TOUT EST DIT

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dimanche 3 juillet 2011

Colonel Chabert

Il était colonel de la Grande Armée, disparu à Eylau, réapparaissant dix ans plus tard à Paris, pour trouver son épouse remariée, ses biens accaparés et sa vérité effacée. Il s’appelait Chabert, héros balzacien, et il finit ses jours en reclus, ressuscité indésirable d’être mort trop longtemps.
Chabert avait perdu dix ans, Dominique Strauss-Kahn n’aura connu que six semaines d’enfer : mais six semaines, de nos jours, semblent valoir l’éternité. Rendu à la vie par la justice américaine, il perturbe déjà des camarades, inquiets qu’il puisse réclamer ce qui devait être sa place : la première. Ces "pas touche au calendrier de la primaire" sont mesquins et paradoxaux : alors que Martine Aubry a été une amie fidèle et attentive des Strauss-Kahn, ce sont ses partisans qui cadenassent la primaire : l’amie est aussi la remplaçante, et la politique ne rend pas gentil.

Cette histoire est stupide et logique à la fois. Stupide parce que précipitée : nul ne sait ce que voudra Dominique Strauss-Kahn totalement blanchi. Nul ne sait ce qu’il pensera, de lui-même et de nous et de nos bavardages, et des déballages crapoteux que sa tragédie a provoqués. Quelles seront chez lui les parts de la revanche et de la fatigue, de la force et du dégoût, de l’envie de tout reprendre et de la conscience de la vanité? En attendant, nous l’instrumentalisons à nos feuilletons et nos désirs. 
Ou à nos besoins?

C’est l’autre aspect du problème : le 28 juin dernier, deux jours avant son sauvetage, Dominique Strauss-Kahn avait vu le vieux monde poursuivre sa route sans lui ; le même jour, Christine Lagarde le remplaçait au FMI, Martine Aubry à la primaire, et la crise grecque atteignait le climax. Laissons ici Lagarde à sa chance. Mais restons sur Aubry, entrée en campagne dans un discours d’une gauche toute d’opposition et résolument gauloise, et ne trouvant pas un mot pour analyser l’austérité imposée au peuple grec par un gouvernement socialiste, lui-même contraint par l’Europe, elle-même tenue par la peur de l’effet domino de la faillite grecque.

C’est ici que Strauss-Kahn manquait, au-delà de la tragédie. En dépit de l’amitié et de tous les pactes, il était radicalement différent de Martine Aubry : à gauche, le seul homme d’État capable de rendre la France au monde ; ou au moins, le seul capable de structurer un projet politique sur les questions internationales et européennes. DSK disparu, la campagne socialiste était rentrée dans une bulle tricolore. DSK libre à nouveau, sa différence revient, et elle réveille l’envie d’ailleurs. Instantanément, en dépit de lui-même, et quoi qu’il en pense. Ce qu’il en fera lui appartient, et rien ne pourra contraindre un homme qui a failli se faire voler sa vie. Mais DSK le sait, et tous les socialistes : Chabert, ici, est un sujet politique.

Dérive médiatique

Tout accusé est présumé innocent. Ce fondement de la justice des hommes a été largement bafoué depuis le samedi 14 mai, jour où Dominique Strauss-Kahn a été jeté à la fois en prison et en pâture publique. Six semaines après, on ne sait pas si coupable il y a. Et comme aux États-Unis, le demi-mensonge n’est pas recevable, la "victime" est devenue plus que suspecte.

Pendant six semaines, la vie de DSK a été fouillée dans ses moindres recoins. Les médias du monde entier ont répondu avec précipitation à la curiosité de leur public, comme en témoignent les chiffres d’audience des journaux, radios, télévisions et sites Internet. Cette affaire est venue comme en point d’orgue de six mois vertigineux où l’histoire s’est écrite en direct : les révoltes arabes avec la chute de Ben Ali et de Moubarak, le tsunami japonais et l’accident nucléaire de Fukushima, la guerre en Libye, la mort de Ben Laden.
L’affaire DSK a permis d’éclairer et de poser des questions sur nos mœurs. Peut-être même de les faire évoluer. Celles des hommes publics et les abus que permettent leurs fonctions. Les rapports des hommes et des femmes dans nos sociétés, couverts par des décennies, voire des siècles de non-dits et de pratiques humiliantes.

En même temps, les médias s’emballent dans des prurits successifs. Un emballement accentué par une concurrence violente et une redistribution des rôles entre Internet, téléphone, télévision et presse écrite. À nous de rester fidèles aux faits et de respecter les personnes. À nous de ne pas tirer nos médias vers le bas même quand le public semble le demander. Et de garder le droit de dire simplement : nous ne savons pas.

Pourquoi DSK ne sera jamais jugé

Le très virulent procureur Cyrus Vance Jr se retrouve piégé par les mensonges de la femme de chambre du Sofitel. Un procès ne pourrait que virer au fiasco pour lui. Mieux vaut se résoudre au non-lieu. 
Même Kenneth Thompson, l’avocat de Nafissatou Diallo, n’y croit plus. "Nous pensons que le procureur du district pose les fondements d’un non-lieu", a déclaré vendredi à la presse la star du barreau. Autrement dit, il n’y aura sans doute jamais de procès de Dominique Strauss-Kahn. Certes, la justice de New York maintien, à l’heure qu’il est, ses accusations contre l’ancien patron du FMI. Certes, Thompson tente toujours de soutenir sa cliente, répétant que celle-ci a bien été violée, donnant même des détails, très  crus, sur l’agression supposée : le ligament de l’épaule froissé, les seins empoignés, le vagin écorché, des bas arrachés…
Mais en dévoilant ces blessures, Thompson montre qu’il mise, lui aussi, sur une issue très rapide du procès pénal. "Son agressivité a pour but de faire peur à DSK, décrypte Ron Soffer, avocat inscrit au bureau de New York et de Paris. Il veut faire croire qu’il peut toujours engager des poursuites au civil. Il essaie aussi sans doute de préparer un arrangement financier secret avec la défense. Même si Strauss-Kahn est innocenté pénalement, il n’aura pas très envie de revenir dans six mois s’expliquer devant un tribunal sur l’épisode de la suite 2806".

L’abandon pur et simple des poursuites?

De l’avis général ou presque, DSK ne sera donc jamais jugé pour viol. Aux mesures décidées vendredi (caution rendue, bracelet électronique ôté mais passeport conservé),  devrait bientôt succéder une autre, bien plus symbolique: le non-lieu. "Beaucoup de chapitres de cette affaire extraordinaire restent à écrire, mais si les poursuites sont abandonnées, cela montrera que la justice fonctionne, estime l’ancien procureur Jacob Frenkel, chargé de délits de droit commun à La Nouvelle-Orléans. Il vaut mieux ne pas poursuivre un dossier insuffisamment solide que de condamner un innocent". Spécialiste des questions de justice sur la chaîne d’information continue CNN, l’ancien procureur adjoint Jeffrey Toobin ajoute : "Je crois qu’à ce stade, cette affaire va se terminer par un non-lieu. Il est difficile d’imaginer un procès où le témoin principal apparaît comme une fieffée menteuse. Je n’ai jamais vu une chose pareille, cette journée est l’une des plus extraordinaires de l’histoire de la justice criminelle des États-Unis".
Quand bien même Nafissatou Diallo aurait dit la vérité sur la seule agression sexuelle, comment imaginer, vu les derniers coups de théâtre, qu’un jury condamnerait Dominique Strauss-Kahn? "S’il y a procès, cette femme sera réduite en charpie lors des contre-interrogatoires", prédit Jacob Frenkel. L’accusation a désormais trois choix : continuer les poursuites avec une forte probabilité de perdre un procès où le jury ne sera jamais unanime ; poursuivre l’affaire en réduisant l’importance des chefs d’inculpation ; abandonner purement et simplement les poursuites. Aux yeux de tous, cette dernière hypothèse s’impose désormais. Pour l’accusation, la crédibilité du témoin est un effet la clé de voûte de la procédure. "Le travail de l’accusation est de présenter au tribunal un dossier dans lequel la culpabilité de l’inculpé est probable, sans doute raisonnable", raconte Ron Soffer. "Là, on est très loin du compte".
Le procureur a d’ailleurs déjà officiellement reconnu ses erreurs. Car, fait paradoxal, ce ne sont pas les dizaines de détectives privés recrutés par la défense qui ont apporté les éléments accablants pour l’accusatrice mais bel et bien le procureur lui-même. Après avoir défendu avec force pendant plus d’un mois le récit "crédible" de la victime  présumée, Cyrus Vance Jr. a ainsi dû communiquer à la défense des éléments d’enquête pouvant se révéler disculpatoires, comme l’y oblige la loi américaine.

"Il n’y a pas eu d’enquête suffisante"

Vendredi à l’issue de l’audience, le visage fermé et le teint blanc, il a reconnu devant les journalistes que si les preuves matérielles (ADN et vidéos) ne remettaient pas en cause le rapport sexuel entre l’ex-directeur du FMI et la femme de chambre du Sofitel, la parole de l’accusatrice n’était plus "crédible". Élu avec 91% des voix, le procureur est désormais dans l’oeil du cyclone. Plusieurs experts estiment que l’arrestation de DSK, le 14mai, est survenue trop rapidement après les faits. "Il n’y a donc pas eu d’enquête  suffisante, c’est inhabituel mais c’était dû au fait que Dominique Strauss-Kahn allait quitter le pays, il fallait agir vite", souligne l’un d’entre eux. Cela dit, le procureur Cyrus Vance aurait dû, de l’avis général, se dispenser de déclarer à la presse, comme il l’a fait, qu’il existait des preuves très sérieuses étayant les faits. "Il a tiré des conclusions trop rapides, il s’est laissé emporter par la frénésie médiatique", estime Jacob Frenkel.
"Tout ceci n’est pas bon pour le procureur Cyrus Vance, reconnaît le juriste Alex Reinert. Son bureau a déjà perdu récemment dans une affaire de viol présumé d’une femme par deux policiers qui ont été innocentés. Cette nouvelle affaire était très importante pour sa carrière et il ne peut pas se permettre de la perdre". Conclusion : mieux vaut abandonner les poursuites que de risquer une Berezina devant le tribunal. Certains spécialistes, comme l’avocat et ancien procureur de la Sex Crime Unit (l’unité chargée de
l’enquête dans l’affaire DSK) Matthew Galluzzo, imaginent désormais un non-lieu qui pourrait être prononcé avant même la prochaine audience, prévue le 18 juillet. Ensuite, une fois blanchi, Strauss-Kahn pourrait contre-attaquer, se retourner contre la ville de New York et lui intenter un procès en dommages et intérêts. L’ultime chapitre d’une affaire judiciaire folle et unique dans l’histoire.

Amartya Sen : "L'euro fait tomber l'Europe"

Quand, en 1941, Altiero Spinelli, Eugenio Colorni et Ernesto Rossi signèrent le fameux Manifeste de Ventotene, ils appelaient à une "Europe libre et unie". La déclaration de Milan qui suivit en 1943, fondant le Mouvement fédéraliste européen, réaffirma cet engagement pour une Europe unie et démocratique. Tout cela s'inscrivait dans le prolongement naturel de la quête démocratique de l'Europe inaugurée par le mouvement européen des Lumières, qui, à son tour, inspira le monde entier.

C'est pourquoi il est très affligeant que l'on soit aussi peu inquiet du danger qui menace aujourd'hui le régime démocratique de l'Europe, lequel se manifeste insidieusement par la priorité accordée aux impératifs financiers. La tradition du débat public démocratique est sapée par le pouvoir incontrôlé que détiennent les agences de notation qui de facto dictent aux gouvernements démocratiques leurs programmes, souvent avec le soutien d'institutions financières internationales.
Il convient ici de distinguer deux enjeux différents. Le premier concerne ce que le journaliste et économiste Walter Bagehot (1826-1877) et le philosophe John Stuart Mill (1806-1873) considéraient comme la nécessité d'un "gouvernement par le débat". Tant que les gardiens de la finance entretiennent une vision réaliste des actions qui s'imposent, l'espace public démocratique doit leur prêter l'oreille la plus attentive. C'est important !
Mais cela ne signifie pas qu'on doive leur accorder le pouvoir suprême ni qu'ils puissent dicter leur loi à des gouvernements démocratiquement élus, sans que l'Europe exerce aucune résistance organisée. Le pouvoir des agences de notation ne peut être contenu et encadré que par des personnalités politiques exerçant un pouvoir exécutif au niveau européen. Or pour l'heure, un tel pouvoir n'existe pas.
Deuxième point, on voit mal en quoi les sacrifices imposés par ces chevaliers de la finance à des pays en difficulté constituent le remède décisif pour assurer la pérennité à long terme de leur économie, ni même que ces sacrifices soient en mesure de garantir celle de la zone euro dans le cadre non réformé d'un système financier intégré et d'un club de la monnaie unique à la composition inchangée.
Le diagnostic des problèmes économiques tel que l'établissent les agences de notation n'a en rien le statut de vérité absolue, contrairement à ce que ces dernières prétendent. Pour mémoire, le travail de certification des établissements financiers et des entreprises accomplis par ces agences avant la crise économique de 2008 était si lamentable que le Congrès américain a envisagé d'engager des poursuites contre elles.
Puisque désormais une grande partie de l'Europe s'efforce de juguler au plus vite les déficits publics par le biais de coupes claires dans les dépenses publiques, il est essentiel d'étudier avec réalisme quelles seront les répercussions des mesures adoptées dans ce but, tant sur le quotidien des gens que sur la création de recettes publiques par la croissance économique. Ce qui manque à l'heure actuelle, outre un projet politique plus ambitieux, c'est une réflexion économique plus développée sur les effets et l'efficacité de cette stratégie de réduction maximale des déficits dans "le sang, la sueur et les larmes".
La noble morale du "sacrifice" a incontestablement des effets grisants. C'est la philosophie du corset "ajusté" : "Si madame est à l'aise dans celui-ci, c'est certainement qu'il faut à madame la taille en dessous." Mais si les appels à la rigueur financière se traduisent trop mécaniquement par des compressions brutales et drastiques, on risque non seulement d'imposer plus de privations que nécessaire, mais aussi de tuer la poule aux oeufs d'or de la croissance.
Cette tendance à ignorer le rôle de la croissance dans la production de recettes publiques devrait faire partie des premiers sujets à passer au crible de la réflexion critique et ce, de la Grande-Bretagne à la Grèce.
En Grande-Bretagne, il faudrait ainsi s'interroger sur la pertinence des mesures initiées par le gouvernement (sans que le débat public ait été vraiment encouragé, d'ailleurs), tandis qu'en Grèce, ce sont des mesures imposées de l'extérieur qui sont mises en cause, dans un pays dont les marges de manoeuvre pour contester les injonctions des caïds de la finance sont des plus minimes.
Ces réductions budgétaires poussées à leur maximum risquent de diminuer les dépenses publiques autant que les investissements privés. Si cela se traduit également par une réduction des stimuli de croissance, les recettes publiques pourraient, elles aussi, chuter douloureusement.
Le lien qui unit croissance et recettes publiques a été amplement observé dans de nombreux pays, de la Chine au Brésil en passant par les Etats-Unis et l'Inde. Là encore, des leçons sont à tirer de l'Histoire. De nombreux pays affichaient à la fin de la seconde guerre mondiale une lourde et préoccupante dette publique ; mais une croissance économique soutenue a permis d'alléger rapidement ce fardeau. De même, les déficits colossaux que trouva Bill Clinton à son entrée en fonctions en 1992 fondirent sous sa présidence sous l'effet, en grande partie, de la rapidité de la croissance.
Comment certains pays de la zone euro se sont-ils retrouvés dans une situation aussi calamiteuse ? La décision saugrenue d'adopter une monnaie unique, l'euro, sans plus d'intégration politique et économique a certainement joué son rôle dans cette crise, au-delà même des irrégularités financières commises par des pays comme la Grèce ou le Portugal (au-delà, également, de cette culture de "l'excès d'honneur" qu'a soulignée à juste titre l'ancien commissaire européen Mario Monti, et qui dans l'Union européenne permet à ces irrégularités d'être commises impunément).
A leur décharge, le gouvernement grec, et en particulier son premier ministre Georges Papandréou, font tout ce qu'ils peuvent envers et contre les résistances politiques, et il faut aussi saluer leurs efforts pour sortir la Grèce de cette culture de la corruption qui gangrène les entreprises et les relations économiques.
Cependant, ni les bénéfices à long terme des profondes réformes entreprises par la Grèce ni la bonne volonté douloureuse d'Athènes de satisfaire aux exigences des gardiens de la finance internationale ne dispensent l'Europe de s'interroger sur la pertinence des conditions - et du calendrier - imposés à la Grèce.
Aujourd'hui, l'austérité présente aux yeux des financiers des attraits de court terme ; mais il n'est pas certain du tout que ces gardiens perçoivent avec netteté comment la Grèce pourra renouer avec la croissance, quand pour l'heure elle connaît une récession plutôt brutale. Outre le freinage de l'économie induit par ces énormes compressions budgétaires menées dans le but de maintenir à tout prix l'appartenance de la Grèce à la zone euro, les caractéristiques mêmes de l'euro tiennent les biens et services grecs à des prix élevés et souvent non compétitifs sur les marchés internationaux.
C'est pour moi une piètre consolation de rappeler que j'étais fermement opposé à l'euro, tout en étant très favorable à l'unité européenne pour les raisons qu'Altiero Spinelli avait soulignées avec tant de force. Mon inquiétude venait notamment du fait que chaque pays renonçait ainsi à décider librement de sa politique monétaire et des réévaluations des taux de change, toutes choses qui, par le passé, ont été d'un grand secours pour les pays en difficulté. Cela permettait de ne pas déstabiliser excessivement le quotidien des populations au nom d'une volonté acharnée de stabilisation des marchés financiers. Certes on peut renoncer à l'indépendance monétaire, mais quand il y a par ailleurs intégration politique et budgétaire, comme c'est le cas pour les Etats américains.
La formidable idée d'une Europe unie et démocratique a changé au fil du temps et l'on a fait passer au second plan la politique démocratique pour promouvoir une fidélité absolue à un programme d'intégration financière incohérente. Repenser la zone euro soulèverait de nombreux problèmes, mais les questions épineuses méritent d'être intelligemment discutées (l'Europe doit s'engager démocratiquement à le faire) en prenant en compte de façon réaliste et concrète le contexte différent propre à chaque pays.
Dériver au gré des vents financiers que souffle une pensée économique obtuse et entachée de graves lacunes, souvent proférée par des agences affichant de piteux résultats en termes d'anticipation et de diagnostic, est bien la dernière chose dont l'Europe ait besoin.
Il faut enrayer la marginalisation de la tradition démocratique européenne : c'est une nécessité impérieuse. On ne l'exagérera jamais assez.

Grèce: l'opposition refusera 1 autre aide

Nouvelle Démocratie, principal parti d'opposition grec, a annoncé samedi qu'elle voterait contre un second plan de sauvetage, sauf si le gouvernement de George Papandréou change de politique économique.

"Nous voterons contre (le nouveau plan de sauvetage), s'ils ne changent pas de politique économique", a déclaré Antonis Samaras, chef de file du parti conservateur de la Nouvelle démocratie dans une interview à l'hebdomadaire Real News.

"Nous voulons annihiler le déficit. Nous ne voulons pas que le peuple grec, que les classes moyennes grecques et les familles grecques se retrouvent à genoux", a-t-il ajouté. La Nouvelle démocratie a voté contre le plan d'austérité cette semaine. La seule mesure soutenue par le parti d'opposition est le vaste plan de privatisations censé rapporter à l'Etat 50 milliards d'euros sur cinq ans.

Samaras a également appelé à la tenue d'élections anticipées. "Nous avons besoin de trois choses: un plan B, un gouvernement différent qui aurait la crédibilité de l'appliquer et une transition en douceur du plan initial qui a échoué au plan B", a-t-il déclaré.

La Grèce a accumulé au fil des ans une dette souveraine de 340 milliards d'euros, l'équivalent de 150% de sa richesse nationale et de 30.000 euros par habitant.
Après le premier plan d'assistance de 110 milliards d'euros lancé l'an dernier, Athènes avait notamment généralisé la retraite à 65 ans, gelé les pensions de retraite et les traitements des fonctionnaires et relevé la TVA de deux points, à 23%.

Pour Juncker, la Grèce devra se résoudre à perdre une grande partie de sa souveraineté

Après le déblocage d'une nouvelle tranche d'aide internationale de 12 milliards d'euros pour la Grèce au cours du week-end, le président de l'Eurogroupe, Jean-Claude Juncker, a prédit que le pays sera confronté à de sévères limitations de sa souveraineté, comparant la situation d'Athènes à celle de l'Allemagne de l'Est après la réunification.
Dans un entretien publié dimanche dans le magazine allemand Focus, M. Juncker explique que "la souveraineté de la Grèce sera énormément restreinte" en raison de "la vague de privatisations à venir" d'un montant de 50 milliards d'euros. "Il serait inacceptable d'insulter les Grecs mais il faut les aider. Ils ont dit qu'ils étaient disposés à accepter le savoir faire de la zone euro", a observé Jean-Claude Juncker.

Dans le cadre des mesures d'aide financière de la part de l'UE et du FMI, le Parlement grec a notamment voté la création d'une agence de privatisation. Cette agence, pilotée par des experts européens, sera fondée, selon les dires de M. Juncker, "sur le modèle de la 'Treuhand' allemande", cet organisme qui avait vendu 14 000 firmes est-allemandes de 1990 à 1994. Des privatisations qui doivent commencer "immédiatement", selon le ministre des finances allemand, Wolfgang Schauble.
"LES SALAIRES ONT AUGMENTÉ DE 106,6 % EN 10 ANS"
La Treuhand était censée revendre les actifs publics en faisant un bénéfice mais elle a clôturé ses comptes sur un énorme déficit de 270 milliards de marks (172 milliards de dollars ou 118,4 milliards d'euros). Quatre millions d'Allemands étaient salariés des entreprises passées dans le giron de la Treuhand en 1990. Seulement 1,5 million d'emplois demeuraient lorsque l'agence ferma en 1994.
Dans les colonnes de Focus, Jean-Claude Juncker souligne néanmoins que la Grèce est pour une bonne part responsable de sa crise. "De 1999 à 2010, les salaires ont augmenté de 106,6 % alors même que l'économie ne se développait pas au même rythme. La politique des revenus était totalement hors de contrôle et ne reposait en rien sur [les gains de] productivité".
Désormais, l'Eurogroupe envisage un second plan d'aide à la Grèce, dont les grandes lignes ont été discutées samedi. Le secteur financier, par la voix de l'Institut de la Finance internationale (IIF), a fait savoir qu'il était prêt à s'engager dans un effort "volontaire, coopératif, transparent et large" pour soutenir la Grèce, via un "rollover" de la dette grecque. M. Juncker s'est dit convaincu que les mesures prises pour aider la Grèce "résoudrait la question grecque".

EN BREF




Tous au régime sec

Público, 1 juillet 2011
"Vague de rigueur sociale en Europe", titre le quotidien Público, en allusion aux "nouveaux plans d'austérité qui rognent les avancées de l'Etat-providence sur le chemin du redressement des finances publiques" approuvés par les gouvernements européens ces derniers jours. Aux protestations en Grèce après le vote du nouveau plan d'austérité s'ajoutent la grève des fonctionnairess contre la réforme des retraites au Royaume-Uni, tandis qu'au Portugal, la prime extraordinaire de Nöel sera réduite de moitié pour ceux qui gagnent plus…que le salaire minimum et qu'en Italie, Silvio Berlusconi pénalise les couches les moins favorisées avec sa réforme de l'impôt sur le revenu, remarque Público. "Même la Commission européenne devra se serrer la ceinture", ajoute le quotidien de gauche, avec une réduction de 5% du nombre des fonctionnaires ou le passage de l'âge de la retraite de 63 à 65 ans. "L'hymne officiel européen, arrangement de l'Ode à la joie de Beethoven, commence à ressembler à la Marche funèbre de Chopin", conclut Público.




Aide la Grèce et la Grèce t’aidera

Handelsblatt, 1 juillet 2011
Après les banques françaises, les allemandes ont accepté de consacrer 3,2 milliards d'euros pour acheter des obligations grecques à l'échéance des obligations actuelles. Un geste pour le sauvetage de la Grèce qui est aussi un "autosauvetage", considère le Handelsblatt. Ces 3,2 milliards d’euros représentent la somme que les banques allemandes vont gagner d’ici à 2014 avec les obligations grecques qu'elle détiennent actuellement et qu’elles veulent réinvestir en Grèce. Ainsi, elles empêchent "une défaillance totale du remboursement de ces obligations" et s'assurent que les intérêts seront bien payés par Athènes. Pour Handelsblatt, "ce modèle attractif pour les banques n’aide pas vraiment la Grèce", car il ne fait que retarder le règlement des problèmes.


Lacrymogènes de rigueur

Eleftherotypia, 30 juin 2011
Pendant que les députés grecs votaient en faveur du plan de rigueur présenté par le gouvernement, "la place Syntagma était en ébullition", raconte Eleftherotypia, qui évoque en Une la "colère contre le terrorisme de l'Etat". Car "effrayés par la foule des manifestants, les policiers ont lancé des gaz lacrymogènes, transformant la place en champ de guerre", déplore le quotidien de gauche. "Bilan : plus de 100 blessés et une station de métro transformée en salle de premiers secours. L'image est triste et rappelle celle des émeutes de décembre 2008. Mais, cette fois, à l'exception d'environ 200 casseurs, les manifestants n'étaient pas des semeurs de troubles. Ils veulent exprimer leur colère et vont continuer à se mobiliser."
De son côté, Kathimerini voit dans le vote du Parlement "un soulagement financier sur fond de violence".  "Le message est passé en Europe, la Grèce se lance dans une nouvelle cure d'austérité, malgré la violence dans les rues", se félicite le quotidien de centre droit. "Les Européens se sont relayés pour parler de 'bonne nouvelle' pour la Grèce. Ils assurent ainsi le versement de la cinquième tranche du prêt de 110 milliards d'euros, soit 12 milliards. L'espoir d'un nouveau prêt est également relancé."

Un objectif stratégique pour les peuples d'Europe, battre la spéculation contre l'euro !

Voici enfin un objectif stratégique pour le peuple européen, ce peuple présenté comme divisé, malmené par les médias internationaux, faiblement représenté sur la scène mondiale, ce peuple qui doute de son avenir économique ; voici donc qu'on peut lui proposer un objectif stratégique : battre la spéculation internationale qui cherche à détruire sa monnaie.

La création de l'euro a été une grande avancée pour l'Europe et un succès sur le plan international. Un des plus grands marchés de consommation dans le monde n'aurait pas pu fonctionner avec une quinzaine de monnaies flottant entre elles. La crise actuelle, provoquant une cascade de dévaluations compétitives, aurait disloqué le système et infligé des secousses graves aux entreprises. Les Européens auraient découvert l'angoisse de vivre dans un champ de ruines monétaires.

Sur le plan technique, cette création de l'euro a été un succès. En une décennie, l'euro est passé devant le yen, la livre sterling et le franc suisse, pour devenir la deuxième monnaie d'usage mondial, après le dollar. Mais, dès sa naissance, l'euro a fait l'objet de critiques de la part d'une grande partie du système financier anglo-saxon, notamment celui qui est concentré à New York. L'argumentation était simple : vous ne réussirez pas à créer l'euro et, si vous le faites, par la suite, vous échouerez ! Ce raisonnement a été tenu par Alan Greenspan, quelques années avant que la calamiteuse gestion monétaire ait assuré la déconfiture d'une bonne partie du système bancaire américain.

Aujourd'hui, il ne s'agit plus de critiques, mais d'attaques délibérées contre l'euro. Celles-ci ne proviennent pas des gouvernements, mais des opérateurs spéculatifs. Ces derniers, qui disposent encore d'une masse abondante de liquidités, à New York comme à Londres, évaluée à plus de 4 trillions d'euros, ne cherchent pas à les investir de façon durable dans des entreprises, à la manière des fonds souverains chinois et arabes, mais à réaliser des profits à court terme, en pianotant sur les ordinateurs des marchés.

Ils ont choisi pour cible spéculative la dislocation de l'euro. Il est vrai que certains petits pays de la zone euro ont conduit des gestions budgétaires irresponsables, aggravées par la crise. Mais l'objet de la spéculation n'est pas seulement de tirer profit de ces fautes de gestion : c'est, au-delà, de s'attaquer au système monétaire lui-même.

On peut en voir la preuve dans deux indices. Le premier, c'est que la spéculation semble suivre une piste, comme un fauve reniflant le sang, passant successivement d'un pays de la zone euro au suivant : Grèce, Irlande, Portugal, tout en louchant du côté de l'Espagne. Le second indice est que la spéculation ne s'intéresse pas à la Grande-Bretagne, ce dont je me réjouis, bien que son déficit budgétaire soit supérieur (10,5% du PIB) à la moyenne des déficits de la zone euro, pour la seule raison que ce pays n'appartient pas à cette zone.

Ainsi, la spéculation new-yorkaise attaque la monnaie européenne. La réponse doit être sans pitié : les Européens doivent défendre leur monnaie et battre la spéculation.

Les dirigeants de l'euro-Europe, en particulier Angela Merkel et Nicolas Sarkozy à Fribourg, ainsi que le gouverneur de la Banque d'Italie, Mario Braghi, ont fait à ce sujet d'excellentes déclarations.

La stratégie victorieuse comporte deux aspects. Le premier est psychologique : il consiste à affirmer que l'euro n'est pas en danger. Une monnaie flottante qui s'appuie notamment sur les économies allemande, française, néerlandaise et italienne et dont le cours reste toujours supérieur à son cours d'introduction (1 E = 1,17 $) ne peut pas être détruite par le marché. Il n'existe aucun précédent.

Le second est technique : il s'agit de contrer la spéculation sur son terrain. Pour cela, ses mouvements doivent être suivis minutieusement au jour le jour. Pour réaliser les " sauvetages ", un important dispositif, et qui semble suffisant, a été mis en place.

C'est à la Banque centrale européenne qu'il revient de surveiller les activités du secteur bancaire.

Il subsiste un maillon manquant : celui de la dette émise par les Trésors publics nationaux.

Aussi paraît-il souhaitable de créer une " cellule antispéculation " regroupant les meilleurs spécialistes des Trésors français, allemand et italien, notamment pour suivre au jour le jour les mouvements spéculatifs sur les bons et sur les titres de la dette, et imaginer les mesures propres à les contrarier.

La crise a rendu évidente la nécessité d'une plus grande cohérence entre les politiques économiques. N'utilisons pas l'expression malheureuse de " gouvernance économique ", car une grande partie de cette " gouvernance " restera nationale. Utilisons plutôt l'expression " coordination exigeante ".

La bataille est engagée. La spéculation, encouragée par la presse financière internationale, paraît sûre de son arrogance. Faisons-lui mordre la poussière. Et que vive l'euro !

Il faut restructurer la dette grecque

on peut estimer à 3 milliards d'euros les pertes pour le Trésor français sur les 9 milliards versés à la Grèce.
La Grèce est désormais insolvable et ingouvernable. Sa dette publique représentera 158 % du PIB à la fin de 2011. Pour la stabiliser, il faudrait un excédent budgétaire durable de 6 % du PIB, totalement hors de portée. Et ce d'autant que, pour la cinquième année, l'économie sera en récession (de 5 %), tandis que le taux de chômage culmine à 16 % de la population active. Toutes raisons qui expliquent la dégradation de la Grèce à CCC, deux degrés avant le défaut, et le niveau record des taux à deux ans qui culminent à 27,55 %. Face à des manifestations de plus en plus violentes, la base politique du gouvernement de Georges Papandréou ne cesse de se rétrécir. La Grèce ne dispose ni de la croissance potentielle ni de la classe politique qui lui permettraient d'éviter la faillite.

Le défaut grec constitue un choc potentiel comparable à celui de la chute de Lehman Brothers. Il impacterait d'abord les banques, les établissements grecs se trouvant en faillite, tandis que les institutions financières européennes devraient passer en perte une partie des 162 milliards de leurs créances grecques, puis de leurs risques sur l'Irlande, le Portugal et l'Espagne. A travers la BCE, le système européen de banques centrales est engagé à hauteur de 45 milliards d'euros sur la Grèce, à comparer à 81 milliards de capital et de de réserves. Il peut absorber un défaut grec jusqu'à une décote de 50 %, mais pas une extension de la crise au Portugal ou à l'Irlande, sauf à exiger une recapitalisation ou à émettre de la monnaie au prix de l'inflation. Enfin, les Etats sont doublement vulnérables. D'un côté pointe une menace de panique sur la dette des Etats surendettés ou en crise politique, à l'image du Portugal et de l'Irlande, qui empruntent déjà à 12 %, mais aussi de l'Espagne, de l'Italie et de la Belgique. De l'autre, les Etats créanciers, en tête desquels figurent la France pour 62 milliards d'euros et l'Allemagne pour 50 milliards, se trouveraient déstabilisés. D'ores et déjà, on peut estimer à 3 milliards d'euros les pertes pour le Trésor français sur les 9 milliards versés à la Grèce. La restructuration de la dette grecque est donc à la fois inéluctable et à très haut risque.

La Grèce affiche une dette de 350 milliards d'euros, dont la décote minimale est de 70 %, et un besoin de financement supplémentaire de 140 milliards d'euros pour les années 2012 à 2014. Cette situation tragique n'est nullement de la responsabilité des agences de notation, qui ont joué leur rôle d'alerte en dégradant la dette grecque dès 2004. Elle relève au premier chef des dirigeants grecs, qui ont construit un modèle de développement fondé sur la protection du secteur public (800 000 fonctionnaires sur 5 millions d'actifs) et sur la consommation à crédit, tout en maquillant délibérément les comptes du pays. Et en second lieu de l'Union et des Etats européens, qui délivraient encore en 2007 un satisfecit à Athènes. L'Europe n'a cessé d'agir trop peu, trop tard et en ordre dispersé. Ainsi, le plan de mai 2010 prévoyant une aide de 110 milliards d'euros a permis de gagner du temps, mais sans que ce délai soit utilisé pour élaborer une sortie de crise cohérente. Il est voué à l'échec compte tenu de l'effondrement de la croissance, de la stagnation des recettes fiscales, des atermoiements face aux nécessaires privatisations (300 milliards d'euros d'actifs potentiels), de l'impossibilité de recourir à la dévaluation ou à l'inflation. La Grèce refuse toute remise en question de la gouvernance de l'Etat et de l'économie, avec une activité souterraine qui représente 20 à 30 % du PIB et qui va de pair avec une corruption endémique.

Seule une restructuration ordonnée peut sauver la Grèce et l'euro. Un nouveau plan d'aide de 80 milliards d'euros se limiterait à accroître la dette grecque, différant le défaut pour aggraver les pertes. La reprise de la dette grecque par les Etats excédentaires est irréaliste. L'implosion de l'euro autour d'une zone réduite à l'Allemagne et aux pays excédentaires, tandis que les nations déficitaires - dont la France - reviendraient aux monnaies nationales, aurait un coût économique et social prohibitif et porterait un coup fatal à la construction européenne. La restructuration ordonnée peut seule permettre le retour de la croissance en Grèce et la stabilisation de l'euro. Du côté grec, elle passe par la réforme du modèle économique, avec la collecte effective de l'impôt et un programme massif de privatisation réalisé sous le contrôle de l'Union. Parallèlement serait engagée une opération de conversion de la dette en eurobonds, avec des taux inférieurs et des durées plus longues. Il revient à l'Europe de mettre un terme à la crise des risques souverains en proposant un cadre institutionnel et une stratégie économique clarifiés : effort de compétitivité dans les pays déficitaires et soutien de la consommation dans les pays excédentaires ; révision de la politique de taux d'intérêt et de change de la BCE qui tue la compétitivité de l'Europe du Sud ; harmonisation fiscale et surveillance budgétaire ; transfert de la régulation financière à l'Union ; création d'un Trésor européen et émission d'eurobonds actant la solidarité au sein de la zone euro. La seule issue à cette crise financière et monétaire est politique : il n'est pas d'euro soutenable sans fédéralisme économique européen.

Un amour de Sarkozy

En 2007, les Français ont élu Nicolas Sarkozy parce qu'ils ont cru qu'il les aimait puisqu'il le leur avait dit. Il y avait aussi sa façon de les regarder : la tête penchée de tendresse, les yeux langoureux d'émotion, la bouche humide de désir. Il leur parlait d'une voix mielleuse et assourdie, comme s'ils étaient malades. Ou dans un grand restaurant. Il n'a pas hésité à les inonder de promesses, comme tous les gens qui veulent vraiment nous épouser. Les Français se sont rendus au bureau de vote de leur quartier, tout frémissants dans la robe blanche de leurs espoirs. Le soir même, ont déchanté : le nouveau mari était allé faire la fête avec ses vieux potes et quelques nanas bien roulées dans un clandé chicos où la plupart des Français n'auraient pas les moyens de se payer à dîner, laissant du coup nos compatriotes seuls devant la téloche, une baguette sous le bras et un béret sur la tête. Il reviendra aux historiens du mariage en France de faire le compte des malentendus, infidélités (incessants flirts et clins d'oeil du mari président à d'autres peuples mariés : Américains, Russes et même Chinois), déceptions, scènes de ménage, menaces, insultes et autres coups de gueule ayant fini par éloigner Sarkozy de la France au point qu'on les dit - et les sent - au bord de la séparation. Dans une telle perspective, le pauvre Nicolas perdrait un logement de rêve proche du quartier des cinémas - celui des Champs-Elysées, où habitèrent avant lui Victor Hugo et Honoré de Balzac -, toute une police et toute une armée pour le protéger des coups du sort dont il semble toujours craindre on ne sait quoi, des moyens de transport haut de gamme, une surexposition médiatique mondiale qui rassure cet homme sensible toujours sur le point de se demander s'il existe, et ainsi de suite (athi, en thaï).

Le président Sarkozy a peut-être cru qu'il suffisait à un mari de travailler - il dirait bosser - dix-huit heures sur vingt-quatre, prouvant ainsi son attachement à la bonne marche des affaires du couple, pour s'attirer les grâces d'une femme, mais la France n'est pas une femme comme les autres. Sous ses airs bourrus, voire agressifs à la fin de certains repas trop arrosés, il y a un petit coeur qui bat. Elle a inventé l'amour courtois à une époque, le Moyen Age, où le reste du monde en était à l'amour grossier. Si M. Sarkozy, qui est loin d'être un mauvais bougre, avait jeté un oeil sur les films, les livres et les chansons préférés de son épouse (sérénades de Boon, idylles de Musso, langueurs de Raphaël), il aurait compris que le Français est une Française. Il n'a qu'un but dans la vie : l'amour. Que dis-je, un but ? une obsession. L'amour en tout, partout, toujours. Au bureau, dans le bus, en boîte, sur Internet. Le faire, mais aussi y rêver, en parler, l'écrire. Le Français a épousé Nicolas Sarkozy par amour et non par intérêt, comme l'a cru ce jeune homme toujours un peu étranger aux sentiments profonds de son épouse locale. Oui, il a déçu par son côté replié, froid, distant, raide, sec. Il n'était pas comme ça avant le mariage. Il était le contraire. Peut-être a-t-il été atteint par le syndrome, fréquent chez les gens de l'Est, dont je fais moi-même partie, du détachement après la conquête. Et chez les Auvergnats : Giscard était pareil. C'est toujours la même chose quand un séducteur atteint sa cible : elle tombe et il se retrouve, une nouvelle fois, face à lui-même. Ce qu'il déteste, sinon il ne passerait pas sa vie à séduire les autres. Il lui faut repartir en chasse. Mais qui chasser quand on a déjà abattu la France ?

Il reste un peu moins d'un an à Nicolas pour réchauffer le coeur froid de notre pays, prêt à battre pour d'autres que lui : un énarque corrézien à lunettes, une fougueuse Bretonne blonde, un poète symboliste maudit par la justice, un écologiste zézayant en hélicoptère, un ex-trotskiste qui trotte sur les plateaux télé. Elle se demande même, la France, si elle ne tenterait pas pour la première fois de sa longue histoire conjugale (quatorze siècles) le mariage gay avec une Lilloise. Elle a déjà eu un Lillois, le général de Gaulle. Fiançailles héroïques en Angleterre, brève rencontre après guerre, longue bouderie campagnarde, union française, coups et blessures en Mai 68, divorce par référendum. Mes meilleurs souvenirs.

L’été prometteur du Président

L’été 2011 a bien commencé pour Nicolas Sarkozy. L’automne dernier, il était pratiquement battu à la prochaine présidentielle : soit parce qu’il était éliminé du second tour par Marine Le Pen, soit parce que l’homme providentiel du PS, Dominique Strauss-Kahn, l’écrasait en finale. Aujourd’hui, l’été s’annonce mieux, pas forcément radieux mais prometteur, et les signes positifs abondent.

La libération des otages d’Afghanistan est un paramètre intéressant. Non seulement nos deux journalistes ont été sauvés, quel qu’en soit le prix ; quand on aime, dit-on, on ne compte pas ! Mais, surtout, Nicolas Sarkozy a su faire dans la modestie et la discrétion, deux qualités rares pour lui. Sa gestion sobre, sans tirer la couverture à lui, a permis aux médias de saluer les hommes de l’ombre, militaires, diplomates et agents de la DGSE. La « présidentialité » de M. Sarkozy en sort renforcée. C’est tard, disent les grognons ; mieux vaut tard que jamais.La promotion de Christine Lagarde à la tête du FMI, opération menée de main de maître par l’Elysée, est un grand succès qui efface le grand désastre de Dominique Strauss-Kahn à New York. C’est bon pour l’Europe, malade de la Grèce, bon pour la France et bon pour Sarkozy.
Le remaniement du gouvernement, à condition de ne pas trop flairer dans les cuisines, est politiquement satisfaisant pour la majorité présidentielle. Il fait une large place aux chiraquiens, notamment à ce François Baroin qui ira loin, mais en même temps il casse le pack des mousquetaires chiraquiens qui ont revu la devise de d’Artagnan : « Aucun pour tous, chacun pour soi. »
Rien n’est donc joué, mais Nicolas Sarkozy sort du trou.

“DSK is back !”

DSK accusé d’agression sexuelle, menotté, humilié, incarcéré, puis assigné à résidence avec bracelet électronique : la France fut sidérée, abasourdie. Six semaines plus tard, alors que l’ancien directeur du FMI a dû démissionner de son poste et a été remplacé, alors que le Parti socialiste avait fait un trait sur son éventuelle candidature et que Martine Aubry s’était, par devoir, lancée à la poursuite de François Hollande, le formidable coup de théâtre de vendredi provoque une nouvelle sidération et tout redevient possible, imaginable en ce qui concerne l’avenir de M. Strauss-Kahn.Tout le monde ou presque le croyait politiquement fini, y compris l’auteur de ces lignes, et tout peut arriver : « DSK is back ! » On devra quand même s’interroger sur les mystères de la femme de chambre et sur les failles d’une accusation qui n’a pas vu passer l’essentiel de sa personnalité.
En tout cas, le PS ne pourra en rester là : s’il n’y a ni procès, ni condamnation rien n’empêchera DSK de faire connaître sa volonté d’être candidat aux primaires. S’il le faisait, Martine Aubry serait obligée de se retirer et face à un homme injustement traité, revenu du bout de l’enfer, les socialistes pourraient être tentés de se rassembler autour de lui. A moins que M. Strauss-Kahn ne choisisse une autre voie de retour. Il sait que son cauchemar new-yorkais a abîmé son image en termes de candidature à l’Elysée avec une coloration négative en matière de mœurs et de fortune. Peut-être préférera-t-il un itinéraire plus discret et une rentrée dans l’atmosphère politique moins fracassante. On le saura vite, mais cet homme, vu ce qu’il a subi, aura la rage de revenir au premier plan.

Nafissatou Diallo : "Je sais ce que je fais"

Au lendemain de la libération sur parole de Dominique Strauss-Kahn, les soupçons autour de Nafissatou Diallo se renforcent.

"Ne t'inquiète pas, ce mec a beaucoup d'argent. Je sais ce que je fais". C'est cette phrase tenue par Nafissatou Diallo, la femme de chambre qui accuse DSK d'agression sexuelle, qui a mis la puce à l'oreille des enquêteurs. La conversation, révélée par le New York Times, a été tenue le lendemain de l'accusation lors d'une discussion téléphonique avec son ami emprisonné dans une prison de l'Arizona pour trafic de cannabis. Elle aurait également parlé du montant que rapporteraient les poursuites contre l'ancien directeur du FMI. Les services du procureur ont mis plusieurs semaines à traduire la conversation car elle était tenue en Fulani, un dialecte guinéen. 
Un autre quotidien, le New York Post, évoque également le passé trouble de la femme de chambre. Elle aurait, en effet, déjà eu des relations tarifées avec des clients du Sofitel. Les enquêteurs assurent que la jeune femme menait un train de vie supérieur à ses moyens grâce à de "généreux" donateurs. Le quotidien américain évoque même une possible appartenance de Nafissatou Diallo à un réseau de prostitution guinéen.