TOUT EST DIT

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jeudi 2 septembre 2010

Les vacances finies, l'Italie retrouve ses vieux démons


GUILLAUME DELACROIX EST LE CORRESPONDANT DES « ECHOS » À ROME. CETTE ANALYSE EST LA QUATRIÈME D'UNE SÉRIE DE SEPT CONSACRÉE À LA SITUATION CONJONCTURELLE EN CETTE RENTRÉE DANS LES GRANDS PAYS.

Les Italiens sont encore en vacances, mais la rentrée qui les attend ne s'annonce pas folichonne. Ce n'est pas un hasard si la croissance, ou plus exactement l'absence de croissance, s'est retrouvée au coeur des débats du traditionnel meeting de Rimini, la semaine dernière. Elle le sera également ce week-end au forum Ambrosetti, où les milieux d'affaires réunis sur le lac de Côme vont plancher sur le thème de la compétitivité. Il faut dire qu'au sortir de l'été, la dynamique du produit intérieur brut s'avère très poussive. Contrairement à l'Allemagne et à la France, l'Italie n'a pas été en mesure de revoir à la hausse ses espérances pour 2010, faute de plan de relance. Les dernières livraisons statistiques sont en ligne avec les prévisions du ministre de l'Economie, Giulio Tremonti. Le PIB a progressé de 0,4 % au premier comme au deuxième trimestre. Et, à ce stade, l'acquis de croissance pour l'année en cours n'atteint que 0,8 %. Pas terrible, quand on se souvient que la crise a frappé fort de l'autre côté des Alpes, avec un recul du PIB de 1,3 % en 2008 et une chute de 5 % en 2009. Car, contrairement à ce qu'a pu prétendre le gouvernement Berlusconi, le pays a été parmi les premiers à entrer en récession, il y a plus de trois ans maintenant.

L'avantage, si l'on peut dire, c'est que ce diagnostic est assez partagé. A l'instar de l'exécutif romain, l'Institut d'études et d'analyses économiques (Isae) et le très sérieux Centre de recherches pour l'économie et la finance (« Ricerche per l'economia e la finanza », REF) tablent sur un modeste 1 % de croissance en 2010, la Commission européenne sur 0,8 %. S'agissant de 2011, le gouvernement avait ramené sa prévision à 1,5 % au printemps et le plan de rigueur de 25 milliards d'euros voté en juillet risque de diminuer ce pourcentage de 0,2 point supplémentaire. Le problème, explique l'économiste Luigi Zingales, c'est que « l'on ne voit rien, dans l'immédiat, qui puisse modifier radicalement la situation ». Pis, à l'heure de la reprise mondiale, certains atouts peuvent se transformer en boulets. Ainsi de l'appétence des familles italiennes pour leurs bas de laine. Dans la tempête, l'épargne élevée constitue un fort amortisseur, mais, une fois le vent retombé, la consommation ne redémarre pas nécessairement. C'est « le » point faible aujourd'hui. Certes, les dépenses des ménages ont rebondi de 0,3 % en juin, a indiqué mardi l'Institut national de la statistique (Istat). Mais, en rythme annuel, elles n'affichent qu'une progression de 0,5 %, après avoir baissé de 1,8 % l'année dernière. Signe inquiétant au pays du bien-vivre, les achats de produits alimentaires sont tout juste parvenus à se stabiliser durant la trêve estivale. Du reste, l'inflation a de nouveau ralenti en août, à 1,6 %.

Dans ce contexte de demande déprimée, rien d'étonnant à ce que l'investissement soit encore en panne, après avoir dégringolé de 12 % en 2009. Le moral des entreprises s'est redressé en août et la production industrielle a repris des couleurs. Mais les carnets de commandes ne se remplissent pas et seul l'export rend légèrement optimiste le patronat. En dépit de la dégradation de la balance commerciale au premier semestre, la Confindustria estime que l'Italie peut atteindre 1,2 % de croissance si la reprise du commerce mondial se confirme. Sous réserve, prévient sa présidente, Emma Marcegaglia, que le gouvernement engage par ailleurs d'indispensables réformes de structure. « Depuis l'adoption de l'euro, l'Italie a perdu 32 points de productivité par rapport à l'Allemagne », met-elle en avant pour réclamer l'assouplissement du marché du travail, une piqûre de vitamines en faveur de l'innovation et des infrastructures, et une réduction de la légendaire bureaucratie. C'est là tout le débat de la rentrée politique. Quelles priorités, alors que la dette publique flirte avec les 118 % du PIB ? Et avec quel gouvernement ? La droite au pouvoir s'est déchirée tout l'été, entre les partisans de Silvio Berlusconi et ceux du président de la Chambre des députés, Gianfranco Fini, lesquels ont fait sécession fin juillet. Le « Cavaliere » a besoin de recomposer sa majorité, mais il est tiraillé entre deux frères ennemis, d'un côté le leader de la Ligue du Nord, Umberto Bossi, qui siège au gouvernement, de l'autre le centriste Pier Ferdinando Casini, pour l'heure dans l'opposition. C'est pourquoi il tentera dans quelques jours d'obtenir la confiance du Parlement sur un programme en cinq points : la sécurité, la décentralisation, la baisse des impôts, l'aide au Mezzogiorno et… la justice, au travers d'une réforme qui lui permettrait d'échapper définitivement à ses procès. Ce n'est pas vraiment ce qu'attendent les entreprises, pour qui la menace d'élections anticipées brandie par certains est « irresponsable » au moment où pointe un risque de rechute aux Etats-Unis. « Ne soyons pas fatalistes », a lancé à Rimini Giulio Tremonti, dont le nom circule pour prendre la tête d'un gouvernement technique et qui se focalise sur la lutte contre la fraude, soupçonnée de réduire le PIB de 25 % de sa valeur. Peut-être l'Etat pourrait-il commencer par publier des chiffres fiables ? Exemple avec le chômage. Officiellement, son taux est retombé à 8,4 % en juillet. Sauf que, sur les sept premiers mois de l'année, plus de 650.000 personnes ont été placées en chômage technique et que les statistiques ne comptabilisent pas les personnes immédiatement disponibles et ne recherchant pas activement un emploi. Selon la Banque d'Italie, la réalité tournerait plutôt autour de 11 %. Un autre gros point noir.


Guillaume Delacroix

La question à 4.000 milliards

Evidemment, le chiffre est vertigineux. Il s'échange chaque jour 4.000 milliards de dollars de devises sur les marchés des changes. C'est trois fois plus qu'il y a une décennie. Et moitié plus que l'ensemble des richesses produites en France en… un an. Mais l'enquête triennale publiée hier par la Banque des règlements internationaux, d'où vient ce chiffre, montre aussi et surtout comment bouge la planète monétaire. Le plus grand marché au monde est d'abord plus ouvert. Les acteurs non bancaires font désormais la moitié des transactions. Comme en Bourse, il y a beaucoup de « flash trading » dans le lot. Les traders profitent d'infimes écarts, en jouant sur le marché au comptant, qui a bondi de moitié en trois ans. Ensuite, la City renforce encore sa prééminence, avec 37 % des échanges de monnaies et 46 % des transactions sur les dérivés de taux d'intérêt. Paris pèse peu, avec 3 % du négoce de devises et 7 % sur les dérivés de taux (troisième rang derrière Londres et New York). Enfin, les nouveaux venus pointent le nez. Le dollar australien, le won coréen, la lire turque et même la roupie indienne progressent, au détriment du billet vert.

Ces mutations sont à suivre de près. Car si le marché des changes a été relativement préservé dans la crise récente, il pourrait en être tout autrement dans les deux ou trois prochaines années. Les craquements sont de plus en plus bruyants, comme sur le yen aujourd'hui. Et la liquidité pourrait là aussi s'évanouir. Il est encore temps de prendre des précautions supplémentaires. Les régulateurs financiers doivent mieux surveiller les « non-banques », les « hedge funds » et autres acteurs de plus en plus actifs sur les marchés des changes. Ils doivent aussi contrôler spécialement les très grandes banques par où passe une part croissante des transactions, comme l'indiquent des résultats de la même enquête publiés par la Banque d'Angleterre. Le G20, lui, pourrait travailler sur deux sujets. D'une part, l'absence criante du yuan chinois sur ce marché - qui est une solution pour la Chine, mais de plus en plus un problème pour ses partenaires. D'autre part, le rôle toujours croissant de Londres dans ces transactions. Lors de la crise bancaire, la supervision financière britannique a révélé sa profonde inefficacité. Rapportées au PIB, les pertes des banques implantées au Royaume-Uni ont été cinq ou six fois supérieures à ce qui a été enregistré sur le Continent ou aux Etats-Unis. La surveillance de la City est peut-être une affaire trop sérieuse à l'échelle mondiale pour être confiée à nos seuls amis anglais.



JEAN-MARC VITTORI