TOUT EST DIT

TOUT EST DIT
ǝʇêʇ ɐן ɹns ǝɥɔɹɐɯ ǝɔuɐɹɟ ɐן ʇuǝɯɯoɔ ùO

samedi 2 juillet 2011

Mythe grec et budget bruxellois

La Grèce est le berceau de l'Europe, et la mère de nombreux mythes qui peuvent être recyclés en métaphores journalistiques. Le rocher de Sisyphe, les travaux d'Hercule, ou le tonneau des Danaïdes ont déjà beaucoup été utilisés pour éclairer la situation dans laquelle se trouve le pays et son gouvernement. Permettons-nous d'ajouter ici l'histoire de Dédale.
Comme l'architecte enfermé par le roi Minos, avec son fils Icare, dans le labyrinthe qu'il avait construit, l'Union européenne se retrouve coincée par la crise à un point où tous les chemins difficiles mènent à une impasse. D'un côté, la politique d'austérité imposée au Grecs depuis un an : non seulement, elle n'a eu pratiquement aucun effet sur la réduction des déficits et la réforme d'un système corrompu et inefficace mais, comme de nombreux experts l'avaient signalé, elle a annihilé les possibilités d'une croissance économique pourtant nécessaire pour sortir de la crise. De l'autre, les plans de sauvetage : les 110 milliards promis ont creusé le fossé psychologique entre Européens du Nord et du Sud, et entrainé un raidissement de l'Allemagne dans les négociations européennes sans pour autant soulager les Grecs et offrir de réelle perspective de sortie de crise.
Autre orientation possible, la restructuration de la dette grecque. Mais l'impasse est immédiate puisque les dirigeants européens craignent la réaction des marchés et une extension de la crise à d'autres pays de la zone euro. Dans le même temps, certains de ces mêmes dirigeants prennent la direction d'une plus grande intégration économique et d'un "fédéralisme de crise" menant vers la création d'euro-obligations et une coordination supranationale des politiques fiscales et budgétaires. Mais dans ce cas, leur démarche se heurte aux intérêts divergents des pays membres. Et en tout état de cause, l'approfondissement de l'intégration politique et économique est à contre-courant de l'opinion publique qui exprime son euroscepticisme dans les urnes.
Bref, où que l'on regarde, l'UE-Dédale est en bien mauvaise posture. Et comme le personnage du mythe, elle va devoir trouver un moyen de sortir par le haut du labyrinthe. De manière surprenante, c'est la Commission européenne que fournit un élément de la solution. Cette semaine, dans sa présentation du projet de budget pour les années 2014-2020, l'exécutif communautaire qualifie de "financements prioritaires" les "projets transfrontaliers dans les domaines de l’énergie, des transports et des technologies de l’information" et propose une "augmentation significative de l’enveloppe prévue au titre de la recherche et de l’innovation pour investir dans notre compétitivité, et des fonds supplémentaires en faveur de la jeunesse européenne".
C'est-à-dire qu'il identifie les domaines dans lesquels les Européens doivent investir (et s'investir) pour sortir du déclin économique et social dans lequel ils sont empêtrés. 
Malheureusement, ces belles perspectives sont contradictoires aves les politiques  imposées par Bruxelles et les Vingt-Sept aux pays en crise et même dans la plupart des pays européens. Et l'on sait très bien que les bonnes intentions affichées par la Commission avant les négociations qui vont débuter ne l'engagent à rien puisqu'elle pourra rejeter la responsabilité sur les Etats, voir sur le Parlement, si toutes ces ambitions étaient revues à la baisse.
Austérité réelle contre ambitions sur le papier : les dirigeants européens ne pourront pas longtemps gouverner sur cette contradiction que les peuples européens ressentent au quotidien. C'est en oubliant la réalité qu'Icare, le fils de Dédale, s'est brûlé les ailes.

Une fébrilité coupable 

La nouvelle journée new-yorkaise que la France a vécue hier laisse derrière elle une désagréable sensation de malaise. Avouons-le : on ne sait plus trop quoi penser de cette affaire dont le fait principal - une agression sexuelle dans une chambre d’hôtel - s’estompe peu à peu derrière l’écran des convictions intimes.

Les médias peinent tellement à reconnaître leur état de désorientation qu’ils se laissent aller volontiers à l’intensité des emballements successifs et désordonnés du feuilleton DSK. C’est sans doute une question d’oreille : hier, même si les reporters sont restés prudents, la tonalité des télévisions et radios, elle, a pratiquement disculpé l’ancien directeur du FMI. Elle a suggéré un lien mécanique entre les mensonges de son accusatrice et son innocence. À tel point que la décision du juge de lever l’assignation à résidence du Français a presque déçu : toute la journée, sur les ondes, n’avait-on pas fait monter le suspense en évoquant l’éventualité d’un abandon total des charges pesant sur lui ?

En donnant presque exclusivement la parole aux amis de DSK, le 20 heures de France 2, lui, a mutilé l’information. Si vous l’aviez pris en cours, vous pouviez croire qu’un acquittement avait été prononcé ! Et tant pis si dans le même temps la chaîne ne s’est pas gênée pour rediffuser la pénible séquence d’un DSK menotté, au mépris de toute éthique proclamée. Ce fut le triomphe d’une présomption d’innocence fourre-tout. Elle supplante, c’est vrai, la présomption de culpabilité. C’est même la marque d’un haut degré de civilisation. Une valeur fondatrice. Mais cette conception élémentaire de la justice ne saurait être défigurée par un dangereux simplisme. La vérité ne se livre jamais facilement. Elle peut-être complexe et contradictoire jusqu’à l’indéchiffrable. Même l’homme le plus honorable ne peut-être exonéré de tout soupçon quand les faits semblent accablants. Comment pourrait-il prétendre être totalement à l’abri de lui-même ?

Si la fidélité des amis de Dominique Strauss-Kahn - tout à coup plus nombreux - est estimable, leur certitude est dérangeante. Comme s’ils déniaient désormais à Nafissatou Diallo le droit de se plaindre parce qu’elle aurait menti. Comme si la jeune femme irréprochable défendue spontanément, il y a un mois et demi, par la direction du Sofitel, et ses voisins du Bronx n’avait jamais été, finalement, qu’une odieuse manipulatrice. Et voilà même qu’on moque ces féministes, forcément enragées, qui avaient pris fait et cause pour elle !

Hopla, un coup de gomme ! Et pourquoi pas, maintenant, DSK de retour dans la course des primaires quand il en est, à l’évidence, disqualifié? Une fébrilité coupable qui altère un peu plus l’image des journalistes, en réduisant à néant la distance que nous devons toujours nous efforcer de conserver par rapport aux événements.


DSK : dans le Bronx, on croit à la manipulation

Les habitants du Bronx ne croient pas aux mensonges de Nafissatou Diallo. Ils pointent la naïveté et la crédulité de la plaignante.

Le 15 mai dernier, Nafissatou Diallo n'avait aucune idée du risque qu'elle prenait en appelant un détenu. Car les services du procureur de New York font écouter la plupart des conversations reçues par les prisonniers. Or cette «relation» de la victime présumée de Dominique Strauss-Kahn a été arrêtée en possession de 400 livres (soit plus de 180 kilos) de marijuana.
Et ce suspect n'a pas encore été jugé. Le ministère public est donc à l'affût de toute information susceptible de nourrir son dossier d'accusation. Selon le New York Times , la femme de chambre «a discuté de l'intérêt de poursuivre les accusations» contre Dominique Strauss-Kahn, moins de 24 heures après le début du scandale, la veille 14 mai.
C'est après cet appel intercepté que la police a été chargée d'enquêter sur les fréquentations de la femme du chambre du Sofitel ainsi que sur son compte en banque et les mouvements d'argent qu'on peut y lire. Entre l'importance des dépôts en liquide -de l'ordre de 100.000 dollars en deux ans (près de 69.000 euros)- et le fait qu'ils ont été effectués en plusieurs endroits des États-Unis, les enquêteurs pensent avoir reconnu un mode opératoire classique des trafiquants de drogue. En poussant un peu plus leurs recherches, les détectives sont tombés sur au moins quatre contrats de téléphone mobile chez divers prestataires, qu'elle alimentait régulièrement. Pourquoi tous ces téléphones, alors qu'elle a affirmé à la police n'en posséder qu'un? Ici encore, les agents du NYPD croient avoir reconnu une méthode familière des dealers: le portable rechargeable sans abonnement à long terme.
Vendredi, la police new-yorkaise refusait de livrer le nom du suspect incarcéré et ne voulait pas non plus donner d'informations sur ses origines géographiques.
Quant au procureur Cyrus Vance Jr., il n'a évoqué ni la conversation téléphonique, ni le compte en banque de l'employée du Sofitel. De son côté, dans une déclaration publique à la sortie du tribunal criminel de Manhattan, Kenneth Thompson, l'avocat de Nafissatou Diallo, a affirmé vendredi que sa cliente ignorait que ce détenu était un trafiquant de drogue.

Les dealers du Bronx 

Selon ce que l'on a pu apprendre de cette Guinéenne de 32 ans, elle n'entretenait à New York que des relations au sein de la communauté africaine, notamment parmi les immigrés originaires de Guinée, du Sénégal et de Gambie.
Le Bronx, en particulier ses quartiers sud où vivent ces Africains déshérités, abrite de nombreux gangs de dealers. Mais les rois du trafic y restent les Sud-Américains et les Portoricains. Toutefois, pour celui des produits moins rémunérateurs comme la marijuana, le «pot » comme on l'appelle à New York, des Africains se seraient emparés d'une partie du marché.
A Harlem, autour de la 116ème rue, où vivent de nombreux Guinéens, comme dans la partie du Bronx où Nafissatou Diallo habitait, l'incrédulité régnait vendredi. «Une petite paysanne peule comme elle ne savait rien de la drogue, dit Maladho Diallo, président de la mosquée Fouta Islamic Center (Bronx). Elle a été manipulée parce qu'elle était trop naïve», ajoute-t-il.

L’Europe sera cosmopolite ou coulera

Etat-nation ou fédération : pour le sociologue Ulrich Beck, ce choix binaire classique pour l'avenir de l'Union est dépassé. Il est temps de lui donner un caractère cosmopolite, plus ouvert et démocratique. 

A l’issue de la Seconde Guerre mondiale, le processus d’unification européen avait un objectif précis : "plus jamais ça !". Il s’agissait de faire d’anciens ennemis de bons voisins. A présent que ce miracle s’est réalisé, la paix sur le continent n’est plus un thème fédérateur. Cela ne fait plus aucun doute : le projet européen a urgemment besoin d’une nouvelle raison d’être. Il y a trois thèses.

Première thèse :

La refondation de l’Europe ne peut attendre car l’Union est aujourd’hui travaillée par trois processus autodestructeurs qui se renforcent mutuellement : la xénophobie, l’anti-islamisme et l’hostilité à l’Europe. Les critiques de "l’islam" – qui abuserait des libertés occidentales – parviennent à faire le lien entre la xénophobie et une forme de discernement. Il est tout d’un coup possible de se dire opposé à l’immigration au nom de la sagesse.
Avec les plans de sauvetage des pays d’Europe du sud s’est développée une nouvelle forme de ressentiment nationaliste ainsi qu’une dangereuse logique de conflit et de répartition. Les pays renfloueurs doivent imposer des plans d’une telle rigueur que le remède semble pire que le mal pour Athènes. Les Grecs ont l’impression d’être soumis à un "diktat de l’UE" qui déroge à leur indépendance autant qu’à leur fierté nationales. Des deux côtés, le processus nourrit la haine de l’Europe.
De toutes parts, on s’en prend au "doux monstre de Bruxelles", pour reprendre la formule de Hans Magnus Enzensberger. Derrière ces mots se cache la conviction que nous faisons tout, tout seuls. Ce "nous" étant un "nous, Allemands", "nous, Français" et peut-être "nous, Luxembourgeois".
Voilà le nouveau grand mensonge, la nouvelle "lucidité" allemande. Partout, on parle de l’Europe comme si l’Allemagne en était entièrement indépendante. La question est alors enfin posée : et si l’Union européenne s’effondrait vraiment ? Combien cela nous coûterait-il de recréer douze monnaies nationales, de réinstaurer des contrôles et des douanes aux frontières, de reformer vingt-sept espaces réglementaires ?

Deuxième thèse :

L’Europe ne souffre ni de la crise de l’euro, ni du manque de volonté pour une union politique, ni de l’absence de grand mouvement citoyen européen. Tout cela ne sont que les symptômes d’un autre mal, plus profond. L’Europe est victime d’un malentendu sur elle-même. En effet, le grand objectif "d’Etats-Unis d’Europe" transforme tous ses pays membres en rivaux implacables qui remettent en question leur existence réciproque. Tant que l’alternative sera "l’Europe ou les Etats nations" et qu’une troisième solution restera hors de question, tous les discours sur "l’Europe" ne pourront qu’inspirer la crainte.

Troisième thèse :

La "troisième voie impossible" consisterait à faire une Europe et une Allemagne cosmopolites. Il s’agit alors de clairement établir la distinction entre nation et nationalisme. Tous ceux qui, face à la déliquescence de l’Europe, prônent un "retour à la nation", font preuve de naïveté autant que d’anti-patriotisme. Ils sont naïfs car ils omettent du parler du coût phénoménal que représenterait la disparition de l’UE, et leur comportement est anti-patriotique parce qu’il fait courir un danger à l’Allemagne alors que l’avenir de l’Allemagne est dans un cosmopolitisme, source de progrès tant pour l’Allemagne que pour l’Europe.
Une Allemagne cosmopolite aurait besoin d’un nouveau concept de souveraineté. L’Europe, en effet, ne décourage pas les nations, elle les renforce. Les Etats membres peuvent faire entendre leur voix dans l’espace européen et au-delà. Ils peuvent directement influer sur les résultats de la politique européenne. La résolution de leurs problèmes nationaux – criminalité, immigration, environnement, agriculture, coopération scientifique et technologique – est possible grâce à la puissance cumulée de l’UE.
Une Allemagne cosmopolite aurait également besoin d’un nouveau concept identitaire et d’intégration permettant aux citoyens de vivre ensemble, au-delà des frontières, sans sacrifier les différences et les particularités de chacun sur l’autel de l’homogénéité nationale. La diversité de l’Europe en termes de langues, de modes de vie, d’art, de formes de démocratie, doit être synonyme d’ouverture au monde de la conscience nationale allemande, et non perçue comme une menace.
Il s’agit enfin de décider du sort de l’Union européenne, ou plus précisément du sort de la Grèce et de ses répercussions pour l’Allemagne. Pour reprendre la formule de Willy Brandt, les peuples "allemands et européens sont désormais, et espérons à jamais, inséparables".
Il est temps de transférer la Causa Europa des têtes nationales aux pieds du cosmopolitisme. L’éternelle crise européenne est une occasion à saisir pour les responsables politiques allemands ! Une nouvelle politique européenne, inventer un nouvel alphabet européen dans l’ABC des réglementations financières, environnementales et sociales, voilà qui pourrait être au cœur du projet d’une coalition gouvernementale rouge-verte. L’UE ne serait plus un "doux monstre" mais une Europe sociale des travailleurs et des citoyens, une Europe transparente et fondamentale aux yeux des citoyens, capable d’apporter sa propre légitimation démocratique et ses réponses politiques aux problèmes mondiaux. Une Europe qui rend leur voix aux citoyens. Mais où se trouve le Willy Brandt de l’Europe ?