TOUT EST DIT

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lundi 26 avril 2010

Enfin une semaine politique « calme » ?


Les huit jours qui viennent de s'écouler correspondaient aux vacances parlementaires de printemps. Qui s'en est aperçu ? Les maléfices du nuage islandais et l'infortune des dizaines de milliers de naufragés du ciel n'ont pas suffi pour émousser l'intensité de l'actualité politique franco-française. Comme si le « calme » avait disparu de la météo ordinaire de notre démocratie. Un changement climatique qui la prive du même coup de quelques moments de répit indispensables.
Serait-ce un effet secondaire du quinquennat ? Sans doute. Cinq ans, c'est un temps court quand il est rythmé par trois rendez-vous électoraux majeurs (municipales, européennes, régionales) qui ont immanquablement une dimension nationale. On prend peu à peu conscience aujourd'hui des vertus du septennat disparu et des inconvénients de sa suppression décidée, en 2000, par trois Français sur quatre. Privé de durée, le chef de l'État est devenu plus dépendant que jamais des soubresauts de l'histoire immédiate, des crises passagères de l'économie ou de ses propres hauts et bas, quand, précisément, il aurait besoin de temps et de sérénité pour déployer son action.
Raccourcir l'un des mandats républicains les plus longs du monde apparaissait comme un incontestable progrès. On commence à se demander si cette évolution ne sera pas, en définitive, une régression. En voulant protéger d'une éventuelle cohabitation le président de la République, clé de voûte des institutions, on l'a livré aux aléas des passions françaises. Était-ce bien raisonnable dans un pays qui n'avait pas attendu la Révolution pour montrer son goût sans modération pour les joutes de l'esprit ?
Débat, polémique, rumeur. Ces trois mots alimentent en énergie l'infatigable dynamo parisienne qui, désormais, met sous tension, chaque annonce gouvernementale, chaque déclaration élyséenne, chaque mercredi au Palais-Bourbon, chaque présentation de réforme, chaque bon mot ou plaisanterie de mauvais goût. Ce pourrait être un signe de bonne santé démocratique. Après tout, la liberté est indivisible : elle ne fait pas le tri entre les bonnes ou les mauvaises raisons de faire monter en mayonnaise une information plutôt qu'une autre. Un pays qui réagit est un pays vivant et les Français, qui aiment tant intellectualiser tous les sujets, trouvent aussi leur compte - même s'ils ne l'avouent jamais - dans cette ébullition permanente.
Cette fois, pourtant, on approche de la surchauffe dans le jeu trouble entre la communication frénétique du pouvoir - édulcorant moderne de la manipulation - et l'appétit naturel des médias. La polémique n'est qu'une extension, plus ou moins infantile - ludique, pourquoi pas ? - du débat, mais quand cette mousse des événements est empoisonnée par la rumeur, c'est le moment de tirer le signal d'alarme.

Cette culture « qui plaît à tout le monde »


C'est une guerre économique, industrielle et culturelle à laquelle chacun, consommateur et citoyen, participe sans le savoir. Ce que nous voyons à la télévision, ce que nous écoutons comme musique, les livres que nous lisons, nous distraient ; ils nous enrichissent ou nous cultivent. Mais l'enjeu dépasse de loin la satisfaction de nos goûts. Il s'agit du contrôle des mots, des images et des rêves. Car, en cette matière même, nous sommes devenus des consommateurs qu'il faut séduire.

Dans une enquête (1) passionnante et touffue, menée pendant cinq ans dans trente pays, Frédéric Martel a voulu décrire cette globalisation du divertissement. Il s'est intéressé notamment à Hollywood, quartier général de cette guerre où le cinéma demeure le vecteur le plus efficace.

Que l'on soit étudiant à Abou Dhabi ou à Bamako, chômeur à Bucarest ou à Shanghai, la culture américaine continue de faire rêver, et son emprise sur l'industrie du divertissement demeure. Malgré la crise économique, malgré la concurrence nouvelle du Brésil, de l'Inde ou du Japon, les Américains restent dominants, culturellement parlant. Quant à l'Europe, en dépit de ses créations, son influence décline. À part quelques fragiles bastions de résistance, notamment en France, le cinéma américain, les jeux vidéo, comme les séries télévisées fabriquées outre-Atlantique ont définitivement conquis les nouvelles générations. L'anglo-américain s'est, peu à peu, installé dans l'imaginaire européen comme une marque de fabrique. C'est pour cette raison que les publicitaires la cultivent et que le Coca-Cola, les chewing-gums ou les jeans sont encore à la mode.

Le paradoxe, c'est de constater que, si, en Europe, la diversité culturelle a le vent en poupe, c'est moins pour s'opposer à cette efficace production culturelle américaine que pour cultiver un nationalisme identitaire, comme en Catalogne ou en Flandre. Pour y parer, le sociologue Edgar Morin avait parlé de « communauté de destin ». Il voulait nous faire comprendre la nécessité de prendre conscience de notre culture commune. Mais il est probablement trop tard.

L'américanisation tranquille de nos pratiques culturelles sur le Vieux Continent, comme celles du reste du monde, est une réalité. Et son essor est une évidence, pour la raison simple que cette culture-là est la seule qui s'exporte en masse et rapporte autant d'argent. La seule qui ne trouve, face à elle, aucune vraie contestation. La seule qui continue de mener la danse, en matière de création et de diffusion. L'Avatar de James Cameron ou l'iPad de Steve Jobs viennent de nous en fournir des preuves.

(1) Mainstream, enquête sur cette culture qui plaît à tout le monde, Flammarion.

(*) Professeur associé à l'université de Paris 8.