TOUT EST DIT

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lundi 20 décembre 2010

L’Europe peut encore faire rêver

La crise de l’euro et les éternelles divisions politiques entre Européens ont réduit l’importance du Vieux continent sur la scène internationale. Il faut réagir, estime le journaliste vénézuélien Moisés Naim, car les alternatives – hégémonie américaine, communisme chinois ou autoritarisme russe – ne sont pas meilleures. 

Pronostiquer l'insignifiance croissante de l'Europe sur la scène internationale est devenu aussi courant que de se moquer des inepties de Bruxelles. D'ici quelques décennies, le poids des économies européennes dans le monde sera passé des 20 % actuels à moins de 10 %. Et les décisions de l'Union européenne ne suscitent guère l'admiration, à juste titre.
Mes récentes visites à Bruxelles me l’ont confirmé : à l’heure actuelle, le projet européen ressemble plus à un programme d'emplois publics destiné aux classes moyennes du continent qu'à une idée porteuse d'espoir, propre à mobiliser les meilleures énergies de la région.

Des valeurs et des exemples supérieurs à n'importe quelle autre région

L'incapacité de l'UE à résoudre la crise économique n'est qu'un symptôme d'un problème de leadership plus profond. Pourquoi l'Europe a-t-elle été frappée plus durement et plus longtemps que les autres par la crise mondiale ? La crise de l'Irlande est venue encore aggraver le pessimisme. Gideon Rachman, par exemple, écrit dans le Financial Times : “Vu la situation actuelle, je suis prêt à parier que la monnaie commune va disparaître et que le bourreau de l'euro sera l'Allemagne”. Il estime en effet que les crises financières successives vont venir à bout de la patience des Allemands, qui vont finir par penser qu'ils ont payé le prix fort, tandis que les autres pays n'ont pas été à la hauteur des circonstances. Résultat, “l'Allemagne sera libérée de son obligation historique de construire l'Europe”.
Naturellement, l'effondrement du système monétaire européen porterait un coup très dur, peut-être insurmontable, au projet d’Europe unie. Ce serait mauvais pour l'Europe, c’est évident. Ce qui l’est moins, c'est que l’absence d’une Europe influente et intégrée serait une grande perte pour le reste du monde. L'Europe transmet au reste du monde des valeurs et des exemples supérieurs à ceux qui viennent de n'importe quelle autre région.

PC chinois, Russie de Poutine ou Europe ?

Le déclin économique et politique de l'Europe affaiblit ces influences positives. Son refus de la guerre, enseignement des deux terribles conflits du XXe siècle, lui vaut le mépris de ceux qui confondent pacifisme et faiblesse. Mais un monde où une puissance évite la guerre au risque de se tromper vaut mieux qu'un monde où les pays forts déclenchent des “guerres préventives”, sans se soucier de savoir s’ils se trompent. Si le gouvernement de votre pays commence à violer les droits, à torturer, à faire disparaître des opposants et à emprisonner des journalistes, qui préférez-vous qui ait le dernier mot au sein de la communauté internationale ? Le Parti communiste chinois ? La Russie de Poutine ? Ou l'Europe ?
Tandis qu'aux Etats-Unis ont tolère la plus injuste redistribution des richesses jamais vue depuis un siècle, et à l'heure où la Russie et la Chine fêtent les nouveaux riches qui accumulent des fortunes inimaginables, l'Europe continue à être allergique aux inégalités. Que préférez-vous ? Un monde où 1 % de la population accapare 95 % des richesses, et où une masse pauvre et exclue se dispute le 5 % restants ? Ou bien un monde dominé par une vaste classe moyenne, croissante et politiquement puissante ?

L'expérience la plus ambitieuse jamais tentée par l'humanité

L'Europe représente ce deuxième scénario. Nous savons que le modèle social européen est le meilleur du monde, et nous savons aussi que dans de nombreux pays il n'est pas viable. Mais un modèle où des millions de gens sont privés de soins de santé ou deviennent des laissés-pour-compte lorsqu’ils perdent leur emploi ou prennent leur retraite, n'est pas non plus viable ni digne d'être imité. L'aide européenne au développement est généralement inefficace. Mais personne n'est plus généreux que les Européens envers les plus démunis.
Du fait de la mondialisation, un nombre grandissant de problèmes exigent des réponses coordonnées entre plusieurs pays. L'expérience européenne de gouvernement collectif est la plus ambitieuse jamais tentée par l'humanité. Son échec conduirait de nombreux pays à renoncer à ce projet et à ne plus rien tenter de semblable pendant longtemps. Or nous ne pouvons pas nous offrir le luxe de perdre un tel temps. Je ne sais pas si le projet d'intégration de l'Europe surmontera les immenses obstacles auxquels il est confronté. En revanche, je sais que s’il échoue, ce sera un échec pour le monde entier.

Laissons tomber Loukachenko, pas son peuple

Le président biélorusse devrait entamer un quatrième mandat après des élections a priori truquées. L'Occident ne devrait cependant pas tourner le dos à ce pays de l'Est, écrit le quotidien polonais Rzeczpospolita. 

Et donc, une fois de plus, une élection biélorusse pose problème à l’Occident. Des adversaires du président passés à tabac par la police, des manifestants antigouvernementaux matraqués, des chefs de l’opposition interpellés — tout cela n’encourage guère à l’ouverture envers la Biélorussie de Loukachenko. Au contraire, on se croirait revenu à la triste époque où Alexandre Loukachenko était surnommé le “dernier dictateur d’Europe”.
Le résultat du vote de dimanche (79,67 % des voix en faveur du président sortant) est remis en cause à Minsk, des sources proches de l’opposition estimant que les chiffres de Loukachenko seraient en réalité inférieurs de moitié à ceux rapportés par les sondages de sortie des urnes orchestrés par les autorités.
Quelle devrait alors être notre réaction face aux résultats officiels ? Devrions-nous réimposer des sanctions au régime biélorusse, de nouveau interdire à ses représentants de se rendre à l’Ouest, priver Loukachenko des pentes alpines et de raouts avec Berlusconi ? Il est plus facile de dire quelle devrait être notre réaction face aux brutalités dont Vladimir Nekaïev, le candidat de l’opposition, a été victime : des critiques et une indignation sans faille.

L'Occident ne voit rien de mal à négocier avec d'autres démocraties suspectes

Nous devrions cependant nous abstenir de toute décision prise sous le coup de l’émotion. Je ne suggère pas que nous devrions faire comme s’il ne s’était rien passé. Il s’est passé bien des choses, et nous devrions le clamer haut et fort. Il faut exiger des explications quant au décompte des voix et aux agressions policières contre les chefs de l’opposition.
Cela dit, l'Occident ne doit pas hésiter entre les sanctions et les promesses. Il ne doit pas, tel jour, brandir le bâton contre le régime pour lui proposer une carotte dès le lendemain. Ceux qui lui ont proposé une botte de carottes avant les élections s'attendaient-il vraiment à ce qu'il respecte les règles du jeu démocratique ? S'attendaient-ils par exemple à ce que la mentalité des fonctionnaires des bureaux de vote change du jour au lendemain ?
La Biélorussie n'est pas le seul pays à l'est de l'UE où les élections soient pour le moins douteuses. Or l'Occident ne voit rien de mal à négocier avec les autres leaders régionaux et à faire des affaires avec eux. Il y a un certain pays à l'est de l'UE qui s'appelle la Russie, où la police s'en prend à une vieille dame de 82 ans, sans que cela entraîne la moindre détérioration des relations avec l'Occident.
M. Loukachenko a de nombreux péchés sur la conscience et un jour son propre peuple l'obligera sans doute à rendre des comptes. Mais sous son règne, la Biélorussie a renforcé sa souveraineté. Elle n'est pas un partenaire facile et ce n'est pas près de changer.
L'Ouest devrait réfléchir sérieusement à l'éventualité de rompre ses liens avec Loukachenko, à condition bien sûr de ne pas tourner le dos aux Biélorusses. La Biélorussie n'est pas encore irrévocablement perdue pour l'Occident.


Vu de Moscou

Merci à l'Europe et la Russie

"Sa principale victoire, Alexandre Loukachenko l’a arrachée sur le terrain de la politique étrangère, constate Gazeta.ru. Pourtant, il y a encore 3 ou 4 mois, il lui aurait été difficile d'en espérer autant." : "L'Occident lui demandait de libéraliser sa politique intérieure et la Russie sapait son économie". Mais, "au lieu de recevoir une pluie de menaces, la Biélorussie a été l’objet d’une cour intense", raconte le journal en ligne russe. "Des responsables européens se sont rendus à Minsk avec des offres de coopération, puis la Russie reprit ses livraisons de pétrole détaxé, en échange de l'accord biélorusse à la création d'un Espace économique unifié. Côté européen, on a évoqué des aides financières de 3 milliards d'euros, côté russe, le coût de la mesure a été évalué à 2 milliards de dollars par an."  "La démonstration faite par Loukachenko qu'il était capable d’entraîner son pays en direction de l'Europe a contraint le Kremlin de trouver les moyens de récupérer son ‘allié stratégique’, remarque Gazeta.ru. La situation de l'Europe est beaucoup plus simple. Elle a besoin d'un processus plus que d'un résultat, ce qui peut s'obtenir avec Loukachenko à la tête de l'Etat, et qui d'ailleurs se produit déjà."


Côte d'Ivoire : l'isolement de Laurent Gbagbo s'accroît

Au lendemain des accusations d'exactions «massives» portées par l'ONU contre son camp, le président sortant s'est vu imposer des sanctions par l'Union européenne. Le Conseil de sécurité de l'Onu doit étudier ce lundi la prolongation de sa mission en Côte d'Ivoire.

La Côte d'Ivoire s'enfonce dans la violence. Mais lundi, le ministre de l'Intérieur de Laurent Gbagbo, Emile Guiriéoulou, a rejeté les accusations de «violations massives des droits de l'Homme» portées la veille par la Haut commissaire aux droits de l'Homme de l'ONU, Navi Pillay. «C'est un rapport partisan», a-t-il dénoncé. «Les violences de ces derniers jours ont fait près de 14 tués par balles dans le rang des Forces de défense et de sécurité (FDS)» fidèles à Laurent Gbagbo, a-t-il également affirmé. «Et ceci, on ne le dit pas assez».
Dimanche, Navi Pillay avait affirmé dans un communiqué écrit depuis Genève que les violences contre des partisans du rival de Laurent Gbagbo, Alassane Ouattara, avaient fait «ces trois derniers jours plus de 50 morts». Elle avait aussi dénoncé des «violations massives des droits de l'Homme», évoquant en particulier des enlèvements commis de nuit par des «individus armés non identifiés en tenue militaire», accompagnés par des soldats des FDS et des miliciens fidèles à Laurent Gbagbo.
Lundi, le chef de l'Onuci, l'Opération des Nations unies en Côte d'Ivoire, a surenchéri en dénonçant l'accroissement des «actes hostiles» commis depuis le 15 décembre «par le camp du président Gbagbo à l'endroit de la communauté internationale, y compris le corps diplomatique». Il a affirmé que depuis samedi, le camp Gbagbo avait «commencé à envoyer des jeunes gens armés aux domiciles des personnels des Nations unies pour demander la date de leur départ ou pour y effectuer des fouilles sous prétexte de chercher des armes». «Ces visites ont surtout lieu la nuit», a-t-il précisé.

Gbagbo et ses proches interdits de voyager

Le Conseil de sécurité de l'ONU doit se réunir ce lundi pour étudier la prolongation de sa mission en Côte d'Ivoire au-delà du 31 décembre. A Laurent Gbagbo qui a exigé le départ «immédiat» des Casques bleus, Ban Ki-moon, secrétaire général de l'ONU, a opposé une fin de non-recevoir et mis en garde le président sortant des «conséquences» que pourraient avoir des attaques contre l'Onuci.
En tout état de cause, lundi matin, un photographe de l'AFP a vu trois personnes venir se faire soigne au siège de l'Onuci. Ces dernièrers ont affirmé avoir été blessés pendant la nuit dans des quartiers d'Abidjan.
Résultat des courses, l'Union européenne est passé aux sanctions lundi. A l'issue d'une réunion d'experts, Bruxelles a interdit à Laurent Gbagbo et à 18 de ses proches, dont son épouse, de voyager sur son territoire. Cette décision doit être confirmée par écrit d'ici mercredi par les Etats membres de l'UE pour pouvoir entrer en vigueur.
Par la voix du président Nicolas Sarkozy, la France, ancienne puissance coloniale en Côte d'Ivoire, avait pourtant lancé vendredi un ultimatum à Gbagbo, l'enjoignant à quitter le pouvoir d'ici dimanche soir sous peine d'être frappé par de telles sanctions. Pour le chef d'Etat français, «ce qui se passe en Côte d'Ivoire est parfaitement inadmissible».

GB : la neige perturbe aussi nos voisins



Pourquoi un tel blocage dans les aéroports ?



Neige et froid continuent de perturber le nord de l'Europe

Neige et froid ont encore provoqué lundi des perturbations dans le nord de l'Europe, avec des passagers bloqués dans les aéroports, des centaines de kilomètres de bouchons sur les routes et des écoles fermées.
En France, la neige a surtout touché le nord du pays et l'Ile-de-France, où près d'un tiers des vols ont été annulés
Un millier de vols ont été annulés dans les principaux aéroports d'Allemagne, à Francfort, Munich et Berlin. De nombreux autres ont été retardés en raison d'une couche de 40 cm de neige qui a recouvert tout le pays. Un demi-millier de passagers ont ainsi dû passer la nuit sur des lits de camp à Francfort.
En raison de la neige qui s'accumule depuis deux semaines en Allemagne, les compagnies aériennes ont invité leurs clients à prendre le train mais la Deutsche Bahn, dont les trains sont déjà bondés en cette période de départs en vacances, a appelé les Allemands à rester chez eux.
Cette situation fait perdre leur patience aux Allemands, habitués à la ponctualité de leurs transports mais contraints d'attendre des heures dans des gares gelées ou dans des terminaux d'aéroports surpeuplés.
Les services météorologiques annoncent en outre de nouvelles chutes de neige.
LUGES EN RUPTURE DE STOCKS
"Les trains sont systématiquement en retard désormais", se lamente Lothar Ast, un Allemand de 57 ans qui grelotte dans une gare de Berlin. "Ils sont tellement bondés qu'on ne peut pas monter dedans et il faut attendre le suivant."
Dorothea Fürst, employée dans un commerce, renchérit: "Les trains n'arrivent jamais à l'heure. Le retard sera-t-il d'un quart d'heure, d'une demi-heure ? Tout le monde se le demande."
Un employé des chemins de fer a été tué à Berlin en se faisant renverser par un train alors qu'il tentait d'enlever la glace sur un aiguillage.
Ceux qui se frottent les mains sont les vendeurs de luges, en rupture de stocks en Allemagne. "Toute cette neige, ce n'est amusant que si on est un enfant", remarque Katja-Julia Fischer, avocate de 42 ans. "Ça me tape sur les nerfs."
Fait rare, la Rhénanie du Nord-Westphalie, Land le plus peuplé d'Allemagne, a interdit la circulation des poids lourds sur ses autoroutes afin de faciliter le trafic des voitures.
La Belgique a fait de même sur ses principaux axes routiers après un pic de 600 km de bouchons lundi matin, en pleine heure de pointe, en Wallonie.
Aux Pays-Bas, les autorités ont limité la vitesse à 50 km/h sur plusieurs portions d'autoroute en raison des accidents provoqués par le verglas.
LES MAGASINS FONT GRISE MINE
Au Royaume-Uni, British Airways a annoncé que les conditions climatiques continuaient de perturber fortement ses activités. Elle a prévenu les voyageurs qu'ils devaient s'attendre à de nouveaux retards et annulations de vols en raison des nouvelles chutes de neige annoncées.
Une seule des deux pistes était ouverte lundi à l'aéroport de Londres-Heathrow, paralysé par la neige durant le week-end.

Les autres aéroports britanniques étaient ouverts mais de nombreux vols ont à nouveau été annulés ou fortement retardés. Des passagers ont ainsi dû passer une deuxième nuit consécutive dans l'un de ces aéroports.
"Il y a des risques de nouvelles chutes de neige sur le sud de la Grande-Bretagne dans la soirée et durant toute la journée de demain", a dit Steve Willington, responsables des services météorologiques britanniques.
Le trafic Eurostar entre Paris, Londres et Bruxelles a été perturbé en raison des limitations de vitesse et la société ne vend plus de billets jusqu'au 24 décembre inclus.
En Pologne, six personnes sont mortes de froid dimanche soir, portant à 114 morts le bilan de la brutale baisse des températures au cours du mois écoulé.
Neige et froid pèsent aussi sur l'activité des magasins à l'approche de Noël.
John Lewis, la principale chaîne de supermarchés en Grande-Bretagne, a fait état d'une chute de ses ventes de plus de 10% samedi, pourtant le dernier avant Noël. En France, Auchan avait dû fermer huit de ses hypermarchés au début du mois en raison des précédentes chutes de neige.
Les ventes de Noël sur internet semblent en revanche profiter de la vague de froid, malgré les risques que font peser les intempéries sur les délais de livraison.
Bertrand Boucey pour le service français, édité par Gilles Trequesser

ENTRETIEN AVEC JACQUELINE DE ROMILLY EN 2004.

Jacqueline de Romilly: "L'enseignement du grec n'est pas un luxe!"
 «Un coup terrible vient d'être porté aux enseignements littéraires!» Jacqueline de Romilly, 91 ans, académicienne, spécialiste internationalement reconnue du monde grec, lance ici un appel à la sauvegarde des humanités classiques, le latin et le grec, «plus que jamais» menacés de disparition. Elle publie simultanément deux livres, généreux et passionnants, qui invitent à la (re) découverte de la Grèce ancienne et à la compréhension de nos racines. Une certaine idée de la Grèce (de Fallois) tient à la fois du témoignage et de l'explication de texte: Jacqueline de Romilly revient, grâce aux questions d'Alexandre Grandazzi, sur son parcours intellectuel mais aussi sur ses «chers Grecs», Thucydide, Homère, Hérodote, Eschyle, Euripide ou Sophocle, analysant leurs apports, pointant les évolutions et les ruptures, affirmant leur modernité et le plaisir que l'on goûte à vivre en leur compagnie. De la flûte à la lyre (Fata Morgana) est un petit livre éblouissant d'intelligence dans lequel il est beaucoup question de musique: le chant des sirènes, Ariane et Phèdre, Apollon à la lyre dorée... Jacqueline de Romilly communique ses admirations et ses étonnements avec une ferveur rare. Sous sa plume, la civilisation grecque apparaît dans tout son éclat: indispensable pour comprendre les enjeux de l'avenir.
 
Comment se portent le latin et le grec?
Mal. De plus en plus mal. Je suis plus inquiète que jamais. 
Que se passe-t-il?
Vous souvenez-vous du premier vers de ce poème de Baudelaire: «Andromaque, je pense à vous...»? Eh bien, nos administrateurs n'ont pas les mêmes pensées! Et je me demande si les élèves, dans quelques années, sauront encore qu'Andromaque n'est pas un personnage contemporain... Cela fait déjà longtemps que le latin et le grec sont maltraités. Mais la catastrophe est arrivée quand une réunion de recteurs a décidé de faire des coupes sombres et de ne maintenir l'enseignement des humanités classiques dans le secondaire que dans un ou deux établissements par académie. Ce qui, évidemment, condamne, à terme, ces enseignements car il n'y aura qu'un nombre de plus en plus limité d'élèves qui pourront les choisir. Il se passe donc que, à la rentrée scolaire de septembre 2004, l'enseignement du latin et du grec risque tout simplement de disparaître des lycées et collèges: il y aura encore moins de classes qu'aujourd'hui et elles seront localisées. C'est un coup terrible porté aux enseignements littéraires. Et c'est pourquoi je lance un appel à l'aide. Je l'ai fait il y a quelques semaines dans les colonnes du Figaro, je persiste et je signe dans Lire: il faut que le public nous aide. 
«La Grèce a inventé l'histoire, la démocratie, le sens du tragique et de la beauté, la philosophie, la justice.» De quelle façon?
En soutenant les lettres et, au besoin, en signant la pétition que nous avons mise en ligne sur le site www.sel.asso.fr. L'enjeu est capital, il en va de l'avenir de notre culture. 
En réponse à ce cri d'alarme, que vous lancez depuis plusieurs années à travers vos livres et vos articles, le ministre de l'Education, Luc Ferry, a écrit (Le Figaro du 4 mars 2004) que vous étiez «de bonne foi» mais «égarée par la rumeur»; il a affirmé qu'il n'existait «aucun programme d'extermination insidieuse» et assure qu'il fera «tout ce qui est en son pouvoir pour les sauver d'un déclin». Etes-vous rassurée?
Non, pas vraiment. Il est très possible qu'il n'y ait pas de plan délibéré pour tuer les études classiques. Je suis prête à l'admettre. Mais l'attitude actuelle consiste à fermer les yeux, à développer l'idée selon laquelle faire du latin ou du grec est devenu un problème et à décourager les élèves de s'engager dans ces voies considérées (évidemment à tort) comme inutiles. Quant à dire que nous sommes égarés par la rumeur, c'est parfaitement faux: je m'occupe depuis longtemps de l'association Sauvegarde des enseignements littéraires* où nous recevons un volumineux courrier de parents et d'élèves accablés car les proviseurs refusent les classes de latin et de grec en arguant que les effectifs ne seront pas assez nombreux... Et quand ces cours existent déjà, ils sont placés à des horaires intenables pour les élèves qui finissent par abandonner faute d'un emploi du temps cohérent mais aussi parce que les niveaux sont mélangés... Ce dernier point est fondamental. Dans ce calcul, on oublie dans trop de cas qu'il existe deux séries d'options de grec: l'option de détermination (qui consiste à présenter cette matière au bac) et l'option facultative (qui consiste à dire que l'on aimerait bien avoir fait un peu de ces langues). Mais les élèves se retrouvent dans la même classe avec les mêmes professeurs! C'est une erreur qu'il faut absolument réparer. Il semblerait que ce soit en cours: dans l'académie de Bordeaux, par exemple, il y aurait déjà eu treize rétablissements de classes sur vingt-huit qui furent supprimées. Mais il faudrait vérifier ce chiffre. J'ajoute que ces suppressions brusques, en cours d'études, sont semblables à une rupture de contrat et achèvent de décourager les élèves: quelle confiance peut-on avoir dans des cours qui sont supprimés, rétablis, supprimés de nouveau? C'est comme un médicament que l'on retirerait puis remettrait en vente puis retirerait encore, et ceci à l'infini... on finit par abandonner et passer à autre chose. Le manque d'argent et de place pour enseigner les humanités classiques, telle est la réalité concrète. Quoi qu'il en soit, fermer les classes de latin et de grec uniquement en fonction des chiffres (qui ne sont d'ailleurs pas si bas que cela), sans se préoccuper des conséquences de la valeur formatrice de ces langues ni de la place dans l'histoire de cet enseignement, est fatal et absurde. Ce principe est choquant; il est ici clairement avoué. Dans un pays, on ne peut pas organiser l'enseignement pour les jeunes uniquement en fonction du nombre. Pas assez de candidats inscrits, donc adieu! Mais si l'on veut absolument faire des économies, que l'on choisisse d'autres critères: pourquoi ne pas remplacer tous les cours des autres matières par l'initiation sexuelle? Voilà qui connaîtrait un succès beaucoup plus grand! Là, le nombre est assuré... Derrière cela, je vois un danger beaucoup plus grand: le plus grand nombre ne doit en aucun cas devenir un critère d'enseignement. 
Les chiffres fournis par le ministère de l'Education montrent que si 135 761 élèves choisissent le latin en 5e, ils ne sont plus que 10 468 en terminale. Et pour 14 750 jeunes gens qui choisissent le grec en 3e, il n'en reste que 2 343 en terminale. Comment expliquer cette érosion?
Au lieu de se fonder sur les chiffres actuels, il faut regarder de près la façon dont tout cela est arrivé. 
C'est-à-dire?
C'est-à-dire que tout est fait, depuis longtemps, pour écarter le latin et le grec. Or tout prouve que là où il y a un bon professeur, il y a aussitôt une classe assez nombreuse qui s'ouvre. Je ne défends pas l'ouverture des classes pour trois élèves, mais il me paraît indispensable que l'on puisse laisser un professeur créer sa classe là où six, sept ou huit élèves veulent étudier. Mais pour qu'un professeur soit passionné par son travail, il faut qu'il y croit, qu'il se sente un peu aidé. Or, aujourd'hui, les professeurs de latin et de grec se sentent abandonnés et menacés par l'absence de parole politique forte et claire: nous ne pouvons pas, nous autres enseignants, être les seuls à dire aux familles et aux élèves que le latin et le grec sont importants. Et s'il existe la moindre propagande contre ces enseignements, les élèves se démobilisent et ne les choisissent plus. Mais pour répondre à votre question, rappelons que c'est François Bayrou qui, lorsqu'il était ministre de l'Education, a réintroduit le latin en 5e, ce qui est une excellente initiative. L'érosion, comme disent les ministres, a toujours existé, dans tous les systèmes. Mais depuis que le latin et le grec sont des matières à option, les élèves ne les choisissent plus car ils ont en vue leur bac, leur emploi plus tard, etc. Et ils abandonnent ce qui leur paraît n'être qu'un luxe car ils estiment, à juste titre, que ces matières ne paieront pas suffisamment lors de l'examen du bac. 
«Notre époque voue un culte à la rentabilité et ne se pose que deux questions: "A quoi ça sert?" et "Qu'est-ce que ça rapporte?"» Mais comment encourager, concrètement, les jeunes à choisir en option le latin ou le grec?
En oubliant les pieuses déclarations d'intention et en publiant des circulaires. Il faut donner du courage et de l'espérance. Je ne veux pas critiquer la personnalité de nos deux ministres, Luc Ferry et Xavier Darcos, mais ils n'ont, concrètement, rien fait pour prouver leur attachement aux humanités classiques: aucune déclaration, des établissements laissés à eux-mêmes et encombrés de la difficulté de placer une option, aucune mesure pour que les proviseurs ne finissent pas par se dire que s'ils ne parviennent pas à mettre ces enseignements en place «tout cela n'a pas d'importance» ... Je vais avoir 91 ans. Autant dire que j'ai connu bien des ministres! Il est arrivé, même récemment, que les choses se passent beaucoup mieux. Il suffirait de proposer une meilleure rétribution de ces options au baccalauréat: que le latin et le grec rapportent plus de points et d'avantages. On ne peut pas demander aux jeunes d'être purement désintéressés... Surtout si, en plus, on ne leur explique pas que choisir l'option latin ou grec, c'est être intéressé à long terme. Ce travail, c'est aux pouvoirs publics de le faire, non? 
Les humanités classiques seraient donc victimes d'une idéologie de l'utilité?
Ah, oui! Sans l'ombre d'un doute. Et cela remonte à bien des années. Nous vivons à l'âge du matérialisme: ce dont on ne peut tirer un avantage immédiat - même s'il est beaucoup plus grand pour l'avenir - est perdu. Allumez la radio et vous tomberez sur les dernières nouvelles de la Bourse ou la compétition sportive... Notre époque voue un culte à la rentabilité, à la réussite pratique et ne se pose que deux questions: «A quoi ça sert? Qu'est-ce que ça rapporte?» 
Pour le dire dans le langage matérialiste de notre époque: «A quoi ça sert?» et «Qu'est-ce que ça rapporte?»
Rappelons que ces langues sont étroitement liées au français: elles sont le point de départ de notre langue et de notre culture. Ce sont nos racines. Mais la réponse à votre question tient en deux points. Tout d'abord, cela sert - et énormément - parce que l'effort pour apprendre ces langues demande une grande attention, obligeant par conséquent les jeunes élèves à regarder de près les mots ainsi qu'à comprendre les fonctions grammaticales (ce que l'on n'explique plus tellement, y compris pour le français), à utiliser leur jugement pour savoir si telle phrase fait sens, comprendre pourquoi ils se sont trompés... Bref, c'est une formation extraordinaire pour l'apprentissage de la langue française ainsi que pour l'exercice de l'esprit critique. Le problème est que les élèves se rendent rarement compte de ces bienfaits puisqu'ils ne sont pas toujours immédiats. Le second aspect, ce sont les textes, la culture, la merveille du contact... On découvre, dans l'étude de ces langues, le point de départ des principales idées contemporaines. C'est vrai pour la démocratie, dont on parle beaucoup en ce moment, mais aussi de tous les mots qui, aujourd'hui, désignent les grands principes et les grandes valeurs de la vie quotidienne: ces mots partent du grec où l'on peut les contempler et les comprendre dans toute leur simplicité. Mais, surtout, les Grecs racontaient à travers des personnages et des mythes des choses concrètes que les jeunes élèves peuvent ressentir mieux que personne. C'est le b.a.-ba des valeurs, sous une forme très concrète (celle d'histoires et de mythes), ouverte à tout le monde, par-delà les clivages et les difficultés. Le latin et le grec relèvent donc de la formation intellectuelle. Tout comme, pour le sportif, l'entraînement (qui n'a aucun rapport direct avec la compétition finale) relève de la formation physique. Par l'enseignement de ces deux langues, nous donnons aux jeunes gens les moyens de penser et de sentir. Tout un vocabulaire de l'esprit. Suspendez cet enseignement et vous coupez les jeunes du passé - ce qui est déjà largement le cas. 
C'est une assez bonne réponse à tous ceux qui pensent que le latin et le grec relèvent de l'élitisme...
Je pense, tout au contraire, que l'enseignement du latin et du grec, qui permet une meilleure adaptation au français et donne des exemples de textes qui ne sont pas nationaux, est un chemin d'accès vers la culture pour des gens qui ne sont pas des privilégiés. Les expériences faites dans des pays étrangers ont montré que c'étaient souvent des élèves venus de milieux modestes, un peu perdus, n'ayant pas de repères, qui se montraient les plus doués et les plus contents de cette aide. Prenez l'exemple de la méthode Assimil pour le grec ancien. C'était une idée inattendue, mais tout a été vendu: 3 000 exemplaires en quelques semaines... Il y a donc une véritable curiosité pour ces langues. 
Cela signifie-t-il que, pour enseigner et captiver les élèves, les professeurs devraient recourir aux mythes plus qu'à la grammaire?
Je ne sais pas où vous avez pris que les professeurs s'enfermaient dans la grammaire... Aujourd'hui, cela fait bien longtemps que je n'enseigne plus, mais je n'ai jamais connu de professeur qui ne soit pas transporté par le texte qu'il expliquait. Il est vrai, cependant, que les directives dont on leur bourre désormais le crâne peuvent fausser le jeu mais je suis absolument contre cette idée que si ça ne va pas c'est de la faute des professeurs. Ils font ce qu'ils peuvent dans la mesure où on leur donne des élèves! Et les élèves adorent ces enseignements! Que l'on nous facilite l'existence de cet enseignement; après, on verra s'il y a tant de difficultés que cela... 
Vous êtes toujours aussi batailleuse: d'où tirez-vous cette énergie?
Pas batailleuse, convaincue! La conviction donne beaucoup de force, vous savez. Je suis aveugle depuis maintenant six ans. Je vis seule, sans enfants et sans famille. J'ai donc tout mon temps pour mener ce combat, puisque que je ne peux plus écrire ni relire mes chers Grecs. 
Pourquoi les Grecs écrivaient-ils des choses si fortes et si belles? Comment cette littérature est-elle née?
Ecrire, à cette époque, était toute une affaire! C'était difficile, incommode, la plupart des gens ne lisaient pas mais possédaient une grande mémoire. Les Grecs écrivaient donc avec soin parce qu'ils sentaient que c'était un acte important. 
Aujourd'hui, on écrit vite et n'importe quoi?
C'est ce que je ressens parfois, quand je constate la multitude de fautes de syntaxe ou d'orthographe dans un roman ou un courrier ministériel. Les Grecs étaient fiers de ce qu'ils faisaient et de ce qu'ils découvraient; nous le sommes sans doute moins. 
Que répondez-vous à ceux qui jugent que ce combat pour la sauvegarde du latin et du grec est passéiste?
C'est agaçant et absurde. Bien sûr que non, nous ne voulons pas retourner au passé. Ni à Athènes, ni à Rome! Ni à aucun mode de pensée antique, comme s'il n'y avait pas eu de progrès après! Ce que nous voulons, à travers l'enseignement de ces langues, c'est retrouver l'élan intérieur, la simplicité première et l'éveil. 
En lisant votre livre d'entretiens avec Alexandre Grandazzi, Une certaine idée de la Grèce, où vous évoquez quelques souvenirs, on se demande pourquoi vous n'avez jamais écrit vos mémoires ou une autobiographie?
Parce que je n'ai pas de biographie. 
Ah, non! Ça, ce n'est pas vrai...
Mais si, je vous assure. Qu'ai-je fait de ma vie? Uniquement mon métier. J'ai enseigné. Et j'ai écrit, et j'écris encore, des petites choses sur Thucydide, Homère, Hector ou Alcibiade... 
Des «petites choses» qui ont révolutionné notre compréhension du monde grec et émerveillé des milliers de lecteurs... Ce n'est pas rien, quand même?
C'est vous qui le dites. Une biographie, c'est plus que cela. Il faudrait raconter les rencontres avec telle ou telle personne... Quel intérêt? Ça ne regarde que moi. 
Et puis, j'estime qu'au cours de ma vie j'ai beaucoup plus rencontré Périclès et Eschyle que mes contemporains. Ils peuplent ma vie, de mon réveil jusqu'à mon coucher. J'aime les contacts humains, ceux que procurent l'enseignement ou l'Académie française, mais je ne suis jamais aussi heureuse que lorsqu'on me lit une page de grec. 
Vous vous intéressez donc à l'Histoire mais pas à votre propre histoire?
Je ne m'intéresse pas à l'Histoire mais à la littérature. La différence est fondamentale. Récemment un de mes collègues de l'Académie des belles-lettres et inscriptions est tombé des nues lorsque je lui ai dit que je n'aimais l'histoire que dans la mesure où elle expliquait la littérature. Il m'a répondu que lui ne s'intéressait à la littérature que dans la mesure où elle était un document pour l'historien... Ce sont deux points de vue opposés, et j'ai depuis toujours choisi mon camp. Ce qui m'exaspère le plus, c'est ce point de vue sociologique et anthropologique qui prétend que l'on retiendra surtout de l'étude de la civilisation grecque l'existence de l'esclavage, la faible place faite aux femmes, etc. Cette approche est réductrice et n'offre aucun intérêt. Ce qui est encore vivant dans la Grèce ancienne, c'est la littérature. 
Comment définiriez-vous cette «certaine idée de la Grèce» qui vous anime depuis votre enfance?
Je dirai que c'est une façon particulière de regarder la Grèce. Je la regarde du point de vue de l'élan d'invention qui est encore présent et fécond aujourd'hui: la Grèce a inventé l'histoire, la démocratie, le sens du tragique et de la beauté, la philosophie, la justice... Le fait, par exemple, que paraissent beaucoup d'ouvrages sur Homère et le trajet exact d'Ulysse me paraît relever d'une saine curiosité mais je dois avouer que ça m'est un peu égal. Ce qui m'émeut, c'est l'?uvre. 
Récemment, des historiens ont prétendu détenir la preuve qu'Homère n'avait jamais existé, et l'on tient pour sûr qu'il n'a pas rédigé l'Odyssée: cette révélation change-t-elle quelque chose?
Franchement, quelle importance? Voilà qui m'intéresse beaucoup moins que d'essayer de comprendre les textes. La vraie question n'est pas «Est-ce qu'il y a eu un Homère?», mais «A-t-il été l'auteur des premiers éléments ou l'auteur de la synthèse?» La réponse ne change strictement rien à la beauté de l'Iliade et de l'Odyssée, et ne fait absolument pas progresser notre compréhension de l'oeuvre. 
Au cours de votre vie, vous vous êtes beaucoup intéressée à l'histoire et à la littérature grecque, mais assez peu à la mythologie, laissant ce champ à d'autres de vos collègues, comme Jean-Pierre Vernant. Pour quelles raisons?
C'est vrai. Il y a d'ailleurs eu une division officielle entre Jean-Pierre Vernant, qui est un ami et que j'estime infiniment, et moi: nos deux chaires au Collège de France étaient différentes. 
Un Yalta de la pensée grecque?
Si vous voulez... Disons plutôt une division des centres d'intérêt, mais en fonction du critère suivant: le rapport aux textes grecs. Vernant s'intéresse surtout à la question «Qu'y avait-il avant?» et a entrepris de retrouver l'élément primitif, les modes de pensée, l'anthropologie... Je me suis surtout posée la question «Qu'y a-t-il après?» Or chaque grande ?uvre grecque présente les deux points de vue. Cela dit, je rattrape le temps perdu: je travaille en ce moment à un livre que je n'aurai plus le temps d'écrire, mais qui m'aurait beaucoup intéressée, et que j'appellerai Le miroir des mythes.  
De quoi s'agit-il?
Chaque époque - y compris la nôtre - traite le mythe d'une façon qui nous renvoie l'image de cette époque. Or, je me suis aperçue que la tragédie grecque avait été construite afin de dégager de l'élément mythique quelques problèmes humains qui pourraient être ceux de n'importe qui. Les protagonistes de la tragédie grecque se débattent en devoirs, en passions, en problèmes, etc., et laissent de côté presque tout ce qui est mythique. Et pourtant ils traitent les mythes. Comment? Ils sont évoqués (rejetés, même) dans les ch?urs, c'est-à-dire autour et non au centre. La question traitée dans la tragédie tire toujours une sorte de grandeur de ce fond mythique, mais elle est écartée de l'action elle-même. 
La tragédie aurait donc congédié la mythologie?
Je ne sais pas si l'on peut dire la chose aussi radicalement. En fait, Homère avait déjà fait la même chose avec l'Iliade. En Grèce, on appelle mythes des choses très différentes: il y a les mythes primitifs, que l'on trouve chez Hésiode, avec la naissance du monde et des dieux, les massacres, les monstres et les Titans; puis viennent les mythes racontés par les épopées (pour la plupart perdues: il ne reste que l'Iliade et l'Odyssée). C'est dans ces épopées que les tragiques ont choisi leurs sujets. Mais nous ne possédons pratiquement aucun mythe grec à l'état pur. La force de ces mythes est précisément d'avoir été utilisés par des littérateurs et recueillis, des siècles plus tard, par des mythographes. 
Dans la préface de votre dernier livre, De la flûte à la lyre, vous écrivez: «J'ai toujours tenté de déceler d'un texte à l'autre, d'une idée à la suivante, d'un auteur à son successeur, une évolution, une progression, qui se marque jusque dans les détails d'une oeuvre.» Quelle est l'évolution, la progression, de la pensée grecque. Et quelle est la vôtre, après toutes ces années?
Cette phrase résume en effet l'ensemble de ce que j'ai fait au cours de ma vie. J'ai toujours cherché ces évolutions. Elles arrivent très progressivement, et c'est ce qui m'a toujours fascinée. Au Ve siècle avant notre ère, on découvre les premières oeuvres dans lesquelles apparaissent ces évolutions: la démocratie, tout d'abord, l'idée d'un pouvoir à tous, où chacun pourrait s'exprimer sur une place publique. Puis on voit apparaître l'idée de démagogie. Se pose alors un nouveau problème: la parole est-elle bonne ou mauvaise? Avec ces discussions, la pensée se précise. Et quand on observe ces évolutions, on peut presque entendre les Grecs du Ve siècle discuter entre eux... Il est également passionnant d'observer le passage d'une oeuvre à l'autre, le dialogue des ?uvres entre elles. On découvre comment s'élabore une pensée neuve. 
Quelle est l'idée grecque qui vous fascine le plus, encore aujourd'hui?
Je me suis occupée de tant d'entre elles que je ne peux en isoler une! Selon les jours c'est la justice, la loi, la douceur (j'ai consacré à cette idée un gros livre) ... Mais s'il fallait en élire une parmi toutes, ce serait le sens de l'humain. Tous les textes grecs parlent de l'homme et fondent les vertus sur l'idée suivante: «Je suis homme comme lui, et cela pourrait m'arriver.» C'est la phrase que prononce Ulysse lorsque Athéna lui propose de voir l'effondrement de son ennemi, Ajax. Ulysse refuse. Il pense: «Non, car je sais que je suis homme comme lui et qu'un tel malheur pourrait m'arriver un jour.» Ce qui est à l'?uvre, ici, ce n'est pas la charité du pardon mais bien le sens de l'humain. 
Toujours dans De la flûte à la lyre, vous lancez: "Apprenez par coeur les chants des tragédies d'Euripide, comme l'on voit, ça peut toujours servir..."
Ce n'est pas seulement une plaisanterie. J'écris cela à propos de ce texte magnifique d'Euripide qui met en garde contre le chant des sirènes (une tentation bien contemporaine, non?). L'utilité pratique est toujours présente. Je pourrais rajouter qu'il y a toujours une grande utilité à apprendre par c?ur ces poèmes et ces tragédies: ça entraîne la mémoire qui est, croyez-moi, une des choses les plus utiles de la vie. Et puis, il y a une autre dimension que celle de l'utilité: le plaisir. Lorsque j'ai perdu la vue, savoir encore des petits morceaux de poésie et de tragédie m'a été d'un immense secours. Mais il faut apprendre jeune. A mon âge, c'est trop tard. Je tiens à raconter une anecdote, à l'usage des jeunes gens qui pourraient encore douter de l'utilité d'apprendre le latin et le grec et d'apprendre par c?ur certains passages magnifiques de ces grands textes. C'est le grand professeur de médecine Jean Bernard, membre de l'Académie française, qui la raconte dans son dernier livre. Il fut un résistant très actif pendant la guerre, fut arrêté et jeté en prison. Il confesse que ce sont les textes de poésie et de prose qu'il connaissait alors par c?ur qui lui ont permis de tenir, qui lui ont tenu compagnie, maintenant le contact avec une vie noble, plaisante et normale dont il était privé dans sa cellule. Voilà un argument qui, me semble-t-il, l'emporte sur tous les autres, même si je ne souhaite à personne de connaître cette situation. On peut profiter de cela aussi hors de prison. 
Est-il encore possible de découvrir des auteurs dont les oeuvres auraient été dispersées, comme ce fut le cas, il y a quelques années pour Ménandre, revenu au jour après vingt-quatre siècles?
De grands auteurs inconnus, cela m'étonnerait. Mais figurez-vous que l'on vient tout juste de découvrir une nouvelle pièce de Ménandre! Cela dit, Ménandre était un auteur à succès, très à la mode dans l'Antiquité. Ses textes circulaient en grand nombre. En ce qui concerne les textes rares d'auteurs moins populaires à l'époque, c'est beaucoup plus difficile, voire impossible. Les guerres ont fait de terribles ravages. Toutefois, récemment, un de nos collègues, Paul Bernard, a fouillé les ruines d'un palais d'Alexandre le Grand, en Afghanistan. Un jour, il a été intrigué par une petite fente dans le sable, a tiré dessus, prenant une motte de sable... sur laquelle figuraient partout des petites traces de papyrus détruits: les caractères avaient marqué le sable! Il s'agissait d'une page inédite d'un manuscrit d'un philosophe qui avait accompagné l'expédition d'Alexandre vers l'Indus. Mais il s'agit d'un miracle. Et le miracle ne s'est pas poursuivi: la guerre a achevé le travail du temps. 
Vous avez consacré votre vie à l'enseignement et à la recherche, mais aussi à l'écriture. Vous êtes l'auteur d'ouvrages très savants mais aussi de livres très grand public ainsi que de quatre recueils de nouvelles et d'un roman - un seul... Pour quelqu'un qui est passionné par la littérature, c'est étrange: vous n'avez jamais été attirée par la fiction?
Si je n'ai pas écrit plus de fiction, ce n'est pas tellement que l'envie me manquait mais tout simplement la capacité. Ma mère écrivait des romans et des contes, elle travaillait pour la radio, faisait des adaptations de théâtre... J'ai beaucoup vécu avec elle puisque je n'ai pas connu mon père, tué pendant la Première Guerre mondiale. Elle écrivait le soir, après le dîner. En écrivant mon unique roman, Ouverture à c?ur, à l'âge déjà avancé de 75 ans, j'ai tout de suite compris que je n'étais pas apte à cette forme d'écriture. C'était un effort. Il m'aurait fallu beaucoup plus d'entraînement. Or l'entraînement que j'ai pris pour le grec, je ne l'ai pas pris pour la littérature. En ce qui concerne les nouvelles, c'est différent: la distance est moins longue, on n'a pas besoin d'une grande construction ni d'une démonstration. C'est un exercice que j'aime beaucoup et qui m'est, hélas, interdit, depuis que j'ai perdu la vue. Je ne peux plus que mettre au point mes conférences: j'enregistre mes propos sur des magnétophones, une jeune fille les tape à la machine et me les relit, j'ajoute des corrections... C'est un travail lent et laborieux. 
Aujourd'hui, que vous reste-t-il à accomplir?
Faire sauter les décisions du ministre! C'est un programme très précis. Je crois que, pour le reste, j'ai déjà beaucoup expliqué ce qu'était la Grèce à travers mes livres. 
Etes-vous optimiste?
Oui, résolument. Je suis sûre que l'on sortira de ce maelström ministériel. On est bien sortis du Moyen Age! J'espère juste que ce sera moins long. Je ne crois pas que l'Histoire soit réglée ni qu'elle soit prévisible. J'ai une assez longue expérience, et j'ai toujours été surprise: la fin de la guerre m'a surprise, comme la chute du mur de Berlin, comme le désastre actuel de la langue française... Je crois qu'il y aura un sursaut. 

Jacqueline de Romilly, de la Grèce antique à la femme moderne

« Une grande humaniste », « une grande dame des lettres », « un des très grands esprits de notre temps » : l’helléniste et académicienne Jacqueline de Romilly est décédée samedi, à 97 ans.
Spécialiste de la civilisation et de la langue grecques, Jacqueline de Romilly fut la première femme professeur au Collège de France. Elle incarnait l’enseignement des études grecques classiques en France, ainsi qu’une conception exigeante et humaniste de la culture.
En 1988, elle était devenue la deuxième femme élue à l’Académie française, après Marguerite Yourcenar. Elle était aussi l’une des rares femmes Grand-Croix de la Légion d’honneur.
L’académicienne s’est éteinte samedi à l’hôpital Ambroise-Paré de Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine). Son éditeur et ami Bernard de Fallois a précisé que « depuis longtemps, elle était très malade, mais pour tous ses amis, c’est quand même un très grand choc ».
« C’est une perte pour notre pays, a réagi sur France Info Hélène Carrère d’Encausse, secrétaire perpétuel de l’Académie française. C’est une femme qui a porté toute sa vie la langue et la culture grecques, parce qu’elle considérait […] que c’était une éducation […] à la compréhension de la liberté de l’individu, de l’attachement à la démocratie. »
Membre correspondant étranger de l’Académie d’Athènes, elle avait obtenu la nationalité grecque en 1995 et avait été nommée ambassadrice de l’hellénisme en 2000. À Athènes, le ministère grec de la Culture a d’ailleurs parlé de « deuil de la Grèce », évoquant « une alliée rare […] et combative » du pays.
Le président Nicolas Sarkozy a salué sa mémoire, jugeant qu’avec elle, s’éteint « une grande humaniste dont la parole nous manquera ».
« Jacqueline de Romilly a contribué autant à l’édification intellectuelle des jeunes générations, à l’instruction du grand public par ses nombreux ouvrages, qu’à la libération de la femme par l’exemple qu’elle a donné de sa propre élévation », souligne l’Élysée dans un communiqué.
Le Premier ministre François Fillon a salué « une grande dame des lettres et de la culture ».
Avec Jacqueline de Romilly « disparaît l’un des très grands esprits de notre temps, a estimé le ministre de la Culture, Frédéric Mitterrand. Sa science du passé en faisait une femme éminemment actuelle ».
Elle « n’a eu de cesse tout au long de sa vie de révéler à nos contemporains l’infinie richesse des humanités », a relevé le ministre de l’Éducation nationale, Luc Chatel. « Son héritage, nous devons le servir », a affirmé Valérie Pécresse, ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche.
« Une autorité naturelle » Martine Aubry, première secrétaire du Parti Socialiste, a salué « la mémoire de la femme élève de la rue d’Ulm dans les années 1930, où les femmes y étaient rares… Jacqueline de Romilly restera pour beaucoup de femmes un symbole ».
Pour le président du MoDem, François Bayrou, agrégé de lettres classiques, elle « était un phare, à la fois par l’immense culture, la volonté de se battre sans cesse pour défendre les bases de cette culture à laquelle elle croyait […], et aussi une infatigable volonté d’être présente par l’écriture ».
« Elle désarmait par son espèce d’autorité naturelle. Elle avait ce mélange de simplicité, de sérieux et de gaîté des grands professeurs », a confié Bernard de Fallois.

L’autocrate a l’ouïe fine


Il ne faut pas désespérer des autocrates. Certes, Laurent Gbagbo, président sortant, mais pas sorti, de la Côte d’Ivoire, ne donne pas l’exemple d’une grande attention aux messages convergents — partez ! — que lui adressent les Nations unies, le Fonds monétaire international, les États-Unis, les 27 pays de l’Union européenne et — plus proches encore — les dirigeants de l’Union africaine.


Mais un autre abonné aux réélections contestables semble recouvrer le sens de l’ouïe : c’est Alexandre Loukachenko, le président du Belarus — ou de Biélorussie, selon la traduction française héritée du XX e siècle. Le maître de Minsk n’est pas devenu réceptif aux critiques au point de renoncer à prolonger son bail, fondé sur une tradition de plébiscites, en 1994, 2001, 2006 (alors 83 % des voix) et 2010 autour de 72 % des suffrages, hier, d’après les premiers sondages à la sortie des urnes). Au passage, la seule arythmie des dates de ces votes montre combien M. Loukachenko dispose à sa guise du calendrier électoral.


Mais cette année, il a donné quelques signes d’évolutions possibles. Des observateurs de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, l’OSCE, ont pu lire dans la presse des tribunes libres de candidats d’opposition, ou voir à la télévision leurs interventions non censurées. Ces concessions restent étroitement contingentées, trop, sans aucun doute, pour l’opposition, qui a crié hier sa colère. Le régime n’apprécie toujours pas qu’elle défile dans la rue, et ne lui a accordé que… 0,25 % des places de scrutateurs dans les commissions électorales !


Il reste du chemin à parcourir pour rompre avec les mœurs soviétiques, dont M. Loukachenko perpétue jusqu’au décorum. Les petits allégements observés montrent néanmoins que le bouillant dirigeant n’est plus sourd, quand l’UE lie la coopération avec cette ex-république de l’URSS à des progrès de gouvernance. Une récente mission germano-polonaise a évoqué une aide de trois milliards d’euros pour financer des réformes. Alors que stagne l’union « confédérale » avec la Russie, initiée par un traité en 1997, le pouvoir à Minsk pourrait être sensible à la petite musique de l’Europe. Avec quel dosage de sincérité ou d’opportunisme, voilà l’inconnue.

Sagesse

Sur le retour de la double peine, Brice Hortefeux n’avait plus d’avis, s’en remettant (expression consacrée) à la sagesse de l’Assemblée, quand le député Jean-Paul Garraud faisait passer son amendement suisse : les jurys d’assises se verront désormais proposer l’expulsion des criminels étrangers de notre douce France. Sur le retour de la double peine, Brice Hortefeux n’avait plus d’avis, s’en remettant (expression consacrée) à la sagesse de l’Assemblée, quand le député Jean-Paul Garraud faisait passer son amendement suisse : les jurys d’assises se verront désormais proposer l’expulsion des criminels étrangers de notre douce France. Sur le permis à points, Brice Hortefeux n’avait plus de résistance, s’en remettant à la sagesse de l’Assemblée, quand elle assouplissait cette loi qui a sauvé la vie à tant d’automobilistes en pourrissant l’existence des chauffards… C’était jeudi dernier. "Sagesse", disait le ministre de l’Intérieur, et l’UMP votait. Et ce mot, "sagesse", prenait un sens drolatique, quand les députés grisés d’une passion revancharde bousculaient le gouvernement, en invoquant un peuple qu’ils flattaient dans ses mauvais penchants.

Quel rapport, dira-t-on, entre une xénophobie suggérée aux jurés d’assises et une licence donnée aux mauvais conducteurs ? En réalité, c’est le même sujet. Une partie de l’UMP utilise la peur du FN pour nourrir sa revanche idéologique, populiste et démagogique. A-t-on oublié que Le Pen tonnait aussi contre les contrôles routiers, au nom de la défense des Bitru du volant? Aujourd’hui, à l’UMP, ce sont les mêmes qui sont à la harangue, sur le permis ou sur les tribunaux. "Arrêtez d’emmerder les Français", crie l’ultra Jacques Myard, protecteur des chauffards bien de chez nous, tandis que Jean-Paul Garraud pourchasse les criminels allogènes. Beaufisme, nationalisme "sam’suffit", le peuple sain chassera lui-même l’étranger criminel et on ne l’embêtera plus au volant. La "droite populaire", ce collectif radical ou caricatural, donne désormais le ton.

Brice Hortefeux a bien des malheurs, anecdotiques ou principiels, condamné à nouveau vendredi pour un péché de parole. Il ne s’agit pas de cela ici. Jeudi, à l’Assemblée, le ministre de l’Intérieur a subi l’ironie du moment, bousculé par une vague qu’il a lui-même alimentée: la droitisation de l’UMP, censée protéger Nicolas Sarkozy, balaie en réalité ce que le sarkozysme avait eu de plus digne. La fermeté routière et la suppression de la double peine avaient toutes deux été portées par le Sarkozy ministre de l’Intérieur des années 2002-2007. Ainsi se consume un pouvoir qui se perpétue en se laissant nier.

Reste à savoir si le Président est otage de ses ultras ou s’il les approuve, s’il est faible ou cynique, s’il subit ses droites ou leur donne le nihil obstat. A un moment, la question n’aura plus de sens, tant la majorité aura changé de nature. Il y a quelques jours, François Fillon adjurait la droite de ne pas s’égarer en suivant le FN: vaine parole, la preuve. Une droite, au fond d’elle-même, désire sans doute se perdre : 54 % des sympathisants de l’UMP approuvant Marine Le Pen dans sa comparaison entre les prières musulmanes et l’occupation nazie, c’est une masse d’imbécillité qui s’impose, et qui peut obliger une famille politique dont les chefs sont faibles ou manquent de vertu.

D.S.K., Hulot, appelez-les Désiré


Au festival du thriller politique, Dominique Strauss-Kahn et Nicolas Hulot se partagent la palme. Iront, iront pas ? Où çà ? À la présidentielle de 2012 évidemment.

L’oracle de Washington souffle le chaud et le froid. Un jour, il déclare à un journal allemand qu’il remplira son contrat au FMI jusqu’à son terme, ce qui l’exclut de l’élection suprême. Et le lendemain, il laisse “fuiter” des contacts discrets avec les caciques de Solférino, signes évidents d’un retour anticipé. L’idée “chemine” déclare même Laurent Fabius.

Le messie de Ushuaïa entretient le même flou, finement dosé, autour de ses intentions. Depuis sa bénédiction accordée aux ouailles écologistes rassemblées à Lyon, le grand prêtre de la défense de la planète se fait prier. Son silence vaudrait tous les présages. Alors il suffit qu’il dîne avec Eva Joly la candidate verte déclarée, et surtout le fasse savoir, pour que les supputations fleurissent comme les narcisses au printemps...

Autrefois au zénith de la popularité, Jacques Delors avait tiré les mêmes ficelles. Pour finalement déboucher sur un épilogue moins prometteur...

Les sondages, dit-on, portent D.S.K. et Nicolas Hulot au pinacle. En retrait de l’arène, les deux hommes s’épargnent les affres de la confrontation pour n’entendre que les implorations. Qui résisterait à l’ivresse d’un moment si délicieux...

D.S.K, Hulot, appelez-les Désiré.

Même si à trop longtemps tourner autour du pot, le tournis les guette...

A retardement

On aimerait faire une trêve. Que ces jours de fête offrent une pause dans les fatigues d’un rude trimestre. Abritent des rigueurs d’un hiver exceptionnel. Et permettent de partager les joies simples de l’amour, celui qu’on donne, celui qu’on reçoit. Et voilà cette affaire du Mediator.
Un nouveau scandale de santé publique. Enorme. Cinq millions de patients piégés par des médicaments antidiabétiques et utilisés comme coupe-faim. Ils subiront longtemps les conséquences de l’incompétence. Des centaines, des milliers peut-être, risquent d’en mourir. Des enquêtes – judiciaire, administrative, parlementaire – devront dire pourquoi des politiques et des responsables administratifs, obsédés par l’affaire du sang contaminé, ont tardé à retirer ce médicament. Il faudra rétablir les procédures pour préserver la santé des intérêts financiers. Sans trêve.

Une insupportable impuissance

Le plus insupportable, c’est l’impuissance. Voilà des mois qu’on sentait venir le scénario du pire dans le dossier ivoirien, et rien ni personne ne semble ce matin en mesure d’enrayer l’engrenage d’un affrontement primaire et caricatural qui peut ravager l’un des pays phares de l’Afrique de l’Ouest.
Laurent Gbagbo ira donc jusqu’au bout. Le voilà prêt à braver le monde entier pour conserver le pouvoir coûte que coûte. Pour une raison simple: il n’a jamais imaginé devoir quitter son fauteuil présidentiel. S’il n’avait consenti à l’organisation d’élections, maintes fois repoussées, c’est parce qu’il était persuadé qu’il ne pouvait les perdre. Nombre de «sorciers blancs», ces conseils venus d’Europe, et même, pour certains, du PS français ne lui avaient-ils pas garanti un résultat favorable?
La défaite fut une surprise totale. Une incongruité qu’il ne pouvait accepter. C’est sans aucun complexe, avec un incroyable culot, qu’il l’a recyclée en victoire. Il n’a même pas pris la peine de truquer le scrutin ni de bourrer les urnes. Il a simplement inversé le score... avant d’endosser immédiatement les habits et les attributs du vainqueur.
En d’autres temps, cette audace désinvolte, aux apparences institutionnelles grotesques, aurait pu suffire. Cette fois - et ce fut une lueur pour l’idée même du respect de la démocratie - la plupart des diplomaties ont résisté au coup de force d’un personnage bien encombrant dont elles voudraient bien se débarrasser effectivement. Elles s’aperçoivent aujourd’hui des limites des pressions de l’introuvable «communauté internationale» sur un chef d’Etat bénéficiant du soutien de son armée et qui va utiliser l’arme du nationalisme sans aucun d’état d’âme.
En reconnaissant sans ambiguïté la victoire d’Allassane Ouattara et en intimant - au soir d’un conseil européen - à Gbagbo de laisser sa place, Nicolas Sarkozy a pris ses responsabilités, pourtant: il a pesé de tout son poids dans la balance. En vain. Un échec qui met en évidence la profondeur du divorce entre Paris et le régime ivoirien, depuis le coup de sang de Jacques Chirac. Il est bien loin le temps où le vieux sage Houphouët-Boigny gouvernait en prise directe avec l’Elysée...
On peine aujourd’hui à croire ce qui se passe sous nos yeux en 2010: Gbagbo préfère mettre son pays à feu et à sang, livrer la France à la vindicte de ses milices, défier le secrétaire général des Nations unies et partir en guerre contre les 10 000 hommes de l’ONU plutôt que de plier! Dans ce qui fut un des pays les plus prometteurs du continent africain, ce bras d’honneur tragique donne froidement le feu vert à une nouvelle guerre civile, aux exécutions sommaires, à l’arbitraire... Une descente aux enfers qui semblait avoir été stoppée. L’Histoire fait marche arrière et montre, si elle le devait encore, qu’elle n’a pas de sens.
Olivier Picard

Jacqueline de Romilly, l'amour de la liberté

C'était une grande dame au franc-parler, libre et forte, humble et joyeuse, à l'humour débordant, à l'énergie indomptable, au courage bouleversant. Jacqueline de Romilly vient de nous quitter dans sa quatre-vingt-dix-huitième année. Avec elle, la démocratie humaniste perd sa plus ardente pédagogue ; les lettres classiques, leur plus grande avocate.

Femme de lettres, helléniste de renom, membre de l'Académie française, elle mit ses talents au service de l'humanisme et, à travers lui, de la civilisation européenne : « La Grèce ancienne n'est pas, pour nous, un modèle à retrouver ; ce qu'elle nous apporte est le principe premier, l'idéal à atteindre - en somme, l'élan qui peut aujourd'hui encore nous aider et nous unir », écrivait-elle dans l'un de ses derniers ouvrages (1).

Pour cela, il est nécessaire d'avoir une vive conscience des défis de notre époque. Surtout lorsque l'on songe aux orages du XXe siècle et à l'éclipse de la civilisation européenne sous le nazisme. Face à cela, l'Europe devait se reconstruire pour la paix en s'inspirant des valeurs et de l'idéal de la démocratie athénienne.

Les travaux de Jacqueline de Romilly ont permis de découvrir comment les Athéniens ont inventé la démocratie ainsi que la manière dont ils s'efforçaient d'en combattre les dérives : la démagogie, l'inculture, le soupçon, l'oubli du bien commun... La formation des citoyens et de la jeunesse à l'art de vivre en démocratie est donc primordiale. En cela, les Grecs anciens sont des maîtres inégalés.

L'humanisme, une conquête

Grâce à elle, nous avons redécouvert les grands textes grecs, redevenus accessibles à tous. Mais, dans le même temps, l'enseignement du grec ancien disparaissait de plus en plus des écoles ! Les jeunes générations sont donc, aujourd'hui, de plus en plus coupées des racines de la culture européenne.

C'est regrettable à l'âge où se forge le jugement. C'est en contradiction avec les besoins de notre époque. En particulier avec la nécessité de comprendre le sens des règles communes indispensables en démocratie pour vivre ensemble dans le respect mutuel.

C'est aussi d'une grande inconscience. L'humanisme et la liberté ne sont-ils pas une conquête de chaque génération ? Par quoi seront donc remplacées ces digues, si patiemment construites au long des siècles, pour lutter contre l'inculture, la violence et la barbarie ? Chaque génération ne doit-elle pas avoir l'humilité d'apprendre des générations précédentes pour redécouvrir les fondements de la démocratie ?

Jacqueline de Romilly était l'amie de la jeunesse, l'amie des humbles. Elle évita l'expulsion d'une jeune fille tchétchène et de sa famille. Lorsque des incendies ravagèrent la Grèce, elle lança une vaste souscription, « Un arbre pour la Grèce », afin de tisser des liens d'amitié entre les citoyens européens.

Jacqueline de Romilly était une amie d'Ouest-France et de ses lecteurs. Elle nous fit l'honneur de parrainer, avec l'association L'élan citoyen, les « appels à témoignages » de jeunes personnes racontant un beau geste de la vie quotidienne. Et, pendant une année elle collabora à dimanche ouest-france, faisant découvrir, semaine après semaine, les trésors des textes antiques.

Une grande voix s'est éteinte. Nous lui disons merci et lui rendons un dernier hommage.



(1) L'élan démocratique dans l'Athènes ancienne, Éditions de Fallois.

- Le commentaire politique de Guillaume Roquette


Elle était la Grèce éternelle

L'académicienne, Jacqueline de Romilly, grande helléniste, est morte samedi à 97 ans. La passion des grands textes anciens et l’amour de la transmission ont habité toute son existence. 

Quand on demandait à la très vieille dame le secret de sa malice – malgré l’épreuve du grand âge et de la cécité – elle n’hésitait pas: "La passion, pardi!" Et l’on comprenait à la voix de Jacqueline de Romilly que rien n’avait changé depuis 1930, l’année où, pour la première fois, les jeunes filles eurent le droit de se présenter au concours général: Jacqueline David y reçut, à 17 ans, les prix de grec et de latin. Toute la presse en parla, y compris à l’étranger. Jacqueline de Romilly se plaisait même à dire qu’un journaliste débutant, Pierre Lazareff, avait, pour l’occasion, signé son premier article.
"La passion, pardi!": c’était celle de la Grèce ancienne, de la recherche, de l’enseignement et d’un historien du Ve siècle avant notre ère qu’elle admirait plus que tout: Thucydide, l’auteur de La Guerre du Péloponnèse. Elle en fit de 1953 à 1972 une traduction, restée de référence. Elle aimait sa sobriété, sa densité, son exactitude impassible, "cette espèce d’actualité perpétuelle et toujours renouvelée". Relatant l’affrontement d’Athènes et de Sparte, Thucydide donnait, selon elle, le plus bel exemple d’une démarche intellectuelle, littéraire et politique, où s’exprimait la quintessence du miracle athénien. Lorsqu’elle obtint, en 1973, une chaire au Collège de France – elle avait 60 ans – Jacqueline de Romilly ne manqua pas de lui rendre hommage choisissant comme intitulé: "La Grèce et la formation de la pensée morale et politique".
Première femme lauréate au Concours général, première femme professeur au Collège de France, première femme membre de l’Académie des inscriptions et belles-lettres (1975), deuxième femme élue à l’Académie française après Marguerite Yourcenar (1988), Jacqueline de Romilly a collectionné les réussites, tout en s’affirmant comme la meilleure représentante de l’hellénisme classique, respectée par ses adversaires novateurs, fussent-ils les plus critiques, notamment Jean-Pierre Vernant, avec qui, sur le tard, elle se réconcilia. Ils avaient en commun, au-delà de démarches intellectuelles opposées, leur amour du grec et la volonté de défendre l’enseignement des langues anciennes (L’Enseignement en détresse, 1983, Ecrits sur l’enseignement, 1991 ; Lettres aux parents sur les choix scolaires, 1994, etc.).

Un goût parfois féroce pour la polémique

Cette défense passionnée n’était pas celle des vieux ronchons. "Les grands textes grecs, confiait Jacqueline de Romilly, nous placent à la source de notre culture. En les lisant, on voit se former la pensée rationnelle, la raison et plus encore la réflexion, la finesse critique, l’art de penser la pensée elle-même. On voit naître la lumière et l’universel." Pour elle, la culture classique était une école de liberté: par les Anciens, rappelait-elle à temps et à contretemps, on apprend à s’exprimer, à manier les outils intellectuels, à maîtriser la confusion, à vaincre l’obscurité. Si ses succès universitaires et savants furent précoces et sa carrière brillante, Jacqueline de Romilly resta longtemps peu connue du grand public. Jusqu’à son élection à l’Académie, en effet, l’essentiel de son oeuvre se destinait aux chercheurs et aux érudits. Traduire Thucydide, comme elle le fit près de vingt ans, c’était se plonger au coeur de l’histoire et de la pensée grecque.
Une fois la traduction achevée, la route s’ouvrait pour la deuxième partie de son oeuvre, essentiellement vouée à la vulgarisation. En faisant aimer et connaître la civilisation grecque, Jacqueline de Romilly se battait pour la civilisation tout court. De La Grèce antique à la découverte de la liberté (1989) jusqu’à La Grandeur de l’homme au siècle de Périclès, paru en juin dernier aux éditions de Fallois, l’académicienne n’a cessé d’oeuvrer en pédagogue.
Son humour, sa fraîcheur, son goût parfois féroce de la polémique lui permirent de rencontrer le public en un temps où Bernard Pivot (Apostrophes) et Jacques Chancel (Radioscopies) connaissaient leurs grandes heures. Au-delà de la savante, on découvrit une amoureuse de la lumière, de la poésie et du grand air. Sur les chemins de Sainte-Victoire (1987) en est le plus beau témoignage.
Célèbre, ne boudant pas les médias, Jacqueline de Romilly n’en restait pas moins pudique. Née en 1913, elle grandit dans l’ombre de la Grande Guerre (son père Maxime David, professeur de philosophie, est mort pour la France). Elle sera, dès 1940, suspendue de ses enseignements à cause de ses origines juives. Divorcée de Michel Worms de Romilly en 1973 après trente-trois ans de mariage, elle ne confiera rien de ses interrogations ou de ses réflexions. "Patience, mon coeur", aimait-elle répéter à la manière des Grecs. Elle se gardera tout autant de mettre sur la place publique ses réflexions sur le judaïsme et le catholicisme vers lequel des années de méditation la conduisirent.
A une journaliste du Point, Jacqueline de Romilly confia en 1977: "La vieillesse est un terrible combat que l’on est sûr de perdre et que l’on s’obstine à mener […]. On peut avoir acquis des qualités de sagesse, de hauteur de vue, de courage moral, de stoïcisme (il faut bien se consoler avec des aspects positifs), mais on perd la vue, l’ouïe, la marche. Il n’y a pas de quoi se réjouir. Je reconnais cependant que j’ai toujours gardé mon humour et la capacité de rire des situations cocasses." C’est, pour reprendre le titre d’un de ses ouvrages, ce Sourire innombrable qu’elle vient de retrouver.

Portrait : Ariane de Rothschild

Ariane de Rothschild, vice-présidente de la holding du groupe Edmond de Rothschild, a reçu Karine Tuil, écrivain.

On n'imagine pas les dommages collatéraux des conflits sociaux. Le jour de ma rencontre avec la baronne Ariane de Rothschild, la puissante vice-présidente de la holding Edmond de Rothschild, je traverse Paris à pieds -faute de moyens de transport -, sous les cris des manifestants en colère : « Y'en a ASSEZ ! ASSEZ ! ASSEZ d'cette société qui engraisse les actionnaires et vire les salariés ! Y'EN A ASSEZ ! »
C'est donc endoctrinée, des slogans pleins la tête, que j'arrive dans les luxueux locaux de l'une des principales banques privées indépendantes d'Europe où officie désormais l'épouse de Benjamin de Rothschild, 12e fortune de France. Dans l'ascenseur, je me sens prête à faire sauter la banque... PARTAGE DES RICHESSES ! Egalité sociale ! Ou alors, ça va péter ! CA VA PETER ! Mais voilà, comme Woody Allen, je suis bien marxiste, oui, mais tendance Groucho, et quand je me retrouve devant Ariane de Rothschild, héroïne hitchcockienne aux manières décontractées, toutes mes inclinations révolutionnaires tombent. J'entre avec une kalachnikov, je repars une rose à la main.

« Ariane est cash »

Sur les murs de son bureau feutré, une photographie d'Isabel Muñoz représentant un mara de Salvador, un chef de gang tatoué qu'on n'aimerait pas croiser dans une ruelle après 23 heures. Goût pour la provocation ? Dans le monde policé de la haute finance, Ariane de Rothschild décoiffe. Il y a chez cette femme blonde et plantureuse une audace transgressive, un naturel sauvage, une absence de contrôle que cristallise une spontanéité langagière dont on peine à croire qu'elle soit fabriquée puisqu'elle l'expose à la méfiance, aux railleries même, à ce qu'elle qualifie en riant de « mépris poli ». « Ariane est cash », dit d'elle un collaborateur. Trop, persiflent ceux qui ont accueilli avec hostilité l'arrivée de cette femme propulsée, aux côtés de son mari -le plus riche des Rothschild -, à la tête d'un groupe qui gère près de 100 milliards d'euros d'actifs et, depuis Paris, Genève et Luxembourg, se déploie en Europe, en Asie et dans le reste du monde.
Il faut dire que la formidable ascension de cette quadragénaire, née au Salvador sous le nom de Langner, d'un père allemand qui travaillait pour une multinationale et d'une mère française qui élevait des cochons en Colombie, a de quoi surprendre. De son enfance au Bangladesh, en Colombie, au Congo, elle a gardé le goût du voyage et une ouverture d'esprit qui tranche avec le conformisme ambiant. Après avoir effectué son parcours scolaire en Afrique et obtenu un bac D, elle arrive à Paris pour y faire une prépa HEC. Le choc culturel est immense : « En Afrique, il y avait une chaleur humaine que je n'ai pas retrouvée. » Elle bifurque vers Sciences Po : « Ce n'était pas ma façon de penser. » Alors elle fuit Paris, s'installe à New York où elle obtient un MBA et travaille comme cambiste auprès de la Société générale, avant de rejoindre le groupe d'assurance américain AIG qui la renvoie... en France. Elle a 28 ans et travaille douze heures par jour. « J'étais très sage, très pro », dit-elle. Pas le genre à s'identifier à Marilyn Monroe dans Comment épouser un milliardaire. La suite ressemble à un roman à l'eau de rose qu'aurait pu signer Barbara Cartland, même si l'on devine que cette image l'agace, tant Ariane de Rothschild semble attachée à sa liberté et à son indépendance.

Première rencontre ratée avec Benjamin de Rothschild

En 1993, à Paris, elle travaille avec l'une des sociétés de Benjamin de Rothschild, fils unique du baron Edmond et de son épouse, l'actrice Nadine Tallier. Son interlocuteur organise une rencontre... ratée. Ce jour-là, « Benjamin est arrivé avec son jean crotté ». Quant à elle, chaperonnée par sa mère qui arrivait de Rome, elle ne garde de cette première entrevue que l'image d'un homme « bourru ». Mais Benjamin de Rothschild la rappelle et lui donne rendez-vous chez lui cette fois, dans le somptueux hôtel particulier de la famille, situé rue de l'Elysée. Elle vous raconte cet épisode en imitant son mari, prenant tout à coup une voix grave -moqueuse, attachante. Ce soir-là, il la reçoit... dans sa salle de bains et l'emmène dîner sur une péniche. « Nous sommes restés scotchés », avoue-t-elle. Mais le milliardaire ne lui passe pas pour autant la bague au doigt... Lorsqu'elle annonce la nouvelle de son idylle à ses parents, ils s'écrient : « Oh ! ma pauvre ! » Finalement, elle deviendra officiellement baronne alors qu'elle est enceinte de sa seconde fille. Deux autres filles naîtront...
« Un Rothschild qui n'est pas riche, pas juif, pas philanthrope, pas banquier, pas travailleur et qui ne mène pas un certain train de vie, n'est pas un véritable Rothschild », disait le baron Edmond. Ariane ne se convertira pourtant pas au judaïsme. Ses filles, elle les laisse libres de choisir... quoique... comme le lui a dit un jour sa fille aînée : « Quand on s'appelle Rothschild, on ne peut être que juif. »
Elle se souvient avec émotion de son beau-père, décédé en 1997, avec lequel elle dînait en tête-à-tête. « Il disait : « On est ce que l'on fait. » Il m'impressionnait beaucoup. Il n'avait aucun a priori de classe sociale. C'était un vrai esthète. » On sent poindre chez elle une certaine fierté, dénuée d'arrogance, à l'idée de faire partie de cette lignée internationalement connue, dont le nom évoque puissance et richesse : « C'est fascinant, il y a le poids du passé. Il faut être à la hauteur de ceux qui vous ont précédé. » C'est elle, sans doute, qui évoque le mieux les valeurs familiales -Unité, Intégrité, Activité -qui ont forgé la dynastie depuis sept générations et répète les mots qui rassurent : « respect », « morale », « pérennité ».

Une fonceuse qui avance vite et casse un peu de porcelaine

A-t-elle appliqué les conseils de sa belle-mère, la baronne Nadine de Rothschild, auteur de best-sellers aussi inoubliables que Femme un jour, femme toujours ou encore Bonnes manières, pour persuader son fils de lui transmettre les rênes de la compagnie ? « Ma belle-mère a réagi moyennement », lâche-t-elle. Et elle n'est pas la seule. L'autre branche parisienne des Rothschild, dirigée par David, aurait accueilli avec une certaine réserve cette « pièce rapportée ». « Les Rothschild sont très conservateurs, confie un proche. Pour certains membres de la famille, les femmes doivent rester à la maison et s'occuper des enfants. » Mais si Ariane aime passer tout son temps libre avec ses quatre filles, elle n'est pas femme à s'effacer derrière un homme. « Je voulais travailler ! » et elle le fait rapidement comprendre à son mari en posant cet ultimatum : « Ou dans tes banques ou dans une autre. »
Longtemps chargée des activités non financières du groupe, elle est, depuis 2009, vice-présidente de la holding familiale. Alors, intrigante ou femme moderne ? Elle l'avoue avec une pointe d'amertume : « Ma démarche a été mal comprise. Les réactions ont été excessivement misogynes. Les gens essayent de trouver des motivations malsaines. » Il y a ceux qui la soupçonnent de vouloir prendre le contrôle du groupe et les autres qui raillent son statut de « femme de », évoquant son manque d'expérience. « Je ne veux pas prendre la place de Benjamin. Ils ne comprennent pas la confiance et la liberté qu'il m'accorde. Nous sommes un couple atypique. » Là réside le secret de leur réussite : lui, l'héritier hyperdoué selon ses collaborateurs, le financier brillant mais incontrôlable, passionné de voile et de voitures de course ; elle, l'épouse plus structurée, plus fiable, « la bonne élève fantaisiste » comme elle se définit elle-même. « Si elle était incompétente, je ne l'aurais pas mise là », argue son mari. Façon de préparer la succession féminine ? « Benjamin me répétait : « Tu ne te rends pas compte du poids que c'est, il y a des jours où c'est horrible ». » Quelques années plus tard, elle confirme : « Vous avez une liberté relative, on est responsable de 3 000 personnes. »

Pieds nus dans la brousse

Mais d'autres capitaines mènent aussi la barque : « Le bureau de Michel Cicurel -le sémillant président du directoire du groupe -est à huit mètres du sien », précise un proche. « Entrer dans une salle de conseil et se retrouver la seule femme est impressionnant, confie-t-elle, mais j'aime les affaires. » Son rôle ? « Travailler à créer de vraies synergies entre les entités du groupe », même si elle reconnaît qu'elle fait face à des réticences. « Ils se sentent menacés », regrette-t-elle. « Elle les perturbe, confirme un collaborateur. Ariane est une fonceuse, elle avance vite et fort ; parfois, elle casse un peu de porcelaine. » Obstinée, énergique, elle est aujourd'hui également présidente du conseil de surveillance de BeCitizen, un cabinet de conseil stratégique et financier en environnement, et se consacre aux fondations familiales liées à l'art, la santé et la recherche, au dialogue interculturel (entre juifs et musulmans) et à l'entrepreneuriat social, sans oublier le management des propriétés vinicoles du groupe.
Toujours entre deux avions, souvent en Israël où elle soutient des projets de recherches universitaires, Ariane de Rothschild semble infatigable. « Je suis une hyperactive hystérique ! » lance-t-elle de manière si abrupte qu'on la dirait soudain montée sur ressort. Cette spontanéité, elle en fait désormais sa marque de fabrique, en donnant l'image d'une femme à contre-courant qui porte du cuir et écoute du rap. Mais n'en fait-elle pas trop quand elle raconte que son plus grand plaisir est de marcher pieds nus dans la brousse, elle qui a élu domicile dans un immense château en Suisse ? « Les gens passent la porte et c'est foutu », admet-elle, avant de préciser que « l'argent déforme les relations. On est obligé de se protéger ».
Sur la crise, on la sent tendue : « On paye la facture des banques qui ont fait n'importe quoi ! Les banques ont peu d'éthique. Les gens sont insatiables ; ils n'ont pas une vision à long terme donc tout explose. On devrait revenir à des profits raisonnables, rechercher un équilibre. Oui, il faudrait aller vers un capitalisme plus responsable. »
Dehors, la colère gronde toujours : « C'est pas les sans-papiers, c'est pas les immigrés, mais c'est l'capitalisme qui ruine, qui ruine, qui ruine la société ! »

Repères

Novembre 1965  : Naissance d'Ariane Langner à San Salvador.
1988-1990  : MBA de finance et gestion financière de l'université privée Pace (New York).
Analyste financière puis cambiste à la Société générale en Australie puis à New York.
1990-1995  : Cambiste chez l'assureur américain AIG, puis chargée du développement en Europe et en France de la filiale parisienne.
1993  : Rencontre Benjamin de Rothschid qu'elle épousera le 23 janvier 1999.
2007  : Siège dans tous les conseils d'administration du groupe.
2008  : Membre du conseil de surveillance de la banque privée Edmond de Rothschild et de la holding du groupe.
Novembre 2009  : Devient vice-présidente de la holding du groupe Edmond de Rothschild.

La vie au bureau : Le bal des hypocrites

L'entretien individuel, moment d'échange rituel entre managers et collaborateurs se transforme trop souvent en règlement de comptes.

Martine Vlaminck-Moretti, la DRH, adore cette période de l'année traditionnellement dévolue aux entretiens individuels : cela permet véritablement de prendre le pouls de l'entreprise et d'établir, comme elle dit, un « moment d'échange privilégié entre managers et managés ». Elle a briefé tous les patrons de département de la boîte et donné « les éléments de langage ». En insistant sur les « risques psychosociaux ». Aussi leur a-t-elle fait un topo sur la manière de différencier une mélancolie passagère d'une vraie dépression liée au travail.
Le Guilloux, le chef des ventes, qui considère que son rôle est plus de ramener de l'argent que de psychanalyser ses n-1, ne change rien à ses habitudes : il la joue « à l'ancienne ». Dans son service, la première étape du processus consiste à établir avec son assistante le calendrier des rendez-vous en apportant un soin particulier au choix du premier et du dernier -comme pour les examens universitaires : il sait ces positions déstabilisantes.

Le Guilloux excelle en Excel

Il commence toujours ainsi :
-Alors, qu'est-ce que tu as fait pour MOI cette année ?
Puis il laisse son interlocuteur argumenter sans vraiment l'écouter, avant de relancer :
-Penses-tu vraiment mériter ton salaire ?
Au moment où il pose la question, il sort une feuille Excel qui détaille en quelque sorte les entrées/sorties de son subordonné. Ce geste suffit généralement à faire comprendre à l'interlocuteur qu'il sera très peu question de qualitatif durant l'entretien.
-Ecoute, tu me coûtes 70K euros par an, charges comprises, et tu ne m'en rapportes que 100. Tu dois faire mieux, sinon...
Parfois il conclut par une de ses formules rituelles : « Attention, je préfère te prévenir : pour moi, tu es plus près de la porte que de l'augmentation. » Moment d'échange privilégié...

Ambiance feutrée au bureau d'études

Chez Gomez, au bureau d'études, l'exercice prend un tour plus feutré. Un de ses traits de caractère, outre son perfectionnisme quasi maladif, est qu'il ne parvient pas à dire les choses simplement, quand il arrive à les dire.
Ainsi, « J'apprécie ta souplesse et ta créativité mais... » signifie en réalité : « J'en ai marre que tu arrives systématiquement avec une demi-heure de retard le matin et tu n'as aucune méthode de travail. »...
« Je vais voir si je peux t'augmenter l'an prochain... » : « En fait je verrai peut-être ça en 2013, si tu fais encore partie de l'entreprise. En raison des restrictions budgétaires, je n'augmenterai que deux personnes l'an prochain et ça me ferait mal que tu fasses partie du lot. »...
« J'apprécie de travailler avec toi... » : « T'es sympa, mais franchement je me demande si tu ne devrais pas changer de métier. »...
« Ta connaissance des nouvelles technologies est un plus » : « Que tu surfes deux heures par jour sur leboncoin.fr pour compléter ta collection de capsules de champagne, passe encore, mais le poker en ligne et les sites pour adultes, il faudrait quand même que tu arrêtes. »...
« Tu as encore un vrai potentiel d'évolution inexploité » : « Le mieux serait que tu démissionnes. »
Moment d'échange privilégié...

Dernière ligne droite pour effacer vos plus-values boursières

Chaque fin d'année, un bilan de vos plus ou moins-values mobilières s'impose, pour éviter une fiscalité trop lourde. Avec la suppression du seuil de cession en 2011, l'opération est plus que jamais salutaire.

Gagner de l'argent en Bourse, c'est bien. Optimiser le traitement fiscal des plus-values obtenues, c'est encore mieux. Il est généralement conseillé de dégager ses moins-values en fin d'année, pour les soustraire de ses gains et adoucir ainsi la fiscalité applicable.

C'est d'autant plus indispensable en cette fin d'année que le projet de loi de Finances pour 2011, prévoit un alourdissement sensible de la fiscalité applicable aux plus-values boursières. Voici, selon les conseils de Mai Trinh-Brunswick, responsable de l'ingénierie patrimoniale au Credit Suisse, les différentes stratégies à mettre en oeuvre pour minimiser la fiscalité applicable aux portefeuilles boursiers et aussi profiter une dernière fois du seuil de cession.
1 Profiter une dernière fois du seuil de cession

Il y a plus-value quand on constate une différence positive entre le prix d'achat d'un titre et son prix de vente. Sur le gain ainsi enregistré, le particulier va subir une double taxation : le prélèvement forfaitaire libératoire (PFL, 18 %) et les prélèvements sociaux (PS, 12,1 %) soit au total 30,1 %. Actuellement, il bénéficie cependant d'une exonération de ces plus-values, tant que le montant annuel de ses cessions n'excède pas un seuil fixé à 25.830 euros. C'est le fameux seuil de cession, en deçà duquel les plus-values boursières sont donc exonérées d'impôt - les prélèvements sociaux sont, eux, dus, dès le premier euro de cession.

La loi de Finances, votée mercredi, prévoit de supprimer ce seuil dès 2011. En clair, toute vente de titre, quel que soit son montant, donnerait lieu à taxation de la plus-value au titre du prélèvement fiscal libératoire et des prélèvements sociaux. Sans compter que ces deux postes sont aussi revus à la hausse pour l'an prochain, le premier passant de 18 % à 19 %, les seconds de 12,1 % à 12,3 %, soit au total des impôts et taxes qui passent de 30,1 % actuellement à 31,3 %. En cette fin d'année, il faut donc profiter une dernière fois des bienfaits du seuil de cession, en vendant jusqu'à 25.380 euros vos titres en plus-value. Quitte à les racheter dans la foulée (voir ci-dessous).
2 La technique de l'acheté-vendu

Cette opération permet d'éviter ou de réduire l'imposition sur les plus-values boursières. Elle ne vaut que si vous avez dépassé le seuil de cession et que vous êtes donc imposable. Concrètement, vous vendez des titres en plus-value pour les racheter immédiatement au même cours. Parallèlement, vous vendez aussi vos titres en moins-values. Dans votre portefeuille, rien n'a changé, puisque vous rachetez les titres que vous souhaitez conserver. Mais, fiscalement, vous y avez gagné, les moins-values externalisées annulant les plus-values. Signalez-les auprès de la banque comme un acheté-vendu fiscal, pour obtenir des frais de courtage réduits.
3 Clôturer un PEA en moins-values

Si vous détenez à la fois un PEA dans lequel vous avez des moins-values latentes et un compte titres en plus-value, vous pouvez avoir intérêt à clôturer votre PEA. Cette opération doit être réalisée moins de cinq ans après l'ouverture de votre PEA (elle concerne donc ceux ouverts après 2005), car, après cette date, la fiscalité particulière du PEA vous interdit d'imputer les moins-values.

Dans un contexte de marché où bon nombre d'actions françaises ou européennes affichent aujourd'hui des baisses significatives, la clôture du PEA permet de constater des moins-values, lesquelles seront imputables sur les plus-values réalisées au sein du compte titre dans les dix prochaines années. L'inconvénient de cette opération est de perdre l'antériorité du PEA clôturé. Mais, en parallèle, vous pourrez ouvrir un nouveau PEA pour bénéficier d'une exonération future de vos plus -values (lire « Les Echos Patrimoine » du 5 novembre).