensemble des pays avancés en ce moment est le mot confiance.
Oui, mais on peut spéculer sur un défaut de la Grèce...
Ce serait le plus sûr moyen de perdre de l'argent après les décisions de jeudi dernier. Mais encore une fois, l'euro, en tant que monnaie, est solide, crédible, et n'est pas affecté par les tensions sur les risques souverains.
Les agences de notation font-elles le jeu de la spéculation ?
Je crois que nous avons là une question importante de stabilité financière au niveau mondial. Nous sommes en présence d'un très petit nombre d'institutions qui ont une énorme influence internationale. Ce fonctionnement, visiblement oligopolistique, n'est certainement pas optimal du point de vue de l'organisation des marchés. Cette structure est structurellement "pro cyclique", c'est-à-dire qu'elle joue un rôle d'amplificateur de "bulles" en période conjoncturelle haute, et d'amplification de la chute en période basse. Il faut corriger ces défauts. C'est facile à dire, plus difficile à faire...
Vous abandonnez vos fonctions en novembre prochain. Qu'est-ce que cela vous inspire ?
J'ai eu une vie professionnelle qui a été marquée à la fois par la poursuite de stratégies de long terme, ou de très long terme, comme la construction européenne, et aussi par une succession de crises. J'ai commencé ma carrière de fonctionnaire en ayant à faire face au premier choc pétrolier, en 1973-1974, lequel a été un traumatisme énorme pour l'ensemble du monde avancé. Malheureusement, parce qu'on s'y est mal pris, particulièrement en Europe, ce choc a marqué le début du chômage de masse. J'ai connu aussi la crise des dettes souveraines en Amérique latine, en Afrique, la crise de l'Union soviétique, les crises du Mécanisme de change du Système monétaire européen en 1992 et 1993. Bien entendu aussi, la crise asiatique, l'explosion des dot.com, et la crise présente qui a commencé en 2007-2008. La vérité, c'est que j'ai toujours vécu avec les crises. J'en ai conclu que, dans un monde qui se transforme extrêmement rapidement sous l'impact de la science et de la technologie, de l'universalisation de l'économie de marché, des progrès fabuleux de la Chine et de l'Inde, il faut en permanence être sur ses gardes, être en état d'alerte. J'avais formalisé cette attitude dans un discours en 2005 à Jackson Hole, dans le Wyoming, où se réunissent tous les ans, dans un cadre informel, les banquiers centraux du monde entier. J'expliquais alors que pour renforcer la confiance à long terme, l'une des conditions était de rester visiblement, et de manière permanente, en état d'alerte. La crise la plus grave que nous connaissons depuis la Deuxième Guerre mondiale ne fait que renforcer cette conviction. Plus que jamais le service que rend la Banque centrale européenne aux Européens est d'être une ancre de stabilité et de confiance dans une période agitée et difficile.

Athènes engage trois banques pour gérer son programme obligataire

L'État grec a annoncé recourir aux services de BNP Paribas, Deutsche Bank et HSBC pour garantir la bonne mise en oeuvre du programme d'échange des titres détenus par les créanciers privés. Trois banques directement concernées.

Après avoir nommé en mai dernier cinq banques-conseils pour chapeauter son plan de privatisations, l'Etat grec a annoncé mercredi avoir fait appel à trois établissements pour superviser le programme d'échange de sa dette.
BNP Paribas, Deutsche Bank et HSBC seront ainsi chargés de mener à bien cette procédure. Lazard Frères a pour sa part été désigné comme conseiller financier de la Grèce pour l'application de cet échange de titres alors que le cabinet d'avocats Gottlieb Steen & Hamilton sera désormais le conseiller juridique international d'Athènes.
Trois banques directement concernées
Pour rappel, BNP Paribas est la banque française la plus exposée à la dette grecque avec 5 milliards d'euros d'obligations dans son portefeuille. L'exposition de HSBC et de Deutsche Bank se révèle moins importante avec respectivement 1,2 et 1,5 milliard d'euros. Directement concernés par la soutenabilité de la dette grecque, les trois établissements pourront donc superviser le programme d'échange. Mardi, le ministre des finances adjoint Filippos Sachinidis avait annoncé qu'il commencerait en août.
Décidé lors du sommet européen du jeudi 21 juillet, ce plan prévoit de laisser quatre options aux créanciers privés de la Grèce (voir l'article « Banques et assurances s'en sortent bien »), permettant d'assurer le caractère volontaire de cette participation. Entre 2011 et 2014, cette contribution des investisseurs, qui consiste en un programme d'échange et de rachat de dettes, est estimée à 54 milliards d'euros. Elle accompagnera le nouveau plan d'aide à la Grèce de l'Union européenne et du FMI de 109 milliards d'euros et devrait permettre d'allonger la maturité moyenne de la dette grecque détenue par le secteur privé de six à onze ans.
Des experts de l'Institut de la Finance Internationale (IFI), le principal lobby bancaire, doivent par ailleurs arriver jeudi à Athènes pour discuter avec des haut responsables grecs des modalités de ce programme d'échange. Un programme que l'IFI avait négocié directement lors du sommet européen en évitant une restructuration imposée de la dette grecque qui aurait été beaucoup plus lourde à supporter pour les établissements financiers.

Jean-Claude Trichet : "les Européens ne subventionnent pas la Grèce à fonds perdus"

Dans une interview livrée au magazine Le Point, à paraître ce jeudi, Jean-Claude Trichet défend le nouveau plan de soutien accordé à la Grèce, le 21 juillet dernier lors du sommet de Bruxelles.
Dans une interview livrée au magazine Le Point, à paraître ce jeudi, Jean-Claude Trichet revient sur l'accord trouvé pour sauver la Grèce. Pour rappel, ce nouveau de plan de soutien à la Grèce prévoit un réaménagement de sa dette, impliquant le secteur privé et réformant le fonds de stabilité.
Le patron de la BCE, qui quitera ses fonctions en novembre, se dit satisfait des mesures prises par les Etats membres de la zone euro quant au nouveau plan de soutien de la Grèce.
Il soutient qu'au delà des 109 milliards d'euros accordés à la Grèce il est " absolument fondamental que la Grèce reprenne le contrôle de ses grands équilibres le plus rapidement possible et le plus rigoureusement possible le programme de remise en ordre de son budget". Car précise-t-il, "les Européens ne subventionnent pas la Grèce à fonds perdus."
Concernant une éventuelle sortie de la Grèce de la zone euro, elle est impensable pour le président de la Banque centrale européenne : "c'est une hypothèse que personne n'a envisagé un instant".
En revanche, Jean-Claude Trichet veut que l'on tire les leçons de l'expérience grecque. Il a tenu ainsi à adresser un message d'avertissement à l'ensemble des acteurs de la zone euro : "la crise est un révélateur. (...) Les pays qui ont été très attentifs à leur budget (...) comme l'Allemagne et l'Autriche ont eu création d'emplois et diminution du chomâge même en temps de crise".

Crise grecque : un nouvel accord, un premier défaut

La zone euro est en danger. Et désormais le temps presse. Le Sommet européen qui s'est clos le 21 juillet dernier a préservé l'essentiel, en reconnaissant le défaut partiel de la Grèce sur sa dette, et en lui accordant une nouveau plan d’aide de 160 milliards d’euros. Les Etats européens ont opté pour le seul choix possible : celui d’un allégement significatif de la dette grecque. Pour autant, beaucoup reste à faire : les nouveaux outils de gestion de crise mis en place ne sont pas dotés de ressources propres ; la reconnaissance du "défaut sélectif" grec risque d'avoir dans l'immédiat des conséquences sur les conditions de financement en Europe, sans prévenir pour autant la poursuite du risque de contagion ; enfin, le problème de l'"aléa moral" n'a pas été résolu par les modalités retenues de participation du secteur privé. Bref, l'Europe a paré à l'urgence. Mais il lui reste, selon Julia Cagé, Thomas Chalumeau et Guillaume Hannezo, à construire une nouvelle étape de son intégration pour sortir du piège de la dette.

Synthèse

Les dix-sept pays de la zone euro sont parvenus à finaliser lors du Sommet européen du 21 juillet un accord de grande ampleur sur le sauvetage de la Grèce.
 
En reconnaissant le « défaut sélectif », c'est-à-dire partiel et temporaire, de la Grèce sur sa dette, et en lui accordant un nouveau plan d’aide de 160 milliards d’euros, les Etats européens ont opté pour le seul choix possible : celui d’un allégement significatif du fardeau de la dette grecque à court et moyen terme.
 
I. Un dispositif « à trois étages » est mis en place :
- Un renforcement des dispositifs d’urgence du Fonds européen de stabilité financière avec un allongement de la maturité de ses prêts et un abaissement de ses taux.
 
- Une accélération du versement des « fonds structurels », et des aides régionales européennes non consommées par la Grèce, afin de soutenir sa croissance potentielle. Selon Bruxelles, près de 8 milliards sont mobilisables pour des projets d'infrastructures et aider à la reprise économique du pays.
 
- Enfin, un accord avec le secteur financier européen a été trouvé, l’invitant à participer au refinancement de la Grèce, pour une contribution nette totale estimée autour de 37 milliards d’euros.
 
Parallèlement, pour limiter les risques de contagion, les dirigeants européens ont trouvé un accord pour mettre en place de nouveaux outils de gestion des crises. Le Fonds de secours européen (FESF) et son successeur à partir de 2013, le Mécanisme permanent de stabilité (MES), gagnent en compétences et pourront accorder leur aide, de manière préventive, en intervenant notamment sur les marchés obligataires secondaires, sous d’étroites conditions toutefois (décision à l’unanimité, à la demande d’Angela Merkel).
 
II. Cet accord a été salué en Europe comme une victoire des Etats de la zone euro sur la crise.
Il faut bien sûr se féliciter qu’il y ait eu un accord. Imaginons un instant ce qu'aurait été la réaction des marchés en cas d'échec de ce Sommet. Le Sommet a réussi à concrétiser un rapprochement des positions entre Etats européens et notamment entre l’Allemagne, qui voulait éviter la « budgétisation » de la dette grecque, sa prise en charge par les autres Etats, et la Banque centrale européenne, qui voulait éviter sa « monétisation ». Le compromis, où la France a joué le rôle d’un intermédiaire, est que l’Allemagne obtient la « participation du secteur privé », tandis que la BCE obtient que les autres mécanismes de soutien soient financés par le FESF, c’est-à-dire la garantie des autres Etats.
 
III. Toutefois, le répit est déjà de courte durée. L’inquiétude sur les marchés et dans les capitales européennes s’accroît à nouveau depuis le début de la semaine.
La tension sur les taux espagnols et italiens est palpable depuis lundi. Et malgré le nouveau plan de sauvetage du pays, Moody's vient de dégrader lundi la note souveraine de la Grèce, à un cran du défaut de paiement. Selon l'agence, le pays fait toujours face à d'importants défis de solvabilité à moyen terme et il n’est pas encore sauvé.
 
De fait, les incertitudes restent nombreuses et l’accord partiel sur certains éléments décisifs pour résoudre durablement la crise de la dette en Europe.
 
1. Il constitue d’abord une avancée limitée pour l’Europe, qui fait un pas vers le fédéralisme en décidant de nouveaux outils de gestion des crises, mais dans une série de tout petits pas : cela ne suffira pas à calmer des marchés déchaînés, qui vont tester très vite ces nouveaux outils, lesquels ne sont pas dotés de ressources propres.
 
2. Ensuite, en risquant pour la première fois la reconnaissance d’un « défaut sélectif » déjà envisagé par les agences de notation, les Etats de la zone euro prennent un risque : celui que le défaut grec acte la fin du « mythe » selon lequel, en Europe tout au moins, un Etat ne pouvait pas faire défaut sur sa dette. Surtout quand il était membre de l’Union.
 
Le défaut grec est susceptible, à ce titre, d’avoir des conséquences importantes : une réévaluation du risque des Etats et des banques, et donc une hausse des taux d'intérêt ; un écartement des spreads entre les Etats rigoureux et les autres, et donc des risques accrus de spirales d'endettement chez ces derniers ; une mise a l’épreuve de la zone euro. Car après la Grèce, qui peut garantir que la contagion s’arrêtera aux portes de l’Espagne ou du Portugal ?
 
3. La principale avancée du Sommet en termes d’instrument - l’élargissement du périmètre d’intervention du fonds de secours européen (FESF) - devra être confirmée dans les faits. Angela Merkel a obtenu que toute intervention sur les marchés secondaires fasse l’objet d’une décision à l’unanimité et de la qualification par la BCE d’une situation exceptionnelle sur les marchés. Et les moyens du FESF n’ont pas été augmentés. Or, il faudra beaucoup d'argent au FESF pour assumer ses nouvelles responsabilités, si la crise se prolonge au cours des prochains mois en Europe. De même, l’articulation des nouveaux champs de responsabilité du FESF et de l’action de la Banque centrale européenne reste peu claire.
 
L’accord lui même a besoin d'être ratifié, notamment sur l’extension du rôle du FESF, ce qui peut donner lieu a des situations de crise provoquées par les Parlements des pays du Nord.
 
4. La vraie limite de ce sommet, toutefois, est qu’il ne résout pas le problème de « l’aléa moral » et qu’il ne dégage pas de ressources supplémentaires pour faire face aux crises.
 
L’Allemagne a imposé une participation du secteur privé pour éviter l’aléa moral : si les acheteurs d’obligations grecques bénéficient de taux plus élevés en contrepartie d’un risque plus important de défaut, il faut qu’ils paient si le risque se matérialise. Ils paieront donc environ 20 % de la valeur des créances.  C’est beaucoup pour les investisseurs de long terme qui avaient acheté les dettes grecques avant la crise, en faisant un pari erroné sur l’intégration européenne. Mais pour ceux qui ont acheté de la dette grecque dans les derniers mois, décotée de 40 à 50 % par rapport à sa valeur faciale, c’est une superbe opération.
 
Ce défaut pourrait coûter cher au contribuable européen. Qui donc peut affirmer que le FESF n’aura pas à annuler demain une partie des dettes qu’il aura reprises ?
 
Il n’y avait sans doute pas d’autre moyen d’organiser la restructuration, une fois qu’on avait tant tardé et accepté le principe du défaut. Mais l’addition financière en sera élevée, sans que le message ne soit très clair du coté de l’aléa moral.
 
L’idée d’une taxe bancaire européenne, évoquée à quelques jours du Conseil européen, a été, dans ce cadre, écartée. Elle aurait permis de mettre le secteur privé davantage à contribution, et ce de manière intelligente, avec une assiette large et un taux modéré, et constitué une première base dans la mise en œuvre d’une fiscalité européenne.
 
IV. Pour sortir pleinement du piège de la dette en Europe, il nous faut, sans tarder, aller plus loin dans l’intégration européenne, seule et unique condition de notre crédibilité commune :
La crise de la dette publique occidentale ne commence en Europe que parce que la zone euro est le domino le plus faible, du fait de ses défaillances de gouvernance. Il nous faut aller plus loin :
 
- sur la mise en place d’une gouvernance économique renforcée passant par la création d’un ministre des Finances et une plus forte intégration des politiques budgétaires et fiscales européennes.
 
- sur le respect des engagements communs de maîtrise budgétaire. La dette prend les Etats en otage et cela n’est plus acceptable. Le désendettement, c’est aussi remettre en cause les politiques de défiscalisation massive de certains revenus dans les dernières années, qui ne trouvent pas de justification économique et ont accru les déficits partout en Europe.
 
- Ce n’est qu’en contrepartie de ces engagements de convergence budgétaire que les Etats les plus solides pourront accepter une plus grande solidarité financière, c’est-à-dire une mutualisation partielle de l’endettement, une conversion partielle des dettes nationales en dettes européennes et/ou l’émission d’eurobonds.
 
- Il nous faut également avancer sur une gamme plus large d’instruments de la politique monétaire, sur la communautarisation de la régulation financière et sur une plus forte régulation des agences de notation privées.
 
Nous devons enfin poser les bases d’une politique de croissance européenne : Les pays en difficulté ne pourront sortir de la spirale de l’endettement sans croissance, même en se voyant imposer les plans d’austérité les plus durs. Le « plan Marshall » annoncé pour la Grèce est à cet égard une avancée. Reste à la concrétiser, et cela ne pourra se faire sans un bond en avant dans l’intégration économique et budgétaire européenne. Les dirigeants français et allemands actuels sont-ils aujourd’hui prêts à réellement s’engager dans cette voie ?
 
L’euro est à un carrefour de son histoire et la crise va tester la volonté politique des dirigeants européens. Ce n’est qu’en imposant plus d’Europe, plus vite, que nous aurons une chance de dompter la spéculation financière en Europe.

 

Note intégrale

 
L’Europe respire mais l’inquiétude s’accroît. Tel est le paradoxe du Sommet européen du 21 juillet qui vient de décider d’un second plan d’aide d’urgence à la Grèce, portant sur 160 milliards d’euros, tout en reconnaissant pour la première fois son « défaut sélectif », c’est-à-dire son incapacité à s’acquitter de l’ensemble de sa dette dans les termes sur lesquels elle s’était engagée.
 
La Grèce bénéficie d’une bouffée d’oxygène qui lui était indispensable. Mais l’accord fourmille d’incertitudes et reste très partiel.
 
Il constitue une avancée limitée pour l’Europe, qui fait un pas vers le fédéralisme en décidant de nouveaux outils de gestion des crises. Mais c’est un pas de plus, dans une série de tous petits pas : cela ne suffira pas à calmer des marchés déchainés, qui vont tester très vite ces nouveaux outils. Et ces nouveaux outils ne sont pas dotés de ressources propres, l’idée d’une taxe sur les institutions financières ayant été abandonnée en cours de route.
 

I - Des avancées fragiles et partielles

 
Le Sommet décide au moins d’avancées sur les trois principaux enjeux de la crise, tels qu’ils pouvaient apparaître à la veille de celui-ci.
 
1. Les Européens allaient-ils s’entendre pour alléger significativement la dette grecque ?
 
2. Les Européens allaient-ils continuer à affirmer que le seul report des échéances de la dette grecque dans le temps, mais sans véritable diminution de son montant, pouvait suffire pour la sortir d’affaire, ou accepteraient-ils de reconnaître que la dette devait être, d’une manière ou d’une autre, allégée, dans le cadre d’un partage du fardeau à définir entre les Etats et les porteurs de dette ?
 
3. Enfin, les Européens allaient-ils en rester aux termes d’un donnant-donnant « plus de rigueur contre plus de solidarité », où allaient-ils ajouter un volet structurel pour favoriser la croissance en Europe ?
 
Sur ces trois enjeux clés, l’analyse des décisions du Sommet laisse beaucoup plus perplexe que ne pourrait le laisser penser la présentation très laudative des communiqués officiels.
 
Sur le premier point, les Européens ont décidé, sans conteste possible, un allègement significatif de la dette grecque. Et c’est une bonne nouvelle. Mais cet allègement se fait au prix d’un défaut partiel : c’est un grand risque.
 
Terra Nova avait alerté il y a plusieurs mois sur le risque d’effet domino de la crise, et sur le fait que la crise à venir de la zone euro se nourrissait fondamentalement des insuffisances des mécanismes de solidarité et d’intégration économique européens. Nous avions aussi souligné les dangers importants d’une restructuration, même partielle, de la dette grecque, sans garanties par les Etats de ses implications sur le système bancaire grec et sans renforcement des mécanismes communautaires. Enfin, nous avions souligné les limites d’un simple rééchelonnement de la dette, au moment où cette piste tenait la corde dans les discussions entre Européens sous la pression de la BCE et de la France.
 
A ce titre, le contenu de l’accord va dans le bon sens.
 
Grâce à l’annonce d’un second plan d’aide massif de 160 milliards, qui s’ajoutera au précédent, les besoins de financement de la Grèce seront réduits de 135 Milliards d’euros d’ici à la fin 2020, selon les calculs de l’Institut de la finance internationale (IIF).
 
L'accord conclu prévoit en parallèle un allongement de la maturité des prêts du Fonds européen de stabilité financière à la Grèce et un net renforcement des capacités du Fonds de soutien européen. Pour la Grèce, les anciens prêts du FESF comme les nouveaux passeront ainsi à 15 ans à un taux compris entre 3,5 % et 4 %. L'Irlande et le Portugal bénéficieront du même traitement.
 
L’accord n’était pas garanti. Le Sommet a réussi à concrétiser un rapprochement des positions entre Etats européens et entre ces derniers et la Banque centrale européenne. En fait, le débat n’était pas tellement entre la France et l’Allemagne, mais d’abord entre l’Allemagne et la BCE, c’est-à-dire entre ceux qui voulaient éviter la « budgétisation » de la dette grecque, sa prise en charge par les autres Etats, et ceux qui voulaient éviter sa « monétisation », c’est-à-dire de devoir reprendre les créances grecques sur le bilan de l’institut d’émission, sauf à laisser s’effondrer les banques grecques. Le compromis, où la France a joué le rôle d’un intermédiaire, est que l’Allemagne obtient la « participation du secteur privé », c’est-à-dire le défaut partiel de l’Etat grec, et la BCE obtient que les autres mécanismes de soutien soient financés par le FESF, c’est-à-dire la dette des autres Etats.
 
Ce qui signifie que l’impact du défaut grec est mitigé par plusieurs dispositions destinées à  « adoucir » les conséquences de cette décision, c’est-à-dire à inciter les investisseurs privés à échanger leur dette ancienne contre une dette reprofilée, et à assurer la liquidité du système financier grec. Les Dix-Sept se sont engagés à prendre des mesures de garantie des obligations grecques, de manière à sécuriser l'alimentation en liquidités des banques grecques, sur la base d’une enveloppe de 35 milliards d'euros. Par ailleurs, les Etats européens réservent une enveloppe pour recapitaliser, le cas échéant, les banques grecques à hauteur de 20 milliards si nécessaire.
 
Reste que la Grèce n’est pas sortie du piège de sa dette, loin s’en faut ! En effet, si la valeur actuelle de la dette grecque est réduite de 21 %, la Grèce, malgré ses efforts, est encore éloignée de près de 4 points de PIB de l’équilibre primaire, alors même qu’une stabilisation de son ratio dette sur PIB supposerait deux points d’excédent primaire, sans même parler ni de réduire la dette, ni de réduire un taux d’endettement qui, rappelons-le, est deux fois et demi supérieur à celui de l’Argentine au début des années 2000. Seul un retour de la croissance économique dans les années à venir, associée à un fort consensus national sur les réformes structurelles, lui permettrait d’assurer la soutenabilité  à moyen terme de la dette restante.
 
Entre temps, il est probable que les attaques sur les pays faibles de la zone Euro se poursuivent. Les dirigeants européens ont beau jeu d’affirmer que le cas grec sera le seul où l’on en appellera à la contribution du secteur privé, en d’autres termes que la Grèce sera le seul pays auquel on laissera faire défaut. On constate néanmoins que pour la première fois depuis 60 ans, une démocratie occidentale fait défaut sur sa dette : défaut limité, certes, avec beaucoup d’aide publique autour, mais défaut tout de même. Quand un investisseur achète une obligation d’Etat à 5 ans, censée être l’actif le plus sûr, il est étonné qu’on lui propose soit d’être remboursé dans trente ans, soit de l’être à 80 %. Même s’il s’agit d’un défaut « propre », comme l’ont fait ces dernières années le Pakistan et l’Uruguay, et non d’un défaut « sale » comme l’Argentine, la comparaison n’est guère rassurante. Même si la Grèce a fait, selon les comptabilités, quatre à cinq défauts depuis deux cent ans, l’événement n’est pas banal, car les investisseurs avaient cru, sans lire les Traités mais en poussant à bout la logique de l’Union, que la dette grecque comportait presque le même risque que la dette allemande.
 
Il ne faudra donc pas s’étonner que le marché réévalue ses risques après cet événement, et cherche à tester les contours exacts de la solidarité européenne. L’Europe n’est donc pas sortie de la crise, loin de là !
 
Ce n’est pas tellement la liquidité immédiate des banques qui est en cause. Les banques grecques seront sous perfusion du budget européen. Les banques européennes et les compagnies d’assurance vont devoir prendre des pertes sur leurs créances grecques, mais elles en ont les moyens, si le défaut se limite à un petit pays.
 
Le vrai risque vient de ce que le défaut grec acte la fin d’un « mythe », celui selon lequel, en Europe tout au moins, un Etat ne pouvait pas faire défaut sur sa dette. Surtout quand il était membre de l’Union.
 
Le défaut grec va donc avoir des conséquences importantes :
 
-         une réévaluation générale du risque des Etats (et des banques, non plus seulement pour leurs propres spéculations, mais parce qu'elles portent des emprunts d'Etat), et donc une hausse des taux d'intérêt.
 
-         un écartement des spreads entre les Etats rigoureux et les autres, et donc des risques accrus de spirales d'endettement chez ces derniers ;
 
-         un changement assez radical de la notion de valeur refuge. Cela fait déjà quelques mois que les marchés obligataires, qui mesurent les risques de chaque créance par les écarts de taux et les primes de CDS, estiment  qu'une obligation Danone (ou Coca cola) est plus sûre qu'un emprunt de l’Etat français (ou américain), ou une obligation marocaine moins risquée qu'une espagnole. Cela va se développer.
 
-         un questionnement des règles prudentielles bancaires : à quoi sert-il de demander aux banques et aux assurances d’accroître leur capital, et de garder ce matelas de sécurité investi en obligations d’Etat, et principalement de leur Etat d'origine, si cela les entraîne dans la faillite ? Ne faut-il pas qu'elles diversifient davantage leur portefeuille obligataire entre diverses signatures peu risquées, des titres d’autres pays, des obligations d’entreprises saines, etc., ce qui posera un problème de financement aux Etats en volume ? Et les stress tests de l’avenir devront mesurer l’impact des défauts d'Etats. Car la régulation mise en place ces dernières années vise à éviter le renouvellement d’une crise de spéculation sur des titres privés, comme en 2008, mais nullement à protéger les systèmes financiers contre les défauts d’Etats.
 
-         une mise à l’épreuve des unions monétaires, dont on sait bien, mais le marché l'avait oublié pendant vingt ans, qu'elles transforment des risques de dévaluation en risques de faillite. Et particulièrement de l’Union monétaire européenne, dont on voit bien qu’elle s’est arrêtée en chemin en transférant la politique monétaire sans fédéraliser a minima les autres instruments de la politique économique.
 
-         enfin, une sanction des marches aux dérapages budgétaires, et aux politiques populistes, beaucoup plus brutale et rapide que par le passé. Dans les années 1980, les gouvernements opéraient sous la contrainte du risque de dévaluation. Cette contrainte extérieure a été entièrement oubliée depuis 20 ans, et on pouvait gérer les budgets français comme ceux d’une grosse collectivité locale, à l’abri de la solvabilité prêtée à l’Union. C’est terminé. Le risque de fermeture du marché de la dette, et de défaut, est la nouvelle forme de la contrainte extérieure.
 
Enfin, troisième enjeu de ce Sommet, les Européens allaient-ils en rester aux termes du nouvel équilibre – très précaire – défini entre la France, l’Allemagne et la Banque centrale européenne sur le donnant-donnant « plus de rigueur contre plus de solidarité » ? Ou allaient-ils prendre conscience que seule une relance concomitante des efforts en faveur de l’intégration européenne, et la poursuite de politiques structurelles communes, pouvaient assurer un remboursement des dettes publiques sur la durée ?
 
Là aussi, le Sommet européen semble afficher un revirement salutaire, avec la décision de réformer le Fonds européen de stabilité financière et d’accélérer le versement des « fonds structurels », et/ou des aides régionales européennes, qui ne sont pas encore consommées par la Grèce. Selon Bruxelles, près de 8 milliards sont mobilisables pour des projets d'infrastructures et aider à la reprise économique du pays. Cette évolution témoigne de la prise de conscience, de la part des pays européens, que la croissance économique était l’instrument le plus sûr et le plus durable de réduction des déficits.
 
Mais là encore, l’avancée n’est qu’apparente. Ainsi de la réforme du FESF. Ce dernier est en train de devenir le « couteau suisse » de l’intégration économique européenne. Il pourra désormais acheter des dettes d’Etat, les garantir, recapitaliser les banques européennes (même si les Etats concernés ne sont pas sous assistance de leurs partenaires), réassurer les titres en défaut remis en pension par les banques grecques, ou même reprendre les engagements de la BCE au titre de ses efforts d'urgence consentis par le passé. Le Fonds de secours européen (FESF) et son successeur à partir de 2013, le Mécanisme permanent de stabilité (MES), gagnent ainsi en compétences. Et surtout, font évoluer leur rôle plus en amont, vers une action plus préventive, en pouvant désormais intervenir avant même qu'un pays ne soit acculé à réclamer un programme d'aides.
 
Si les principes sont là, en réalité, de nombreux problèmes vont très vite apparaître :
 
Sur le mécanisme de décision tout d’abord : l’Allemagne d’Angela Merkel a ainsi obtenu que toute intervention sur les marchés secondaires fasse l’objet d’une décision à l’unanimité des Etats. De quoi fortement limier la portée et la réactivité de ces nouveaux modes d’intervention.
 
L’accord lui-même a besoin d'être ratifié, notamment sur l’extension du rôle du FESF, ce qui peut donner lieu à des situations de crise provoquées par les Parlements des pays du Nord ou le tribunal de Karlsruhe, qui peut à tout moment rappeler que la règle du Traité posait le principe de l’interdiction des « bail out ». On est donc encore loin de la mise en place d’un « Fonds monétaire européen », idée défendue depuis plusieurs mois par Terra Nova[1].
 
Sur les moyens financiers de ces nouvelles interventions ensuite. Les moyens du FESF n’ont pas été augmentés. Son existence même ne repose que sur la contribution de deux grandes économies classées « triple A », la France et l’Allemagne : c’est ce qui lui permet de s’endetter à un taux qui n’est plus que marginalement inférieur à celui auquel il prête à la Grèce. Si la France perd son « triple A », il n’y a plus de FESF, il n’y a plus que l’Allemagne pour sauver les autres. Or, il faudra beaucoup d'argent au FESF pour assumer ses nouvelles responsabilités, si la crise se prolonge au cours des prochains mois en Europe. Les moyens du FESF (440 milliards d’euros) seront en particulier insuffisants si l’Italie ou l’Espagne devaient être sauvées à leur tour.
 
Enfin, l’articulation des nouveaux champs de responsabilité du FESF et de l’action de la Banque centrale européenne reste peu claire. Il demeure beaucoup d'ambiguïté dans les comptes rendus sur la question centrale de la répartition de l'effort entre le FESF, c est-à-dire les Etats, et la Banque centrale européenne : en d’autres termes sur la répartition du traitement de la crise entre budgétisation (« bail out » par les Etats sains) et monétisation (création de monnaie banque centrale). Même si la monétisation est théoriquement interdite par le Traité, elle était une arme de dernier recours utile en quantité modérée, et la BCE s’était engagée prudemment dans cette voie. Si, comme elle a l'air de le faire comprendre, son objectif est plutôt de remettre cette responsabilité, voire les encours actuels, au FESF, la gamme d’instruments pour traiter la crise est en réalité en train de se réduire…
 
 

II - La vraie limite de ce sommet est qu’il ne résout pas le problème de « l’aléa moral » et qu’il ne dégage pas de ressources supplémentaires pour faire face aux crises

 

2. 1 - Une contribution du secteur privé qui pénalise les investisseurs longs et rémunère les spéculateurs

 
L’Allemagne a imposé une participation du secteur privé pour éviter l’aléa moral : si les acheteurs d’obligations grecques bénéficient de taux plus élevés en contrepartie d’un risque plus important de défaut, il faut qu’ils paient si le risque se matérialise.
 
Ils paieront donc environ 20% de la valeur des créances. Les créanciers privés, qui possèdent 150 milliards d'euros d'obligations grecques, participeront à l'allégement de la dette du pays, à concurrence de 54 milliards d'euros d'ici à 2014, mais de 135 milliards d'euros au total d'ici à 2020. Au total, le plan « secteur privé » doit permettre d'alléger la dette de 13,5 milliards d'euros, selon l’IIF, le lobby bancaire qui regroupe près de 400 banques. L'IIF indique que les quatre scénarios aboutiraient à une décote de 21 % sur la valeur actuelle nette calculée.
 
C’est beaucoup pour les investisseurs de long terme qui avaient acheté les dettes grecques avant la crise, en faisant un pari erroné sur l’intégration européenne.
 
Mais pour ceux qui ont acheté de la dette grecque dans les derniers mois, décotée de 40 à 50 % par rapport à sa valeur faciale, c’est une superbe opération spéculative rapportant plus de 50 % de profits en quelques mois. Voire plus pour les hedge funds : car pour que le défaut ne soit que sélectif, il a fallu accepter que la contribution se fasse sur une base volontaire, qui engage les banques et les compagnies d’assurance, mais pas les investisseurs privés marginaux, qui peuvent toujours exiger d’être remboursés au pair, de façon il est vrai incertaine si la durée résiduelle est longue.
 
Ceux-là ont fait un pari gagnant : en prenant en otage le système, ils pariaient que l’Europe ne pouvait pas laisser tomber la Grèce, même si elle est insolvable.
 
Ce défaut coûtera très cher au contribuable européen.
 
Ceci apparaîtra très rapidement au cours des prochains mois. Certes, il ne s’agit pas de dons, mais de prêts à la Grèce. Si la Grèce rembourse, alors le coût direct sur les Etats sera nul. Mais si la Grèce ne réalise pas d’excédent primaire, et parvient tout juste à l’équilibre hors charge de la dette, elle aura d’autant plus intérêt à renier sa dette qu’elle n’aura plus besoin de « new money » et que le système européen aura pris en charge ses banques. Qui donc peut affirmer que le FESF n’aura pas à annuler demain une partie des dettes qu’il aura reprises ? D’autres coûts – indirects – seront supportés par les Européens : celui de l’impact du recours supplémentaire à l’endettement des Etats européens (la France, l’Allemagne et les autres), et celui de la hausse des taux d’intérêt qui résultera du précédent grec.
 
Il n’y avait sans doute pas d’autre moyen d’organiser la restructuration, une fois qu’on avait tant tardé et accepté le principe du défaut. Mais l’addition financière en sera élevée, sans que le message ne soit très clair du coté de l’aléa moral.
 
 

2. 2 - La taxe européenne sur les institutions financières écartée

 
L’idée d’une taxe bancaire européenne avait été évoquée à quelques jours du Conseil européen. Puis écartée. A tort.
 
Une telle taxe aurait tout d’abord permis de mettre le secteur privé davantage à contribution, et ce de manière intelligente, avec une assiette large et un taux modéré. Ce qui aurait permis de les faire payer tout en évitant de créer un phénomène de panique en épargnant les plus fragiles. Elle aurait ainsi permis de réconcilier les positions françaises (qui plaidaient pour la solidarité) et allemandes (qui souhaitaient faire participer le secteur privé).
 
De plus, une telle taxe, première base sur la route de la mise en œuvre d’une fiscalité européenne, aurait été un pas de plus en direction d’une Europe fédérale, et solidaire. On ne peut d’ailleurs qu’être étonné que la mise en place d’un véritable ministre des Finances de l’Union européenne n’ait pas à nouveau été évoquée.
 
 

III - Une occasion manquée pour l’Europe : Quelles propositions pour créer l’Europe économique et solidaire de demain ?

 
Face aux marchés financiers, il est nécessaire de retrouver la vertu de la décision politique.
 

1. D’abord en rappelant que cette crise n’est pas fondamentalement une crise de l’Europe ni de la zone Euro en tant que telle mais une crise de la dette publique occidentale, qui commence par l’Europe en tant que domino le plus faible, du fait de ses défaillances de gouvernance.

 
Ce n’est pas l’euro qui est en crise, c’est la solvabilité de ses Etats les plus faibles. L’euro est d’une extraordinaire stabilité malgré l’agitation, il est même un peu trop fort : il n’a baissé que de 10% au pic de la crise, à comparer au yoyo du franc/dollar dans les années 1980 : +150 % (de 4 à 10 francs pour un dollar).Ceci est dû à la profondeur de la masse monétaire euro ; par ailleurs, les deux tiers de notre commerce extérieur est intra européen donc totalement immunisé… Il n’y a aucun risque économique ou de marché sur l’euro, même un défaut grec ne changera rien : le seul risque est politique, qui serait incarné par exemple par un gouvernement populiste qui sortirait de l’euro ;
 
 La crise de solvabilité n’est pas non plus spécifique à la zone euro. Il s’agit d’une crise de la dette publique occidentale, comme le montrent les Etats-Unis (120 % de dette consolidée, comme la Grèce l’an dernier et avec un trend de dégradation tout aussi rapide), Japon (200 %), Canada (90 % en consolidé). Si la crise systémique se déclenche, elle emportera tout l’Occident. Les causes sont d’ailleurs identiques : avoir tenté de doper artificiellement le niveau de vie collectif alors que la productivité s’est affaissée depuis trente ans. C’est une nouvelle manifestation du réajustement brutal du monde au détriment de l’Occident. Mais au regard de cette crise globale, les niveaux d’endettement globaux de la zone euro se comparent favorablement à ceux des autres grands Etats d’Occident. Si nous étions intégrés, nous ne serions pas en première ligne.
 
La crise de la dette publique occidentale ne commence en Europe que parce que la résistance des Etats européens n’est pas mesurée par rapport à l’ensemble, mais par rapport aux maillons les plus faibles de la chaîne. La zone euro est le domino le plus faible, du fait de ses défaillances de gouvernance.
 
La réponse est donc politique : nous ne sommes pas attaqués parce que nous sommes trop faibles, mais parce que nous ne sommes pas assez unis.
 

2. Dès lors, pour sortir pleinement du piège de la dette en Europe, il nous faut, sans tarder, aller plus loin dans l’intégration européenne, seule et unique condition de notre crédibilité commune :

 
D’abord, par la mise en place d’une gouvernance économique renforcée passant par la création d’un ministre des Finances et une plus forte intégration des politiques budgétaires et fiscales européennes.
 
Ensuite, par le respect des engagements communs de maîtrise budgétaire. La dette prend les Etats en otage et cela n’est plus acceptable. Le désendettement, c’est aussi remettre en cause les politiques de défiscalisation massive de certains revenus dans les dernières années qui ne trouvent pas de justification économique et ont accru les déficits partout en Europe. Si l’Europe était plus intégrée, nous n’aurions pas pu réduire le taux de TVA dans les cafés-restaurants. Dans le domaine de la discipline financière, le renforcement du pacte de stabilité (élargissement des critères du pacte) associé à un approfondissement de la gouvernance économique européenne à de nouveaux critères (comme le niveau de l’endettement privé) et complété par une plus grande harmonisation fiscale sont indispensables pour l’avenir de la zone euro.
 
Ce n’est qu’en contrepartie de ces engagements de convergence budgétaire que les Etats les plus solides pourront accepter une plus grande solidarité financière, c’est-à-dire une mutualisation partielle de l’endettement, une conversion partielle des dettes nationales en dettes européennes et/ou l’émission d’eurobonds. Et il est beaucoup moins coûteux pour les peuples, en efforts d’austérité, de le faire « à froid », en traçant un chemin progressif et crédible de retour aux équilibres, que dans l’urgence d’une crise financière.
 
Une politique budgétaire plus intégrée, mais aussi une gamme plus large d’instruments de la politique monétaire. La Banque centrale européenne est indépendante, et elle doit le rester. Mais son indépendance est devenue crédible, et n’a donc plus besoin de s’appuyer sur une limitation de ses capacités d’intervention. En particulier, si elle estime de façon indépendante qu’elle doit recourir exceptionnellement à l’achat direct d’obligations d’Etat, parce que l’avantage pour la stabilité financière est à un moment donné supérieur au risque pour l’inflation, elle doit pouvoir le faire. La FED le fait. La BCE l’a fait un peu aussi. Accordons donc le Traité à la pratique.
 
Ensuite, nous devons poser les bases d’une politique de croissance européenne :
 
Il faut sortir d’une logique idéologique et punitive pour assurer une réelle convergence des économies de la zone euro.
 
Les pays en difficulté ne pourront sortir de la spirale de l’endettement sans croissance, même en se voyant imposer les plans d’austérité les plus durs. Le « plan Marshall » annoncé pour la Grèce est à cet égard une avancée. Reste à la concrétiser, et cela ne pourra se faire sans un bond en avant dans l’intégration économique et budgétaire européenne. Les dirigeants français et allemands actuels sont-ils aujourd’hui prêts à réellement s’engager dans cette voie ?
 
Enfin, nous devons aller beaucoup plus loin dans la communautarisation de la régulation financière. Si l’accord trouvé en 2010 entre le Parlement européen et le Conseil a fait avancer l’Europe en la dotant enfin d’un système de supervision commun indispensable pour réguler un marché financier intégré, en donnant notamment à l’Autorité européenne des marchés financiers (ESMA) le pouvoir d’interdire certains produits financiers si ceux-ci font peser un risque sur la stabilité financière, ces agences n’ont pas été dotées d’un véritable pouvoir de supervision directe sur les principales banques européennes.
 
Or, il ne faut pas oublier que les crises souveraines ne viennent pas toutes de l’impécuniosité de l’Etat. L’Irlande et l’Espagne sont au contraire des exemples de pays dont les finances publiques apparaissaient saines, mais dont la solvabilité a été mise en cause par la croissance débridée de l’endettement privé. Etendre le contrôle de la Banque centrale européenne sur les banques nationales, et le pouvoir des agences dans les futures législations financières, notamment sur les produits dérivés, est un enjeu majeur. De même que la régulation des agences de notation privées auxquelles on laissera faire la pluie et le beau temps sur les marchés financiers tant que l’ensemble des dettes européennes n’aura pas été mutualisé.
 
L’euro est à un carrefour de son histoire et la crise va tester la volonté politique des dirigeants européens. Ce n’est qu’en imposant plus d’Europe, plus vite, que nous aurons une chance de dompter la spéculation financière, en forçant les marchés à voir l’Europe pour ce qu’elle est : la zone du monde dont les finances sont les plus saines, la régulation la plus stable, et la démocratie la mieux établie.


[1] Voir par exemple Julia Cagé et Thomas Chalumeau, « Crise de la dette : comment sauver la zone euro ? », 6 décembre 2010. http://www.tnova.fr/note/crise-de-la-dette-comment-sauver-la-zone-euro
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