TOUT EST DIT

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samedi 26 mars 2011

Vent francophobe

Otan… en emporte le vent francophobe qui souffle sur les initiatives de Paris en Libye. Pendant une semaine, Alain Juppé s’est battu pied à pied pour écarter l’Alliance atlantique des frappes aériennes contre Kadhafi. Sans succès. L’Otan a d’abord assiégé par la mer les positions… françaises, en s’arrogeant le blocus d’un éventuel trafic d’armes avec la Libye. Puis, elle a confisqué le contrôle de la zone d’exclusion aérienne. Le Quai d’Orsay fait encore de la résistance pour la maîtrise des frappes au sol. Sans trop d’illusions.

Pas de quoi, dira-t-on, en faire un drame, puisque Nicolas Sarkozy a réintégré, voici deux ans, l’organisation militaire intégrée du traité de l’Atlantique Nord. Certes. Mais à l’époque, le président de la République présentait ce geste comme une reconquête de l’influence perdue de notre pays chez les alliés. Il affirmait, en outre, que le retour dans l’Otan favoriserait la constitution de l’Europe de la Défense. C’est un échec sur les deux points : les Européens cachent leur joie devant le camouflet infligé à la France, mais la Turquie, qui n’est pas tenue à la langue de bois communautaire, jubile devant ce que le Premier ministre Erdogan appelle « la mise hors circuit » de Paris. Quant à l’Europe de la Défense, elle n’a pas progressé d’un iota, les Allemands s’étant empressés de refuser la mise à disposition du moindre soldat pour les opérations libyennes. Ils ont d’ailleurs retiré sur-le-champ leurs navires qui patrouillaient avec l’Otan en Méditerranée. Quant aux Italiens, ils ont menacé de fermer leurs bases à la coalition, si l’Otan ne prenait pas la direction des opérations.

Entre le pacifisme de Berlin, l’atlantisme de Rome et de Londres et les velléités françaises de jouer au gendarme de la Méditerranée, l’Europe de la Défense n’existe tout simplement pas. Les Anglais et les Français ne donnent même pas le même nom de code à leur intervention en Libye : à Londres l’opération est baptisée « Ellamy », à Paris Nicolas Sarkozy a choisi « Harmattan ».

L’opération libyenne ne fait que démontrer ce que l’on savait déjà : le retour de la France dans le commandement militaire intégré de l’Alliance atlantique est un ralliement pur et simple au leadership américain. Même si Paris renâcle, il lui faut désormais marcher droit. Ni « Ellamy », ni « Harmattan », les frappes en Libye porteront désormais le nom de code US : « Aube de l’Odyssée. »

La dynastie de Lenine vient de s'éteindre

La dernière descendante du dirigeant communiste est morte vendredi à Moscou, elle avait 89 ans. Le débat sur le maintien du corps de Lénine dans son mausolée de la place Rouge est du coup relancé.
Olga Oulianova, nièce de Lenine qui militait pour le maintien du corps de celui-ci dans son mausolée de la place Rouge, s'est éteinte vendredi à Moscou, à l'âge de 89 ans. Olga Oulianova était la dernière parente encore en vie de Lenine, ont déclaré les autorités de la région d'Oulianovsk. Lenine, mort en 1924, n'avait pas d'enfants. 

Vingt ans après la dislocation de l'URSS, le débat sur la dépouille embaumée de Lenine fait toujours rage entre partisans de son maintien dans le mausolée et ceux qui veulent qu'elle soit désormais enterrée. Certains membres du parti Russie unie, au pouvoir, font campagne en faveur de la fermeture du mausolée de la place Rouge et d'un transfert des cendres de Lenine vers un cimetière.
On ignore si l'idée d'une inhumation du corps, qui revient comme une arlésienne depuis la chute de l'URSS, a aujourd'hui le soutien du Premier ministre Vladimir Poutine, lequel, l'an dernier, mettait en garde contre toute précipitation dans ce domaine. Des sondages ont conclu ces dernières années qu'une majorité de Russes étaient favorables au transfert des cendres du père de la Révolution d'octobre, mort le 21 janvier 1924. 
ENFIN !

Le salut nazi d'un candidat qui embarrasse le FN

Le Front national a suspendu Alexandre Gabriac, de ses candidats aux cantonales après la publication sur le site internet du Nouvel Observateur d'une photo où on le voit faire le salut hitlérien. Une nouvelle affaire embarrassante...

Voici une affaire dont Marine Le Pen se serait bien passée. Alors que les électeurs sont appelés aux urnes dimanche, pour le second tour des élections cantonales, le Front national a suspendu l'un de ses candidats. Alexandre Gabriac, candidat FN dans le canton de Grenoble 6 et e plus jeune conseiller régional de France, a été sanctionné après la publication sur le site internet du Nouvel Observateur d'une photo où on le voit faire le salut hitlérien. Le cliché montre le jeune homme faisant de la main gauche le salut hitlérien devant un drapeau nazi, un coup de poing américain sur la main droite.
Même si plusieurs autres photos le montrent en action, Alexandre Gabriac s'est exprimé disant  «C'est un montage. On ne me reconnaît pas sur cette photo où j'ai les yeux masqués. J'avais reçu il y a quelque temps une lettre anonyme m'avertissant que des montages effectués par des anarchistes circuleraient ». Le candidat a en tout cas été désavoué de manière très vive par la direction du parti. Steeve Briois, le secrétaire général du FN s'est confié au site internet Le Post affirmant «c'est allé beaucoup trop loin. On ne veut pas de gens comme ça au FN. On n'a autre chose à faire que de s'occuper de crétin pareil». Une position très claire à l'heure où Marine Le Pen cherche à normaliser l'image de son parti. D'ailleurs, la présidente du FN s'est exprimée sur ce dossier brûlant. « S'il s'avère que cette photographie ne soit pas, comme l'affirme M. Gabriac, un montage, celui-ci sera immédiatement exclu du Front National. Il faut que chacun sache que le Front national n'admettra pas en son sein ce type de comportement inadmissible porteur d'une idéologie répugnante » a-t-elle indiqué.
Mais cette mauvaise publicité pourrait avoir des répercussions sur les votes des électeurs, notamment du côté de Grenoble, ville dans laquelle Alexandre Gabriac est candidat. Par ailleurs, certaines associations se sont exprimées comme SOS-Racisme. Pour elle, le jeune homme «montre là le vrai visage du parti de Marine Le Pen».

L’Otan à la marge

C’est affligeant. Une guerre sanglante se déroule de l’autre côté de la Méditerranée et les alliés font assaut de chicaneries dans les instances dirigeantes de l’Otan. Parce que le « grand frère » américain a annoncé bientôt abandonner la partie, les petits et les moins petits se chamaillent pour la structure du commandement. Non pas pour se l’attribuer, personne ne disposant d’instances adaptées, mais chacun pour empêcher son voisin de faire valoir ses conceptions. Une belle cacophonie qui montre surtout que sans les États-Unis rien ne fonctionne dans l’Alliance : une leçon à l’adresse de tous ceux qui rêvent de défense européenne !

Le compromis souscrit in extremis à Bruxelles reflète une bien curieuse situation. L’Otan coordonnera l’exclusion aérienne au-dessus de la Libye, c’est-à-dire une opération qui bientôt n’aura plus de raison d’être, faute d’avions libyens en état de voler et de bases encore intactes. Le blocus maritime commandé par l’Alliance, et destiné à empêcher la contrebande d’armes, est tout aussi symbolique. Mais Français et Britanniques se réservent le droit de frapper au sol, de détruire les chars et l’artillerie de Kadhafi, sans doute avec la participation d’appareils du Qatar et des Émirats. Paris, qui souligne avec raison qu’un engagement arabe sous les couleurs de l’Otan serait psychologiquement désastreux, dénie aussi tout rôle politique à l’Alliance. La France, à l’origine de la résolution 1973 et des premières interventions, veut garder la maîtrise de l’opération pour, en étroite coopération avec le Royaume-Uni, présenter le jour venu une solution diplomatique.

Faut-il le reprocher à Paris en mettant ce qu’il faut bien appeler un affaiblissement de l’Otan sur le compte de la France ? Certainement pas, vu la mollesse ambiante. Mais ce volontarisme affiché étale aussi ses travers. Il n’a pas tenu compte de la Turquie.

Ankara a des jours durant semé la zizanie à Bruxelles. D’abord pour s’opposer par principe à la France qui refuse son entrée dans l’UE. Ensuite, en tant qu’Etat musulman à la charnière de l’Europe et de l’Orient, pour bien prouver qu’avec son statut de puissance régionale, militaire et économique, la Turquie sait jouer sa carte. L’avertissement s’adresse en fait à tous les Européens sur le thème du « vous ne voulez pas de nous, nous mènerons notre propre politique… »

A ces considérations s’en ajoutent d’autres, plus matérielles : l’Otan voulait fermer des bases en Turquie et, semble-t-il, Ankara a obtenu un répit pour prix de son « oui » final prononcé du bout des lèvres.

Reste le nœud du problème. Même si elles ont affaibli les milices de Kadhafi, les frappes aériennes n’ont pas entamé leur combativité face à des « rebelles » inorganisés et quasi désarmés. La sortie de crise demeure hors de portée des « Rafale », « Mirage » et autres « Tornado ». Et plus il va durer, plus cet engagement deviendra impopulaire, y compris en France.

Le risque d’enlisement n’est pas à exclure. Et que fera-t-on si cela devait arriver ? A coup sûr se mettre à l’abri sous le parapluie de l’Otan appelée tôt ou tard à diriger toute l’opération…

Pour une société heureuse


Nous étions bien prévenus, depuis longtemps, des risques épouvantables que nous fait courir le nucléaire : Three Mile Island (1979), Tchernobyl (1986) et quelques autres accidents comme, par exemple, les fuites de la centrale de Saint-Pétersbourg, en 1992. Pourtant, imperturbables, nous avons persisté dans cette voie qui nous conduit, aujourd'hui, à une catastrophe peut-être pire que celle de Tchernobyl, en tout cas par le nombre des personnes déplacées.

Nous avions écrit, en mai 1986, que l'explosion du réacteur numéro 4 de Tchernobyl devait résonner comme un avertissement et comme un appel. Un avertissement : le danger est incommensurable et, lorsqu'il prend forme, il est incontournable dans sa nature, c'est-à-dire dans ses effets et dans son ampleur, puisqu'il peut concerner toute la planète. Il est incontournable dans la durée car sa nocivité se mesure en siècles. Il n'est donc pas comparable à d'autres risques tels que, par exemple, une catastrophe industrielle de grande ampleur.

C'était aussi un appel à agir autrement, d'abord en empêchant la technocratie de gouverner en lieu et place de la démocratie. Un appel à se transformer en modérant nos besoins, en gaspillant moins, en cessant de privilégier le court terme, l'immédiat, et en pensant davantage à l'avenir : le nôtre et celui de nos successeurs sur cette Terre.

Bien sûr, tout cela exige un peu plus de raison, une pratique plus assidue de ces valeurs anciennes que sont la prudence et l'humilité face à la nature. On ne peut entièrement domestiquer celle-ci, comme on vient de le voir encore avec le tremblement de terre au Japon et ce terrible tsunami. Or, on a tendance à s'endormir après chaque drame jusqu'à l'accident suivant. On améliore quelques sécurités, mais on accepte toujours de courir ce risque technologique majeur (RTM) et très spécifique, sous prétexte qu'on ne peut changer de cap. Cela signifierait donc que nous n'aurions plus de choix autre que de poursuivre notre chemin sur ces voies dangereuses.

Une nouvelle révolution industrielle

Aujourd'hui, nous devons regarder les choses en face. Premièrement, il n'est pas possible de se passer brutalement d'énergie nucléaire. Cependant, il est possible d'exiger l'arrêt immédiat de tous les sites dangereux. Par exemple, qu'en est-il des centrales de l'Europe de l'Est, qui sont connues pour leur risque d'accident ? Certes, un tel arrêt pourrait amener des restrictions, mais celles-ci ne valent-elles pas mieux qu'une contamination importante d'une population quelle qu'elle soit ? Et l'on voit quels mouvements de population elle peut entraîner, puisqu'au Japon, c'est actuellement par dizaines ou même centaines de milliers qu'on s'efforce d'évacuer les gens sans même savoir comment les accueillir ailleurs.

Deuxièmement, nous devons sans délai commencer par réinventer tout notre système énergétique. Cela signifie consacrer des sommes, si considérables soient-elles, à la recherche à grande échelle sur les énergies nouvelles : géothermie, éolien, solaire. « N'oublions pas que le soleil envoie dix mille fois plus d'énergie que ce que nous utilisons, dit Hubert Reeves mais, poursuit-il, l'efficacité de notre technique de récupération est beaucoup trop faible » (1).

Il faut aussi améliorer le mode d'utilisation des autres ressources minérales pour qu'elles soient moins polluantes. C'est à une sorte de révolution énergétique de l'ampleur de la révolution industrielle des XIXe et XXe siècles que nous sommes conviés. C'est considérable, mais c'est nécessaire. Rappelons ce qu'avait déclaré Barack Obama en 2009 : « Le pays qui prendra les devants dans la création d'une économie des énergies propres dirigera l'économie du XXIe siècle. »

Aujourd'hui, nous devons saluer le courage des Japonais qui, stoïques, font face à la catastrophe. Nous devons en être solidaires. D'abord parce que nous leur portons toute notre estime, ensuite parce que nous sommes concernés comme toutes les populations du globe. C'est, en effet, l'humanité tout entière qui peut être atteinte, aujourd'hui ou demain, par le fléau que nos techniques peuvent déclencher. C'est l'humanité tout entière qui, donc, doit se solidariser pour dominer le danger et créer de nouvelles conditions à une société heureuse.



(1) VSD, numéro de cette semaine.

Feu sur la Libye de Kadhafi !

 Deux reporters du Figaro Magazine étaient à bord du porte-avions «Charles-de-Gaulle» lorsqu'il a appareillé dimanche de Toulon en direction des côtes libyennes. Mardi, il a mené sa première mission. Le dernier «départ sur alerte» d'un groupe aéronaval français remontait à janvier 1999, pour le Kosovo .

Mardi 22 mars. Il est 5 heures du matin à bord du porte-avions Charles-de-Gaulle qui croise au nord de la Sicile, en direction des côtes libyennes. A babord, près de l'endroit où sont stationnés les Rafale Marine 20 et 21, le pont d'envol s'ouvre comme un coffre. Arrivés depuis l'atelier d'armement, installés à un pont inférieur, deux containers gagnent la surface. Puis deux autres, contenant des missiles air-air Mica (missile d'interception et de combat aérien). Deux d'entre eux sont à détection infrarouge, les deux autres à détection électromagnétique. Habillés de rouge, les armuriers s'affairent sous l'œil de leur chef, une femme. Longues de plus de 2 mètres, les ogives sont tirées de leur caisson, disposées sur une rampe puis hissées sur un chariot. On les glisse dans des rails. L'une au bout de l'aile, l'autre au-dessous. L'opération est répétée de l'autre côté. Le jour s'est levé sur les préparatifs de la première mission aéronavale de l'opération «Harmattan», l'équivalent français de l'«Aube de l'odyssée». On arme le deuxième avion.
8 heures. Dans la salle d'alerte n° 3, vêtus de combinaisons kaki, les pilotes de la flottille 12F viennent de terminer leur briefing. La mission de ce matin vise à faire respecter la zone d'exclusion aérienne exigée par la résolution 1973 des Nations unies et à effectuer un vol de reconnaissance. Ceux qui partiront sont armés: la pochette qu'ils portent comme un holster contient un pistolet et des chargeurs, un GPS, une balise géolocalisable, une radio. Sous le siège de leur avion, il y a aussi une couverture de survie, de l'eau et des cartes de la Libye. Au cas où ils devraient s'éjecter.

Des mesures indispensables: cette nuit, un avion américain F15 s'est crashé. Les deux pilotes ont été récupérés sains et saufs. «La plupart des pilotes sont intervenus en Afghanistan, mais c'est leur premier contact sol-air (vol au-dessus d'un territoire ennemi disposant d'armes sol-air, ndlr), explique le capitaine de vaisseau * qui commande le groupe aérien embarqué. L'appréhension est forte sur ce type de terrain, ils devront mesurer leur stress.» Ces hommes sont hyperentraînés. Ils ont travaillé à la mécanisation des réflexes à avoir en cas de départ d'un missile, par exemple. Ils ont aussi enregistré les informations inhérentes à leur mission de ce matin: la configuration de leur avion, le briefing «renseignement», l'objectif, les risques, les moyens à disposition, le positionnement des avions de la coalition, les conditions météo, et des variantes: que faire si le radar ne fonctionne pas? S'ils perdent un équipier? Surtout, ils ont mémorisé les codes, mots et chiffres qui permettront de les identifier s'ils devaient s'éjecter, ou de savoir s'ils n'ont pas un pistolet braqué sur la tempe, s'ils n'ont pas été pris.
A 9h20, tous les avions sont prêts. La formation compte un Hawkeye, impressionnant engin à hélices portant sur son dos un radar susceptible de détecter toute intrusion aérienne dans un rayon de 500 kilomètres; les Rafale 20 et 21, armés et lestés d'une nacelle de reconnaissance photo accrochée sous leur ventre; un Super-Etendard modernisé et le Rafale 12. Ceux-là sont des «nounous», des ravitailleurs.

C'est le Hawkeye qui est catapulté en premier, propulsé grâce à un savant système de pistons - la particularité de l'aviation marine et de ses pilotes. Les deux pistes du Charles-de-Gaulle ne mesurent que 75 mètres, au bout desquels les avions auront atteint les 250 km/h nécessaires à leur décollage. Dans un bruit spectaculaire suivent les deux chasseurs armés. Puis on catapulte les «nounous».
Comme à chaque décollage, l'unité de recherche et sauvetage au combat (Resco) se tient prête à intervenir. Seule unité de l'armée de l'air présente à bord, elle est composée des hommes de l'escadron hélicoptère 1/67 «Pyrénées» et de commandos parachutistes de l'air issus du CPA 30. Formés au combat au sol, lourdement armés, ce sont eux qui récupéreraient les pilotes éjectés en zone hostile.
Malgré un délai de préparation de 72 heures seulement, le Charles-de-Gaulle fonctionne à pleine capacité. Mis en alerte vendredi dernier, il a quitté le port de Toulon dimanche à 13 heures. Le soir même, les 8 Rafale, 6 Super-Etendard modernisés, 2 Hawkeye et 5 hélicoptères composant le groupe aérien embarqué étaient à bord. «Le dernier départ sur alerte d'un groupe aéronaval a eu lieu en 1999 vers le Kosovo, se souvient le contre-amiral Philippe Coindreau. C'est une situation exceptionnelle.» Outre le Charles-de-Gaulle, le groupe aéronaval placé sous ses ordres compte un pétrolier ravitailleur et quatre frégates: le Forbin et le Jean Bart pour la défense aérienne, le Dupleix pour la défense sous-marine, la frégate furtive Aconit. Un sous-marin nucléaire d'attaque s'est, lui, positionné au large de la Libye. «Notre rôle est de faire respecter la zone d'exclusion aérienne et, dans un deuxième temps, l'embargo sur les armes, reprend le contre-amiral Coindreau. Il faudra être vigilants. Aujourd'hui, les forces libyennes sont partagées en deux. Il y a celles de Kadhafi et celles de l'opposition, et elles sont du même type. Il existe un risque de confusion pour nous. De plus, lors d'une opération comme celle-ci, où tout n'est pas parfaitement coordonné, il existe des risques de méprise. Et nous ne pouvons pas nous permettre de frapper un avion allié. Nous devrons être très exigeants en matière de renseignement.» Afin de satisfaire à cette exigence, ses interlocuteurs sont multiples : l'état-major français; les alliés, dont l'action est coordonnée par l'amiral américain Samuel Locklear; l'Otan, dont certains moyens sont déjà déployés sur zone.
Approchant les côtes libyennes, le Charles-de-Gaulle est désormais en position d'arrimage de combat : les vitres et miroirs ont été tapissés de Scotch afin d'éviter qu'ils n'explosent, les tableaux et éléments décoratifs susceptibles de se transformer en projectiles ont été rangés. Les exercices d'alerte se multiplient. «Un Sukhoï est en approche», entend-on dans les haut-parleurs. Les Sukhoï, chasseurs de l'armée libyenne. Quelques minutes plus tard, le bruit d'un impact de missile retentit dans les haut-parleurs, suivi de cris. Depuis le début de l'alerte, les 1950 personnes naviguant à bord se sont équipées de cagoules, de masques, de gants ignifugés. Les lourdes portes d'acier sont fermées, on a compartimenté le bâtiment afin de circonscrire un éventuel incendie.
Qu'en est-il du risque réel? «Notre première préoccupation est le sort de nos pilotes lorsqu'ils survolent la Libye, explique le capitaine de vaisseau, commandant du Charles-de-Gaulle. D'empêcher aussi que le porte-avions ne soit touché. L'occurrence est faible, eu égard à la supériorité des moyens navals de la coalition, mais Kadhafi possède des frégates portant des missiles et des batteries côtières anti- navires positionnées sur des camions.»
A bord, le principal instrument de prévention du risque est le Central Opérations: le cœur tactique du bateau. On y centralise toutes les informations relatives à l'environnement de surface, aérien et sous-marin.
Passé la porte, on est plongé dans l'obscurité, trouée seulement par la lumière des radars sur lesquels sont positionnés tous les appareils croisant ou volant dans un rayon pouvant atteindre 700 kilomètres et une altitude de 180 kilomètres. Une quinzaine de personnes travaillent ici 24 heures sur 24 afin d'établir la situation tactique autour de la force. Les données fournies par les Hawkeye, les Rafale et les Super-Etendard de la Marine, celles fournies par l'armée de l'air et les alliés également, sont confrontées. Les points bleus sont «amis», ce sont des bâtiments de la coalition. Les points verts sont «neutres», majoritairement civils. Tous sont «renseignés», leurs nom, tonnage, nationalité sont enregistrés. Les points rouges sont «suspects» ou «hostiles».

L'un d'eux vient d'apparaître sur l'écran. Un bateau inconnu. Selon les hommes du « module de commandement », il se trouve à proximité des frégates françaises déjà positionnées près de la Libye. Faut-il envoyer l'une d'elles pour contrôler? Un simple bateau de pêche peut contenir des armes. Ou renseigner le colonel Kadhafi sur les positionnements alliés. On ne nous fournit pas le détail de l'identification, mais quelques minutes plus tard, le point rouge devient vert. Tout s'est passé dans le calme. Sans agitation. A quelques pas, le personnel du module «guerre électronique» ne s'est aperçu de rien. Doté de deux postes, il peut intercepter et brouiller une radio ou un radar. Celui d'un missile par exemple, juste le temps de mettre des leurres en place. Retrouvant la vue, le missile ennemi frapperait alors le leurre. Cela s'appelle le soft kill. Le hard kill, lui, consiste à détruire l'arme. Des décisions prises par le commandant du bateau, qui décide aussi de l'utilisation du module « armes », pilotant les systèmes d'autodéfense du porte-avions. Des systèmes conçus pour gérer dix menaces simultanées provenant de dix lieux différents et armés de missiles de tout type. Impressionnante concentration de technologies que ce porte-avions : ville flottante de près de 2000 habitants, aérodrome ambulant de 40.000 tonnes, le tout propulsé par deux chaufferies nucléaires.
Sur les nombreux postes de télévision présents à bord, cependant, on regarde ceux qui critiquent les frappes alliées sur la Libye. Dans la salle de repos des officiers subalternes, un groupe suit les informations. Après s'être indignés du manque de réactivité des alliés, de leurs tergiversations onusiennes, les insurgés de Benghazi craignent désormais d'être dépossédés de leur révolution. La Ligue arabe, la Chine, la Russie émettent des réserves. «La coalition se fissure», titre-t-on dans les journaux. Aucun commentaire. Les gars de la Grande Muette se taisent. «Que pensez-vous des critiques formulées contre les opérations menées en Libye?» demandons-nous au contre-amiral Coindreau. «Je ne peux vous répondre à mon niveau. C'est essentiellement le fait politique qui est critiqué. Pas le fait militaire.» Quelques secondes de silence, puis: «Notre objectif est d'être non critiquables dans l'exécution de notre mission militaire.»

Impasse

L’Europe, réunie en sommet depuis hier à Bruxelles, est dans la tourmente, et les bourrasques les plus violentes ne viennent ni de la crise nucléaire au Japon, ni de Libye. Certes, ces deux dossiers ne mettent pas d’huile dans les rouages déjà grinçants des 27, spécialement dans ceux, grippés, du couple franco-allemand. Fukushima a provoqué chez Nicolas Sarkozy et Angela Merkel des réactions opposées, le premier en profitant pour tenter de vendre l’EPR, réacteur nucléaire de troisième génération (un « bébé » franco-allemand à sa naissance, abandonné depuis par Siemens), la chancelière fermant au contraire des centrales, et annonçant que « plus vite on sortira du nucléaire, mieux ce sera ». La Libye aussi divise Paris et Berlin, qui refuse de s’engager militairement.

Mais bon, de telles crises sont surmontables. D’ailleurs, l’Otan va renvoyer Nicolas Sarkozy dans son coin, en prenant la tête de l’intervention en Libye. La fierté française en prendra un nouveau coup, c’est tout. On a l’habitude.

Beaucoup plus inquiétante est la troisième crise qui est aussi la plus profonde : celle de l’euro. Après la Grèce et l’Irlande – et avant, sans doute, l’Espagne – le Portugal est au bord du gouffre. Le quatrième plan d’austérité présenté en un an par son gouvernement a été rejeté avant-hier, ce qui a provoqué la démission du Premier ministre socialiste José Socrates. Sans doute le Portugal devra-t-il faire appel au Fonds de soutien européen, ce qui ne réglera… rien du tout. Voici un an que les Européens garantissent des prêts aux pays les plus fragiles. Ils ne font, en cela, que reculer les échéances : ils se comportent comme des banquiers qui mettent sous perfusion – à taux usuraires d’ailleurs – des personnes déjà surendettées. Cet argent ne sera jamais remboursé, ni par Athènes, ni par Dublin, ni par Lisbonne. Les Grecs ont déjà vu leurs délais rallongés. Les Irlandais veulent renégocier les conditions des aides obtenues. Les Portugais refusent d’ajouter l’austérité à l’austérité. Bref, c’est l’impasse. Et là, il n’y aura pas d’intervention de l’Otan : tout dépend des Européens, et tout particulièrement de la bonne volonté allemande à mettre, ou non, la main au portefeuille. Or, Angela Merkel est ligotée par son opinion publique et des élections périlleuses, ce dimanche, en Rhénanie-Palatinat et au Bade-Wurtemberg. La crise de l’euro ne sera pas soldée aujourd’hui. Mais le sera-t-elle un jour ?