TOUT EST DIT

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samedi 19 mars 2011

De Tchernobyl à Fukushima, l’info reste floue

En 1986, les Estoniens étaient des citoyens soviétiques et ne savaient rien de ce qui se passait à Tchernobyl. Aujourd'hui membres de l'Union européenne, il n'est pas sûr qu'ils soient mieux informés, remarque le quotidien Postimees. 
Une personne très croyante qui vivait dans ma ville natale racontait souvent que lors de la catastrophe de Tchernobyl, en 1986, elle avait eu une vision très particulière : un jour tout à fait habituel, alors que la majorité des gens de tout l’espace soviétique faisaient, comme à l’accoutumée, la queue devant les magasins, qu'ils menaient tranquillement leur quotidien et que les chaînes d’information ne disaient pas un mot sur ce qui se passait dans la République socialiste soviétique d’Ukraine, la main de Dieu dans le ciel désignait le sud [en dirigeant les nuages dans cette direction].
Aujourd’hui, nous percevons les catastrophes naturelles au Japon et ses conséquences dans un environnement totalement différent, car nous faisons partie de l’espace médiatique mondial. Nous contribuons à alimenter cet espace tout en consommant avidement toute l’information que l'on y trouve. Mais sommes-nous pour autant réellement mieux informés sur la réalité qu’à l’époque soviétique, lorsque nous vivions dans une ignorance "heureuse" ?
Au lieu de l’absence de l’information, nous vivons dans une surabondance totale de celle-ci. Des dizaines de milliers de leaders d’opinion, d’experts, de commentateurs étouffent nos écrans à travers l’Internet. Qui croire et écouter ? Certes, à l’époque, un seul et unique parti politique avait cru nécessaire de garder le silence. Mais aujourd’hui, dans ce fouillis d’informations, beaucoup ont des intérêts en jeu.

La menace vient de Russie

En dépit du fait que beaucoup d’Etats proposent leur aide au Japon, le monde en concurrence reste incroyablement cynique. A l’heure où le Japon est confronté à des dépenses monumentales et doit attribuer des sommes importantes pour garder son économie en vie, les "marchés nerveux" et les spéculateurs font leurs calculs pour savoir combien de millions se sont rajoutés à leurs comptes. Par ailleurs, l’attention du public est détournée de la Libye; on ne compte plus pour savoir si ce sont des centaines ou des milliers de personnes qui ont été tuées par le dictateur Kadhafi soucieux de garder son pouvoir.
Dans cette situation, les médias devraient constituer un refuge. Au lieu de cela, ils se laissent emporter par un courant général. Plutôt que d’offrir de la qualité, ils misent sur la quantité, facilement utilisable par chacun pour son intérêt propre. A un moment où l’Union européenne, avec sa société ouverte et des relations publiques puissantes, annonce qu’elle a l’intention de tester ses centrales nucléaires, que les Verts manifestent à Helsinki, personne ne fait particulièrement attention aux centrales nucléaires qui se trouvent en Russie, dont la plus proche, Sosnovy Bor [entre Saint-Petersbourg et la frontière Russie-Estonie], marche tout près de nous.
On pourrait donc dire que 25 ans après Tchernobyl, la main de Dieu est toujours là. A la différence qu’aujourd’hui, nous ne percevons pas tous ces événements dans le ciel bleu clair mais sur nos écrans plats. L’augmentation du nombre de contacts signifie aussi l’augmentation de la peur et de la panique : il paraît qu’en Finlande, on fait déjà des provisions de tablettes d’iode en grosse quantité.

Grâce à l’Europe, Kadhafi a les mains libres

L’attitude des Européens face à la féroce répression des insurgés libyens évoque leur lâcheté lors de la guerre de Bosnie, écrit l’intellectuel italien Adriano Sofri. A force de tergiverser, ils donnent l’impression de se désintéresser du drame qui se déroule à leur porte. 

Quand vous lirez ces lignes, Benghazi sera peut-être tombée et la fameuse Communauté internationale pourra enfin dire, en poussant un soupir, qu’il est trop tard pour intervenir. Elle pourra ajouter, en haussant les épaules, que l’ont a trop vite donné crédit aux rebelles et que quelques bombardements ont suffi à les faire tomber.
Seulement ce n’est plus du crédit militaire des rebelles qu’il est en question, mais du sort d’une population civile en proie aux représailles. Pour parler de ce qui se passe aujourd’hui, je voudrais rappeler deux dates assez récentes. Le 15 avril 1986, deux missiles SCUD lancés depuis la Libye sont tombés en mer à quelques kilomètres des côtes de Lampedusa. Onze jours plus tard, le 26 avril, la centrale de Tchernobyl explosait. Les missiles libyens répondaient à une attaque massive de l’aviation américaine qui visait à tuer Kadhafi. Quant au nuage de Tchernobyl, il se promenait de-ci de-là au dessus de l’Europe, et en Italie, on restreignait par mesure de vigilance la consommation du lait et des légumes.

Depuis l'Europe, on voit à l'oeil nu la fumée de Benghazi

Vingt-cinq ans ont passé et Kadhafi achève sa reconquête. La Communauté internationale masque au mieux son embarras derrière l’émotion suscitée par le désastre japonais et la grande peur nucléaire.
Qu’est-il advenu pendant ces vingt-cinq ans ? Comment est-on passé d’une rétorsion militaire américaine opérée par pas moins de 24 bombardiers sur de nombreux objectifs libyens — y compris Tripoli et Benghazi — pour venger un attentat sanguinaire contre une discothèque allemande, à l’omission de toute action, au moment où le dictateur déchaine contre la population insurgée l’écrasante supériorité de ses forces militaires ?
Tant de choses se sont passée depuis : la Somalie, en 1993, le 11 septembre 2001, la guerre en Irak et en Afghanistan… Ceci explique l’abstention d’Obama, sans toutefois la justifier. Mais l´Europe ? L´Europe fait de belles affaires sur le marché de l’armement mais quand il s’agit d’une action de police, elle devient plus pacifiste qu’un fakir hindou "pour ne pas déranger". L´Europe a laissé massacrer les Bosniaques pendant des années – or la Bosnie était européenne – jusqu’à ce que Bill Clinton en ait assez. Depuis l’Europe, on voyait à l’œil nu la fumée de Sarajevo, comme on voit aujourd’hui à l’œil nu la fumée de Benghazi.
Les puissances démocratiques — doit-on les appeler comme ça ? — ne se rendent-elles pas compte qu’une telle inertie face aux représailles des milices de Kadhafi justifie a posteriori l’agression unilatérale de Bush contre Saddam Hussein ? Saddam avait parié, comme aujourd’hui Kadhafi, sur l’impuissance des puissances démocratiques. Il a mal joué et il a perdu ; mais il semble que Kadhafi ait plus de chance. Les puissances démocratiques l’ont mis au ban et l’ont menacé de le traîner devant le Tribunal pénal international, lui donnant tout le temps de se ressaisir après le coup infligé par la rébellion et de reconstituer ses forces armées.
Ces puissances se contentent d’être les spectatrices d’une reconquête qui livre aux représailles des gens sans défense. Grisés par leur libération, les insurgés avaient eu la naïveté d’intimer à Kadhafi de se rendre, comme si un condamné pouvait intimer au peloton d’exécution de ne pas tirer, convaincu d’avoir pour eux le soutien — en plus des applaudissements — des forces démocratiques.

Sans police internationale, la police et le TPI ne sont qu'une plaisanterie

Le dilemme est désormais ancien, seul le contexte est nouveau. Tant qu’il n’existera aucune police internationale, la justice et le Tribunal international ne seront qu’une plaisanterie. Kadhafi ne pourra être arrêté ou chassé que dès lors qu’une bonne partie de ses sujets se seront rebellés contre lui, pas avant. On peut objecter qu’une insurrection qui ne compte pas sur ses propres forces n’a pas la légitimité pour gagner, ce à quoi le droit-devoir d’ingérence humanitaire a déjà répondu qu’il fallait la mettre en condition de gagner. Ce n’est pas vrai, ça ne l’a été que très rarement. Une dictature moderne, dynastique et tribale comme celle de Kadhafi confisque suffisamment de richesse pour entretenir un vaste soutien social et une importante garde prétorienne, en exploitant le travail servile d’un grand nombre de sujets, un peuple de fourmis invisibles jusqu’au jour où il se précipite aux frontières.
L'Europe semble plus divisée que jamais. La France de Nicolas Sarkozy a été trop impulsive et a voulu trop en faire, donnant l’impression de céder à un calcul électoral, à la vanité personnelle, et au poids des pertes en Afghanistan ou de la malheureuse opération de libération des otages au Niger, mais au moins l'a-t-il dit. De même la position combative de David Cameron, qui en d’autres temps aurait été prise au sérieux, sonne comme pure rhétorique.
Angela Merkel a employé une expression révélatrice : elle veut "attendre et voir comment la situation évolue". Les peuples qui couvent des désirs de rebellion et de liberté sont ainsi avertis. On dirait que les fausses notes des déclarations européenness sont le concert d’un continent uni pour s'en laver les mains. L’Italie d’ailleurs est insignifiante et entend bien continuer à le rester. Chaque jour qui passe rend le dénouement de la situation de plus en plus complexe. Il est improbable que la persuasion et quelques mesures d’embargo  puissent convaincre la bande de Kadhafi à partir.
Nombreux sont ceux qui rêvent que Kadhafi se remette solidement en selle et qu’on puisse recommencer à commercer et trafiquer avec lui comme avant, mais il y a peu de chances pour que ce rêve se réalise. Alors ? Alors, comme le temps est un facteur décisif,  pour un éventuel déblocage de la situation, l’Europe prend, c’est-à-dire perd, son temps. L’Europe, c’est perdre son temps.

Sarkozy-Le Pen, on refait le match


Étranges cantonales pour lesquelles une partie des Français est appelée aux urnes dimanche. Pas seulement parce que nous avons assisté à une non-campagne où les événements internationaux ont éclipsé les enjeux locaux. Un homme et une femme l'auront accaparée, qui a priori ne sont pas concernés au premier chef par ces élections. Lui, c'est Nicolas Sarkozy. Il pourra mesurer l'ampleur du trouble qui a saisi son électorat, à lire les sondages. Quoi qu'il dise, qu'il fasse ou qu'il change dans ses gouvernements, sa radicale impopularité demeure, démontrant que la perspective d'une défaite à la présidentielle devient plausible. Au point que sa candidature suscite un début de contestation dans son propre camp et que le spectre d'un 21 avril est avancé. François Fillon agite le scénario d'une droite éliminée du second tour. On peut y voir, à la veille d'aller voter, le signe d'une téméraire liberté de parole comme d'un doute profond. Elle, c'est Marine Le Pen dont l'ascension affole la sphère républicaine. Du PS qui s'interroge sur l'utilité des primaires en attendant Godot-DSK, à l'UMP qui en tire argument pour dissuader les candidatures de division et devra, dimanche soir, clarifier sa position : ni alliance avec le diable, ni front républicain en cas de duel gauche-FN au second tour des cantonales, mais quelle consigne de vote ? La percée de la fille idéologique de son père n'a rien d'un phénomène surnaturel. Elle sanctionne une insécurité économique et sociale et un président qui s'égaille dans des débats identitaires au lieu de rassembler. Dans un monde anxiogène, quand la droite se droitise, l'extrême droite bondit. Le paradoxe n'est pas mince : c'est le FN qui donne le ton des cantonales, non pas à travers un programme peau de chagrin dont il ne parle d'ailleurs pas mais en nationalisant un scrutin qui aura vu la droite mettre le drapeau sarkozyste sous le boisseau !

La guerre du bluff

Kadhafi, insaisissable derviche tourneur, n’a pas fini de donner le tournis aux Occidentaux. Après l’adoption de la résolution 1973 par le Conseil de sécurité de l’ONU, Paris et Londres pensaient avoir les moyens de dompter le guide libyen. C’était une illusion : incroyablement résistant, le bédouin n’a cessé, depuis, de les égarer sur les pistes de sa stratégie de survie, ce désert mental apparemment indéchiffrable dont il connaît tous les détours.

Les membres de la coalition pourraient payer très cher leur retard à l’allumage. Jouant avec le cessez-le-feu comme un jongleur, le dirigeant libyen a profité du temps de préparation de ses adversaires pour gagner du terrain jusqu’au dernier moment. Tout était prêt pour une action militaire contre lui, avait déclaré Alain Juppé, hier soir. Oui, mais rien n’était encore déclenché et les alliés pourraient regretter longtemps l’erreur d’avoir attendu le week-end, et le sommet de Paris pour entrer en action.

Ce vendredi crucial a été celui d’un double bluff. D’un côté, la menace pour faire plier le dictateur. De l’autre, la grande manipulation de Kadhafi, qui mystifie tout le monde avec un incroyable culot, osant le mensonge le plus éhonté pour continuer de pousser ses pions. Annoncer son intention de respecter la résolution 1973 pour mieux la violer en douce, continuer de bombarder tout en affirmant vouloir faire taire les armes ? Aucun scrupule ne l’arrête. Aucun tabou. Cet homme qui promet froidement toutes les folies et jure qu’il mettra la Méditerranée à feu et à sang, parvient à compenser un rapport de forces militaire défavorable.

L’horloge des événements joue fatalement contre les démocraties, qui, elles, respectent le droit… Les Occidentaux doivent échapper au piège tendu par leur insaisissable adversaire, mais aussi aux filets de leurs propres ambiguïtés. Défensif, aérien et destiné exclusivement à protéger les populations civiles, le recours à la force voté à New York n’a pas vocation, en effet, à faire chuter Kadhafi… Sur le papier en tout cas. Les cinq grands qui se sont abstenus, dont l’Allemagne, pourraient contester la lecture extensive de cette autorisation que font désormais valoir les Américains.

La confusion qui a dominé toute la nuit a mis en évidence les limites des visées de l’Occident et les doutes sur sa capacité réelle à peser sur le destin immédiat de la Libye. Le pire serait un statu quo, objectivement favorable à Tripoli, qui respecterait les termes de la résolution onusienne. Au mieux, si on peut dire, il ouvrirait la porte à une guerre civile qui, fidèle aux antiques rivalités tribales, opposerait pour longtemps la Tripolitaine, à l’ouest, fidèle au «guide», et la Cyrénaïque, à l’est, partiellement tenue par ses opposants. Un conflit interminable en perspective.


L'honneur est sauf...
 
« Nous venons ce soir et il n'y aura pas de pitié », menaçait le dictateur Kadhafi. Les habitants de Benghazi, terrorisés, s'enfuyaient.

Un pays s'est levé le premier pour empêcher le massacre : la France. Une fois encore, après d'autres drames, tel celui de la Géorgie, le président de la République française, quasiment seul en prenant beaucoup de risques, s'est dressé contre le pire.

Le ministre des Affaires étrangères s'est précipité à l'Onu. Il a redonné confiance aux dirigeants des autres pays. Il a su les convaincre. Il a arraché la motion qui, in extremis, barre la route à Kadhafi. Celui-ci s'est arrêté aux portes de la ville qu'il voulait châtier, comme on faisait jadis envers l'ennemi. Seulement voilà, ces temps affreux sont révolus. Les droits de l'Homme sont passés par là. La poursuite des criminels, agissant sans humanité aucune contre l'Humanité, sont et seront désormais poursuivis. Voilà de quoi faire réfléchir les tyrans autour du monde.

Enfin, et de justesse, notre honneur a été sauvé d'un désastre qui aurait lourdement pesé, demain, en minant la confiance dans la communauté internationale, représentée par l'Onu.

... mais nous ne sommes pas quittes

L'honneur est sauf, mais nous ne sommes pas quittes. Il va nous falloir maintenant honorer notre parole, tenir nos promesses. Ce ne sera pas facile, si nous voulons éviter les erreurs de tirs qui tuent des innocents, ceux que, précisément, nous voulons protéger. Ce ne sera pas facile si nous voulons, et il le faut absolument, éviter les erreurs psychologiques vis-à-vis de ces populations fières et courageuses ; si nous voulons éviter les fautes politiques dans cet « Orient compliqué ».

Heureusement, les Occidentaux ne sont pas seuls dans cette épreuve : la Ligue arabe fait cause commune. C'est nouveau et ce pourrait être, souhaitons-le, fécond pour demain.

Certes, de grands pays émergents ¯ Inde, Brésil, Chine, Russie ¯ se tiennent à l'écart. Mais deux veto ont été évités... Bien sûr, l'attitude distante de l'Allemagne nous pose question et nous déçoit, comme nous a déçus l'attitude de l'Union européenne... Il nous faudra nous expliquer pour dissiper les équivoques et nous comprendre.

Quoi qu'il en soit de l'avenir, un coup d'arrêt a été porté à la dictature ; un geste fort et un message ont été signifiés aux défenseurs de la liberté et des droits de l'Homme ; un soutien est apporté aux démocrates qui veulent construire une société plus juste.

Surtout si vous êtes de droite…

Bon, je sais bien qu’un demi-siècle de « désistement républicain » m’a appris que je ne devrais pas avoir d’ennemi à gauche. Et que je dois plus que jamais me souvenir de cet impératif catégorique électoral, à quelques heures des élections cantonales dont tout le monde se moque totalement entre l’apocalypse nô et la guerre civile en Lybie. Mais encore faudrait-il qu’ils soient de gauche, les ennemis. A votre avis, la phrase suivante, elle est de Sarkozy ou de DSK ? « La réalité, c’est que ces gens-là, ils sont dans la merde. Et y sont gravement. Ils ont beaucoup bricolé, ils savent très bien qu’ils ne paient pas d’impôts, que c’est un sport national de ne pas payer d’impôts en Grèce, que ça truande un maximum. Mais d’un autre côté, si on n’était pas venu à la dernière minute quand ils nous ont demandé de venir, ils seraient tombés au fond du gouffre. » Que tout ça ne vous empêche pas de voter socialiste au second tour, surtout si vous êtes de droite, si par malheur les candidats du Front de Gauche étaient battus au premier.

Non, ce n’est pas la fin du monde

Ce qui se passe actuellement au Japon est terrible, triste à pleurer, certains dévouements de sauveteurs sont admirables et le bilan effrayant, c’est terrible et pourtant ce n’est pas la fin du monde.Au lieu de préparer des plans pour aider les Japonais, fournir ce qui leur manque, soigner les blessés et les brûlés, on assiste un peu partout aux prêches de ces prophètes de l’Apocalypse que dénonce avec raison Jean de Kervasdoué (*). C’est vrai que la matière et l’époque y sont favorables : la matière c’est le nucléaire avec son péché originel, la bombe d’Hiroshima. Quoi qu’on fasse et qu’on dise le réflexe est pavlovien, même si un cœur de réacteur ne peut exploser comme une bombe. Quant à l’époque, c’est celle des sectes millénaristes, des théories du complot, genre on nous cache tout, des salmigondis fantastico-religieux où les sept cavaliers de la Bible portent dans le ciel la mort nucléaire, la fin du monde pour 2012 du calendrier maya, tout cela relayé en boucle sur le Net. Et quand le Commissaire européen à l’Energie et quelques politiques irresponsables en rajoutent, cela ne fait qu’ajouter le catastrophisme à la catastrophe, les peurs irrationnelles au drame bien réel. Il est vain de dire que le charbon tue beaucoup plus que le nucléaire et qu’un barrage qui se rompt en Chine fait 30.000 morts. Face aux mauvais prophètes il faut des leaders responsables, parmi les candidats de 2012, sur le nucléaire, MM. Sarkozy et Strauss-Kahn et Mme Aubry le sont heureusement.

Encore Plus Risible

Les Français ont de la chance. Grâce à l’EPR, le fameux réacteur que le monde entier leur envie – mais que seuls les Finlandais et les Chinois ont acheté jusqu’à présent – ils disposent du nucléaire le plus sûr au monde. Nicolas Sarkozy et Anne Lauvergeon, la présidente d’Areva, ne sont pas souvent sur la même longueur d’ondes. Ils viennent de se retrouver en marge de la catastrophe de Fukushima pour affirmer qu’en France, un tel accident n’aurait pas été possible… grâce à l’EPR. Nombre de députés ont embrayé sur ce thème, faisant fi de toute décence envers les Japonais en deuil et en lutte, et oubliant quelques vérités qui devraient les inciter à la prudence.

Un : à l’heure actuelle, aucun EPR n’est en service dans le monde. Rassurer les Français en leur vantant un réacteur qui n’existe pas encore relève de l’abus de langage. Deux : les autorités de sûreté nucléaire française, finlandaise et anglaise n’ont toujours pas donné leur feu vert au réacteur. Elles jugent son informatique de contrôle et de commande trop fragile. Trois : les chantiers d’Olkiluoto, en Finlande, et de Flamanville, en France, connaissent des retards à répétition, notamment pour des raisons de sécurité. À Flamanville, le chantier a été suspendu en 2008, pendant des mois, par l’ASN, le gendarme du nucléaire, en raison d’anomalies dans le coulage du béton.

Enfin, une double coque autour du réacteur ne suffit pas. Fukushima démontre qu’il faudrait également surprotéger les pompes et les diesels de secours, ce qui n’est le cas ni dans les centrales anciennes, ni pour l’EPR.

Plus puissant, plus compact, moins générateur de déchets que les réacteurs de la « génération Fessenheim », l’EPR bénéficie de trente ans d’expérience nucléaire. Cette expérience rejaillit sur la sécurité, c’est indéniable. Mais d’ici à prétendre que la petite merveille technologique franco-allemande aurait été à l’abri d’un tsunami, il y a de la marge. Le discours de voyageur de commerce des autorités françaises n’est pas convenable. EPR signifie European Pressurised Reactor (réacteur pressurisé européen). Il ne faudrait pas que le sigle devienne l’acronyme d’Encore Plus Risible… que la communication en marge de Tchernobyl. À l’époque, le nuage radioactif était miraculeusement resté de l’autre côté du Rhin… dans les discours officiels. En réalité, il avait pollué la France comme tous ses voisins.

Une guerre trop tard ?

On savait que «la communauté internationale» n’existait pas. Qu’elle n’était qu’un concept de journaliste. Une création du vocabulaire médiatique. Une représentation floue de l’imaginaire diplomatique. On la soupçonnait de n’être, en fait, qu’une hydre sans morale et sans âme. Un agrégat d’intérêts, écartelée par les égoïsmes nationaux.

Le dossier libyen nous prouve que c’est sans doute cette réalité-là qu’il faudra retenir pour toute définition.

Il aura donc fallu attendre que le massacre des insurgés libyens soit imminent pour que les grandes puissances occidentales se décident à faire un geste tardif pour les protéger de la vengeance sanguinaire de l’enragé de Tripoli. Un fou pas si fou que ça, joueur habile capable de planifier un bain de sang en misant à la fois sur l’impotence de l’Europe des 27, sur les hésitations de l’Amérique et sur l’inopérance des gesticulations françaises pour ébranler le froid cynisme du G8. Bingo !

C’est in extremis, en dernier ressort, et après avoir cruellement pris son temps - au point qu’on a pu se demander s’il ne voulait arriver après la bataille - que le conseil de sécurité de l’ONU a fini par donner son feu vert à des frappes ciblées au moment même où les mercenaires de Kadhafi envoyaient leurs premières bombes sur Benghazi.

Faut-il rappeler que les hommes du «guide» libyen sont armés jusqu’aux dents - 50 fois plus que leurs adversaires - avec l’argent du pétrole acheté par les bons amis européens du régime...qui le sont restés jusqu’au 15 février dernier, au moins ?

On espère, entre soulagement et appréhension, qu’il ne sera trop tard. Que les raids aériens annoncés par Alain Juppé auront été lancés dès l’aube et qu’ils parviendront à arrêter les colonnes qui ont déjà semé la mort partout sur le sinistre chemin de la «purge». Mais y aura-t-il encore quelque chose à sauver quand ils seront déclenchés ?

Après s’être spectaculairement et trop longtemps compromis avec Tripoli, Paris a sauvé l’honneur en arrachant à ses partenaires le droit d’intervenir militairement dans le ciel libyen avec le soutien de la Ligue Arabe, et de l’Amérique.

Le président Sarkozy a eu le courage d’aller jusqu’au bout de ses annonces téméraires et brouillonnes qui ont fait naître d’immenses espoirs de reconnaissance chez les opposants libyens mais sans être sûrs de pouvoir les concrétiser. C’est son ministre des affaires étrangères qui a tenu la promesse...

Place à une guerre incertaine, donc, grâce à l’abstention de la Chine et de le Russie. Au nom des droits de l’homme ? Ils n’ont pas pesé très lourd dans cet épisode diplomatique peu glorieux pour les ambassadeurs de la liberté. Ils n’ont pas le pouvoir de faire une politique, c’est sûr. Seulement la capacité de faire sangloter les démocraties d’un œil, en gardant l’autre sec.