TOUT EST DIT

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mardi 10 mai 2011

Allô, Tonton ?

François Mitterrand aimait laisser du temps au temps, et le temps le lui rend bien. Il lui offre une confortable popularité parmi les Français et un triomphe d’estime dans les médias, généralement bienveillants avec un président qui, pourtant, ne le fut guère avec eux.

Cet homme que ses plus farouches adversaires disaient « du passé » est, dans notre présent compliqué, magnifié par l’imparfait.

S’il est naturel que ce personnage de roman ait marqué les esprits et le pays, il est plus surprenant que son bilan s’affiche en positif dans la mémoire collective nationale. Comme si les déçus de la gauche et le « droit d’inventaire » réclamé par Lionel Jospin avaient été retranchés du « poids de l’Histoire », dont il se prévalait le soir de sa victoire.

Aujourd’hui, il apparaît surtout comme un héros de la nostalgie. Même ceux qui ne votèrent pas pour lui en 1981 savourent ces images du 10 mai — repassées en boucle — comme autant d’instantanés de leur jeunesse en fuite. Ce fut, pour tous, des moments d’intensité.

Une rupture, » historique » pour le coup, après vingt-trois années de pouvoir incontesté de la droite. Cette dimension-là, unique à ce jour, a compté pour beaucoup dans la légende : il reste à ce jour le seul président de gauche élu sous la Ve République. Dans un demi-siècle, voilà une grandiose solitude qui en fait une référence.

« L’œuvre » n’est pas si spectaculaire, et se limite à des réalisations des deux premières années à l’Élysée — ce sont les plus couramment citées — avant le tournant de la rigueur. Mais elle est suffisante pour symboliser un changement qui, ensuite, rentra assez vite dans le rang.

L’acquis le plus durable ne fut pas le plus populaire et même pas forcément de gauche. L’accélération de la construction européenne, puisqu’il s’agit d’elle, fut plus une profession de foi civilisatrice qu’un combat pour les masses…

Et sans l’adoption de l’euro avec le référendum sur Maastricht, le deuxième septennat, ne compterait pratiquement pas, oblitéré par une deuxième cohabitation, et la maladie.

Ce Mitterrand contesté qui descendit, lui aussi, dans des abîmes d’impopularité et quitta le pouvoir doublement à bout de souffle est aujourd’hui relégitimé par un peuple de gauche qui le plébiscite à plus de 85 %.

L’icône, assurément rentable, peut être brandie par tous ses héritiers. Allô Tonton ? Aucun d’eux ne va s’en priver au cours de la campagne ! Faut-il que le socialisme à géométrie très variable du seul président aux deux septennats soit toujours d’actualité ?

Dans les urnes peut-être. Par défaut sûrement. Mais pour construire un projet exaltant à proposer aux Français, il faudrait tout de même un peu plus d’imagination visionnaire que ce simple regard tutélaire. Un peu plus de cette audace nouvelle qui seule pourra ouvrir la voie vers la présidence.

ALLÔ TOTON ? POURQUOI TU TOUSSES ???

Mémoire sélective

Le tamis du temps ne retient-il que les réussites ? Le souvenir immédiat ne sélectionne-t-il que les échecs ? Ce qui expliquerait que nous n'ayons, de François Mitterrand ou de Jacques Chirac, qu'un souvenir anormalement positif, et de Nicolas Sarkozy qu'une vision exagérément négative.

On ne peut pas comparer des bilans qui se rapportent à des époques incomparables. Mais à un an de mai 2012, et après seize ans de présidence de droite, on s'interroge sur la signification de cette « tontonmania », spontanée ou entretenue, qui marque les trente ans de la seule présidence de gauche de la Ve République.

Le « droit d'inventaire » revendiqué en son temps par Lionel Jospin était une manière de se démarquer d'un mitterrandisme dont la rose avait perdu de son éclat et les épines conservé leur piquant. Comme par hasard, aujourd'hui, on ne se souvient plus trop des épines.

On a presque oublié les trois dévaluations et le plan d'austérité du printemps 1983. Le coût des nationalisations. Les suicides à l'Élysée ou à Matignon. La double vie de François Mitterrand aux frais du contribuable. Son refus de réformer une Constitution tant décriée par le candidat, mais dont il s'accommoda si bien...

En revanche, selon que l'on était né ou pas né en 1981, riche ou pauvre, salarié ou patron, de droite ou de gauche, humaniste ou réactionnaire, on retient l'abolition de la peine de mort (contre l'opinion), l'impôt sur la fortune, la naissance des Régions, la mise en place du RMI, la 5e semaine de congés, la libéralisation des ondes, les grands chantiers culturels, la paix en Calédonie...

On se souvient du seul leader qui fut capable d'unir les gauches et de dépasser cette union pour gagner. On garde dans l'oreille la puissance de son verbe, utile pour convaincre les Allemands de renoncer au mark ou pour réorienter la politique de la France au Moyen-Orient. On se remémore le respect dû à l'homme de culture, à sa silhouette tranquille de père symbolique de la Nation, mystérieux et séducteur, auquel s'identifiaient y compris certains de ceux qui n'avaient pas voté pour lui. On salue encore son art d'imposer de la lenteur à la vie politique, de « donner du temps au temps ».

Ce qui est intéressant dans cette sélection que chacun opère à sa manière, c'est ce qu'elle dit de l'état du pays.

Elle illustre la perception insupportable des injustices. Elle paraît désavouer la recentralisation des pouvoirs. Elle semble déplorer une certaine conception de la vie publique et du fonctionnement de l'État. Elle exprime le souhait d'un rythme plus apaisé, d'une gouvernance plus modeste qui rassemble, rassure et donne à la fonction suprême une certaine majesté.

Mais qu'il serait naïf de vouloir réitérer 1981 ! Alors que tout le monde apprécie l'expertise de Dominique Strauss-Kahn, personne ne pleure l'incompétence économique notoire de François Mitterrand. Alors que chacun reconnaît la réactivité de Nicolas Sarkozy dans la crise, personne ne souhaite un président lent à comprendre les accélérations de l'Histoire.

En creux, il faut surtout regarder cette séquence « idolâtrie » comme un miroir du présent dans lequel la gauche veut voir se refléter un chef rassembleur et une envie d'alternance. Bref, la célébration de 1981 serait une nostalgie d'avenir. Candidats, faites-nous un beau dessein !

10 mai 1981: naissance des Trente calamiteuses

Après les Trente glorieuses (Les années cinquante, soixante, soixante-dix), voici les Trente calamiteuses. Elles débutent le 10 mai 1981 et s'achèvent actuellement, sous les yeux de Français irrités par ce qu'ils endurent, avec l'effondrement de la pensée magique. Instauré avec l'élection de François Mitterrand avant d'être repris par la droite mimétique, l'irréalisme politique est, en effet, le premier responsable de la somme des désastres qui s'accumulent et qui font grossir les rangs des déçus de la gauche et de la droite. Trente ans d'utopies, de dénis des faits, de mépris des gens et de méthodes Coué ont renforcé la méfiance des électeurs vis-à-vis de leurs représentants. Une époque s'achève, avec le trentième anniversaire de l'arrivée des socialistes au pouvoir. Cependant, le PS se réclame encore de cette période, qui ne vaut que pour la nostalgie qu'elle peut éventuellement inspirer.

Cet immobilisme du PS, incapable de briser les liens avec un mitterrandisme momifié, pourrait bien être la cause de son échec en 2012. Face aux faillites des idéologies, le bon sens commande de s'en séparer au profit de politiques pragmatiques et efficaces. Or la gauche ne semble pas prête à cette révolution des esprits, quand elle défend encore la retraite à soixante ans, les emplois aidés, le mondialisme et autres sujets qui mériteraient d'en finir avec les réponses toutes faites que propose son vieux logiciel. Même si la droite au pouvoir n'est guère vaillante, elle est en train de s'émanciper de cette glaciation intellectuelle qui donne à la gauche son côté Hibernatus. Une nouvelle manière de faire de la politique doit être imaginée, sur les champs de ruines laissé par les discours automatiques. Et, sur ce terrain, je crois Nicolas Sarkozy plus libéré et inventif que DSK ou François Hollande.

Je participerai, ce lundi soir, à l'émission de Pierre-Louis Basse sur Europe 1 (de 20h à 21h)

Je participerai, mardi, à un débat sur LCI (10h-11h)

Le commentaire politique de Christophe Barbier




Depuis 1981, la vie a changé la gauche

Ce début mai est propice aux commémorations. Débuté ce week-end, relancé hier par Ségolène Royal, appelé à se prolonger demain, l'anniversaire du 10 mai 1981 mobilise à gauche. Il résonne aussi étrangement, une « génération Mitterrand » plus tard, comme un événement si proche et si lointain. Proche par la présence encore active de certains protagonistes, comme Laurent Fabius ou Lionel Jospin. Mais lointain, si l'on compare, par exemple, les « 110 propositions » de 1981 et le projet socialiste pour 2012. Même la météo marque la différence, entre la pluie battante qui tombait sur Paris tandis que le « peuple de gauche » reprenait la Bastille voilà trente ans et la sécheresse de ce printemps 2011… De quoi presque y voir un symbole des difficultés d'un PS en voie d'assèchement idéologique. La tendance ces jours-ci - à travers l'impressionnante floraison e et télévisuelle et dans la célébration socialiste - à réduire l'arrivée de la gauche au pouvoir au seul souvenir de François Mitterrand est un autre symptôme. Qu'il en ait été le principal acteur, qu'il ait su fédérer, incarner (et instrumentaliser) la dynamique de gauche, croissante tout au long des années soixante-dix, est indéniable. Mais cette personnalisation en dit long sur l'intégration de la logique « monarchique » de la Ve République, et aussi - en creux - sur un certain échec de la gauche au pouvoir après le « tournant de la rigueur » de 1983. Celle qui voulait « changer la vie ici et maintenant », comme le proclamait l'hymne du PS en 1981 apparaît surtout aujourd'hui changée par la vie et par l'idéologie néolibérale qui s'est imposée, ironiquement, pendant les deux mandats de François Mitterrand.